Le jugement surprenant (est-ce bien sûr?) de John Bolton

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Le Financial Times a l’habitude d’organiser, après la publication de certains articles de contributeurs extérieurs, des débats entre les auteurs et les lecteurs. Ce fut le cas pour John Bolton, à propos de son article du 31 juillet sur les relations entre les USA et le Royaume-Uni avec l’arrivée de Gordon Brown à la tête du gouvernement UK. Nous avons effectivement parlé de cet article en même temps que d’ un autre, allant dans le même sens, d’Irwin Stelzer.

Le débat Bolton-public sous les auspices du FT a donc eu lieu le 6 août. Nous confirmons à cette occasion ce que nous ressentons de l’intervention de Bolton (inhabituellement mesurée même s’il dit droitement quelques vérités qui peuvent apparaître menaçantes ou déplacées), contrairement à l’interprétation qu’en donnèrent certains commentateurs américains.

Une réponse de Bolton nous a particulièrement intéressés par l’intéressante ambiguïté qu’elle soulève. Il s’agit d’une réponse à une question d’un Américain, Carl Fitz, du Texas, sur la France de Sarkozy, sur les liens USA-France par rapport aux liens USA-UK et ainsi de suite.

«Carl Fitz: Considering Sarkozy’s election in France is expected to usher in a new age of French-American relations, and there is a fear of Gordon Brown distancing the UK from the US, what type of implications does this have for the US in terms of its relations with other EU members? Is it a possibility that the US could form stronger ties with France than the UK in the near future?

»John Bolton: My experience in diplomatic dealings with France over many years is that France unfailingly pursues what Paris sees as its core national interests. While such an approach has often put France at odds with the United States, it is at least straightforward and intellectually honest. I respect it.

»By contrast, too often in recent years, and frequently in the United Nations, the UK position, as defined by the FCO, has been ideological rather than national, pursuing what the international High Minded set calls “global governance.”

»Given the choice, vive la France!»

Remarquez combien Bolton ne répond pas directement à la question posée, mais comment il y répond finalement d’une façon indirecte qui est bien plus révélatrice qu’une réponse directe. Remarquez comment il expédie sans même s’y attarder une seconde la tarte à la crème de “Sarko l’Américain” et de l’alignement de la France sur les USA, pour aller au plus fondamental. C’est instructif.

Détaillons sa réponse.

• Bolton a eu le loisir d’étudier le comportement des Français à l’ONU. Il apprécie dans leur démarche une politique qui est la recherche constante de l’intérêt national français. Il respecte et même apprécie cette politique même si elle conduit la France, dans telle ou telle circonstance, à s’opposer aux USA.

• Au contraire, il estime que la politique britannique répond non aux intérêts nationaux britanniques mais à une idéologie qui est celle de la globalisation, de la “global governance” (dans ce cas, éventuellement l’ONU). Surprise, pour ceux qui ont du Royaume-Uni l’image d’un pays au nationalisme sourcilleux, type “right ot wrong, my country”? Peut-être, mais surprise seulement en apparence. Il est vrai qu’avec Blair, le Royaume-Uni s’est fortement idéologisée, et il affiche aujourd’hui une complète faveur pour un libéralisme sans frein (avec l’effondrement de l’orientation nationale de certaines de ses valeurs industrielles) ainsi que pour les thèses néo-impérialistes à-la-Cooper, dont s’inspire l’UE, et qui sont appuyées sur la négation de la souveraineté nationale. Bolton, en, bon unilatéraliste, ne goûte pas cette évolution. (Notre appréciation est que cette évolution britannique est en fait un faux-nez au départ: dissimuler l’humiliation de devoir sacrifier des intérêts nationaux à l’alignement constant sur les USA en trouvant particulièrement intelligent cet exercice par un habillage idéologique qui permet de tels écarts; lequel faux-nez, à force, est devenue une véritable idéologie à laquelle le Royaume-Uni est désormais enchaîné, en complète contradiction avec sa tradition).

• La conclusion de Bolton est incroyablement ambiguë. Dans la logique de la question posée, la phrase-pirouette «Given the choice, vive la France!» signifie bien : “Si je pouvais choisir mon allié privilégié, ce serait la France” (et non le Royaume-Uni). Mais il sait bien, Bolton, qu’il n’a pas le choix puisqu’il vient de définir la France, avec une certaine admiration, comme une nation indépendante dont la défense de ses intérêts la place épisodiquement et même régulièrement en opposition aux USA, — et alors, ce ne peut être l’“allié privilégié” que Washington a avec le Royaume-Uni. Cela nous confirme bien plus qu’un très long discours ce qu’est, pour le Royaume-Uni, l’alliance avec les USA: la sujétion et rien d’autre. Bolton ne le dit pas mais il nous le fait comprendre, comme il nous fait comprendre que les gens sérieux, — pour cette fois, lui-même apparaît sérieux dans son jugement, — n’ont rien à attendre de la France de Sarkozy (de la France tout court, puisqu’elle est indépendante) qui ait quelque chose de commun avec le comportement des Britanniques. D’autre part, et placée dans le contexte où elle se trouve des jugements sur les politiques des deux pays, la phrase-pirouette «Given the choice, vive la France!» n’est plus du tout une réponse, même indirecte, à la question posée et signifie également: “entre les deux comportements politiques, celui de la France et celui du Royaume-Uni, c’est celui de la France que je préfère”. Les deux interprétations sont acceptables et, d’ailleurs, elles se complètent et se confirment. Elles nous disent qu’aux yeux de Bolton, le Royaume-Uni n’est qu’un pays soumis dissimulant sa soumission sous une idéologie pompeuse tandis que la France a le comportement d’une vraie puissance, à l’image du comportement US selon le nationaliste qu’est Bolton. Rien à redire.


Mis en ligne le 7 août 2007 à 16H59