Le JSF sera-t-il “séquestré” (et guillotiné) ? Et le “progrès” avec ?

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Le JSF sera-t-il “séquestré” (et guillotiné) ? Et le “progrès” avec ?

Comme l’on sait, la question de la séquestration laissant planer son ombre sur le budget US concerne d’abord la défense, avec au moins un tiers des réductions automatiques envisagées portant sur le budget du Pentagone. D’autre part, la situation de désordre et de labyrinthe bureaucratiques qui prévaut à Washington implique que, même si la séquestration était évitée par un accord de dernière minute, – accord qui porterait nécessairement sur des réductions budgétaires mais ordonnées et identifiées, – la situation du Pentagone ne serait pas vraiment meilleure. Des choix douloureux seraient nécessaires, – c’est-à-dire, en fonction de ce qui précède, “seront” nécessaires …

Dans un texte de AOL Defense du 28 novembre 2012, avec l’interview du député républicain Randy Forbes qui préside le groupe spécial sur la préparation des forces au sein de la Commission des Forces Armées de la Chambre, cette question est abordée avec des précisions intéressantes. Il est d’abord indiqué ceci, qui concerne la situation générale du Pentagone par rapport aux perspectives stratégiques, en fonction des réductions budgétaires inévitables (là encore, quel que soit le résultat de la saga de la séquestration).

«If budget cuts do occur, whether under sequestration or a last-minute deal to avoid it, Forbes is fearful that America's position in the Pacific will suffer, especially versus a rapidly arming China. Even without further cuts, the current five-year budget plan is inadequate “across the board,” Forbes said, but in particular, “we need a lot more ships” […] “The AirSea Battle concept is a vitally important component to US leadership in that region,” Forbes said of the joint Air Force and Navy concept for long-range warfare against a future high-tech foe like China. “[But] are we going to have the resources to do that AirSea concept and provide the kind of pivot that the administration is talking about? I think it's very questionable that we will," he said, even under current budgets. That's especially true since rising tensions with Iran have stretched naval forces thin. “Then you look at sequestration looming on the horizon,” he said, "[and] I think all bets are off the table.”»

Le même jour où avait lieu cette interview, le CBSA (Center for Strategic and Budgetary Assessments), institut spécialisé considéré comme la meilleure référence dans les questions budgétaires liées à la défense, présentait les résultats d’un exercice mené depuis plusieurs semaines, et qui a une importance conjoncturelle remarquable. L’attitude de l’administration a été, notamment pour le Pentagone, de refuser d’envisager les réductions imposées par la séquestration, pour faire pression sur les républicains pour obtenir un accord sur des réductions contrôlées, et ainsi d’écarter toute planification “en cas de malheur” (choix des programmes qui seraient affectés si la séquestration avait lieu). Le CBSA a donc choisi de tenir le rôle des planificateurs du Pentagone que ce même Pentagone a refusé de tenir. Il a constitué sept équipes de dix membres et plus (des officiers, des bureaucrates du Congrès sur les questions budgétaires et de défense, des experts de think tanks, etc.), avec pour mission de choisir quelles réductions ces équipes recommanderaient sur un éventail de plus de 600 possibilités du Pentagone (programmes, fonctions, etc.). Les conditions des réductions budgétaires ont été considérées très souplement, comme elles le seraient (seront) sans aucun doute, avec répartition sur plusieurs années, commençant plutôt en 2014 qu’en 2013, etc… (L’avantage du désordre dans ce cas et qu’il affecte également les processus d’application des réductions.) Voici quelques indications des résultats, – ou plutôt, essentiellement d’un seul résultat, et exclusivement pour notre compte.

«Despite the diversity among the seven teams, participants from both parties and all four armed services reached some unexpected points of consensus. CSBA has strongly criticized the troubled tri-service F-35 Joint Strike Fighter as too short-ranged for modern warfare, especially over the vast Pacific. In the exercise, “all teams cut F-35 procurement over the next 10 years,” said co-author Mark Gunzinger. “One team cancelled the F-35 outright.”

A ces observations, nous ajouterons deux nouvelles, venues également de AOL Defense

• D’abord, un premier texte, assez général, qui concerne la validité de la technologie furtive, sur laquelle, qu’on le veuille ou non, toute la logique et la cœur de l’existence du JSF sont appuyées. D’ailleurs, le titre de cet article du 27 novembre 2012 n’en dissimule rien : «Will Stealth Survive As Sensors Improve? F-35, Jammers At Stake» Ce n’est évidemment pas la première fois que l’efficacité de la technologie furtive est mise en cause, notamment par rapport à l’efficacité de certains radars, mais cette fois, dans l’environnement budgétaire apocalyptique qu’on connaît, avec le destin chaotique du JSF qu’on connaît également, l’attaque a toutes les chances d’être extrêmement efficace. Une fois de plus, la mise en cause vient principalement de l’U.S. Navy, qui n’a jamais vraiment cru dans cette affaire, d’autant que la technologie furtive vient de l’USAF et qu’elle est utilisée par l’USAF pour tenter d’affirmer sa prépondérance dans tous les domaines de l’aviation de combat. (Voir notamment la lutte du secrétaire à la Navy John Lehman contre la technologie furtive dans les années 1980, le 22 juillet 2005.) On ne s’étonnera donc pas que l’argument principal du texte d’AOL Defense soit celui-ci…

«No less a figure than the Chief of Naval Operations, Adm. Jonathan Greenert, a submariner, wrote in the nation's most prestigious naval publication, the Proceedings of the US Naval Institute that “sensors will start to circumvent stealth” in the future. “The rapid expansion of computing power also ushers in new sensors and methods that will make stealth and its advantages increasingly difficult to maintain,” Adm. Greenert wrote in July. “It is time to consider shifting our focus from platforms that rely solely on stealth.”»

• Ensuite, voilà qu’on commence à parler sérieusement d’une nouvelle génération d’avions de combat, la “sixième génération” puisque le JSF fait, paraît-il, partie de la cinquième génération (voir le 30 novembre 2012). Cette fois, c’est l’USAF qui ouvre le propos, en observant qu’aucun projet de sixième génération n’est encore à l’étude alors que les avions de cinquième génération sont à l’étude depuis la fin des années 1970 (l’ATB, devenu B-2), alors que les avions de la génération précédente (la quatrième : F-15, F-16, F-18) commençaient à peine à entrer en service, et en service depuis le début des années 1990 (B-2). Bien que l’on ne s’étendent pas trop là-dessus, tout cela s’explique par la chronologie, les coûts, l'extraordinaire complication des technologies avancées et de l'hyper-informatisation, et l’état catastrophiques de la cinquième génération (F-22 et JSF principalement, avec le B-2 pour les coûts, passant de $180 millions à $2,4 milliards l’exemplaire).

«Gen. Mike Hostage, the ACC commander, told an audience of more than 300 at the Center for International and Strategic Studies, that America's fifth generation aircraft were projected to maintain their superiority through 2030. Since the Marines' version of the F-35 won't achieve Initial Operating Capability until 2015, and the contract for the plane was awarded in 2001, this would seem to raise the question: can we build a sixth generation in time to deploy it roughly around the time fifth generation fighters' superiority wanes?

»Hostage said there shouldn't be a worry at the current rate at which the U.S. is buying F-35s although it takes "so dang long" to buy advanced fighter aircraft. Fifth generation fighters are generally agreed to be stealthy and supersonic, to possess advanced radar, and use highly integrated avionics. So far, Hostage told reporters after his talk, no one really knows what capability or mix of same will mark a sixth generation plane. “We are looking at technologies that hold promise that could define sixth gen but we don't know what it is yet,” he told us…»

A partir de ces trois nouvelles, et en prenant l’ordre inverse où nous les présentons pour la commodité du raisonnement, on peut faire, avec le cas JSF, une sorte de chronologie qui serait plutôt une nécrologie à la fois du sort de cet avion, de l’évolution des avions de combat et, finalement, du sort de ce que nous appelons le “technologisme”. C'est une sorte de revue, cas par cas…

• Le premier cas est celui de la “sixième génération”, à propos de laquelle s’interroge le général Hostage. Le vague appuyé de sa démarche, le constat de généralités sans guère d’intérêt, dissimulent à peine que l’explication de l’absence de cette “sixième génération” à la fois des esprits, des commentaires et des planches à dessin (ou à dessein), s’explique plus simplement par l’inexistence complète de la cinquième génération par rapport à la narrative qui voudrait nous faire croire à son existence… Il est vrai que cette narrative est impérative, pour justifier quelques faits bien réels, puisque le développement de cette “cinquième génération” a commencé en 1973-1977 avec les premiers travaux sur le bombardier à technologie furtive, futur B-2. Mais, aujourd’hui, la réalité est en train de retrouver la vérité pour imposer le constat que cette “cinquième génération”, selon la comptabilité US, n’existe pas : les 20 B-2 ne peuvent prétendre faire une génération et continuent à être une sorte de bombardier-laboratoire dont l’opérationnalité n’a jamais été soumise à de véritables conditions de combat ; quant aux deux autres membres de la génération (F-22 et JSF), leur sort va de catastrophe en catastrophe. Du coup, l’évocation de la “sixième génération” évolue entre le surréalisme et une vague tentative de “sécuriser” un “après-JSF”, notamment au cas où il n’y aurait pas de JSF.

• Le second cas est celui de la technologie furtive, ou stealth technology (voyez, en plus de l’article du 22 juillet 2005, celui du 23 juillet 2005 qui le complète). En fait, on peut de plus en plus fermement parler de l’échec général de la technologie furtive, c’est-à-dire l’échec de l’USAF d’établir un “nouvel âge” technologique de la puissance aérienne, l’âge de l’“air dominance (voir le 12 décembre 2008). C’est un énorme échec, qui se chiffre en centaine de $milliards, certes, mais plus encore, à cause de la voie ainsi ouverte vers une impasse des technologies, par le seul fait du développement de la technologie furtive accélérée jusqu’au suicide par l’informatisation des systèmes d’arme aériens, eux-mêmes comme fer de lance du développement des technologies avancées (du technologisme) dans l’armement.

• … Et nous en arrivons au JSF. Les résultats de l’exercice du CSBA montrent qu’à Washington, dans la communauté de sécurité nationale, tout le monde en a marre du JSF (fed up, y compris le New York Times, le 30 novembre 2012) ; cela d’une façon, dirions-nous, quasiment ontologique, parce que le JSF est devenu un insupportable calvaire. Les deux points précédents justifieraient à posteriori les chois des divers experts engagés dans l’exercice, et ils pourraient bien rendre irrésistible une poussée vers un abandon larvé mais de plus en plus affirmé du JSF, pour une autre voie, sans la charge du systématisme pénalisant et inefficace de la technologie furtive conditionnant tout le reste, et en se reportant glorieusement vers une “sixième génération” dont on réclame désormais, in fine, l’étude et l’esquisse… Alors, oui, il est bien possible, désormais, qu’un jour prochain le JSF soit “séquestré” presque par inattention, les bouleversements budgétaire attendus pouvant servir de biais presque accidentels pour actionner la guillotine, – “Oh, désolé ! Voilà que le JSF a été liquidé, sans faire exprès, accidentellement”…

Pour autant, ce dont on ne se doute pas nécessairement, c’est que le JSF, achevant en cela le travail de déstructuration et de dissolution du progrès technologique du F-22, en intégrant la technologie furtive au prix d’une hyper-informatisation et d’une dégradation sensible de son aérodynamisme, et laissant effectivement comme legs cette hyper-informatisation, le JSF donc a peut-être mis en place du point de vue de l’opérationnalité du processus les conditions de la fin du technologisme. Nous parlons certes de la fin de la possibilité de faire progresser (?) les systèmes d’arme au travers du développement des technologies avancées, alors que ce développement confronte désormais ceux qui le suscitent, et ceux qui doivent en user, à des conditions telles qu’on peut parler du dépassement du pic ultime de la rentabilité, avec les désavantages dépassant désormais les avantages de la formule ; il s’agit alors, effectivement, de la voie menant à l’impasse du technologisme. Le JSF serait ainsi l’hérétique, le relaps : né d’une technologie absolument vicié et même faussaire, celle-ci développée avec cet avion dans la voie d’un vice fondamental du développement de la matière lorsqu’elle retrouve le “déchaînement de la Matière”, cela dans l’hyper-informatisation, le JSF laisserait dans sa chute, comme legs à la contre-civilisation, la formule de la fin du progrès technologique acceptable et opérationnel. Il s’agirait alors d’en profiter.


Mis en ligne le 3 décembre 2012 à 05H09

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