Le kaléidoscope Le Pen

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Le kaléidoscope Le Pen

3 mars 2025 (15H30) – Je vais absolument m’abstenir de porter un jugement sur Le Pen. Avec les deux heures et demies d’attendus de la juge, elle a sa dose. D’autre part, je ne veux en aucun cas apparaître en partisan même si je le suis en bon fils des djebels, parce qu’en vérité (on me reconnaîtra) j’accorde assez peu d’importance aux acteurs humains dans une vie métapolitique écrasée par la formidable dynamique du système de la communication et propulsée par la pression constante de forces extérieures à l’action humaine qui nous dominent.

Pour autant, je n’ignore pas les aléas et les évolutions de la vie politique de Le Pen, et du RN avec elle, et peut-être ai-je mon jugement sur cela dont je ne vous embarrasserait en aucun cas. On considère seulement les conséquences sur la situation qui nous occupe.

De ce point de vue, le fait est, selon ce que j’en juge, qu’il y a deux facteurs importants :

• La recherche acharnée de Marine Le Pen d’une “dédiabolisation” hors-Le Pen, y compris si nécessaire en trouvant sa place dans le Système contre lequel le FN était à l’origine censé chercher à s’opposer.

• L’échec constant de cette tentative, pour qu’en face l’on puisse conserver, dans le chef de l’establishment, une figure à la popularité grandissante, laquelle pourrait être dénoncée aux moments opportuns sous la rubrique entraînante et séduisante, –  “le fascisme ne passera pas”. Cette rubrique fait partie de l’actualité des années1930, ce qui est une marque caractéristique de ce pays constamment à la recherche du progrès, des lendemains qui chantent, des choses comme ça, – et, de ce fait toujours en avance sur l’actualité de son temps, – d’où les années 1930...

Tout cela fait qu’on peut très bien réduire la condamnation de Marine, et surtout son inéligibilité alors qu’elle écrasait tout le monde dans les sondages et nous promettait pour 2027 un échec de plus au deuxième tour avec 49,85% des voix, en une sorte d’image d’Épinal : l’immonde sorcière devenue brebis innocente sacrifiée au nom d’un danger des années 1930 par ceux qui voient loin. Voilà pour le contexte type “Cercle de la Raison” réuni au premier étage de la maison Hermès, vous savez, au coin de la rue du Faubourg Saint-Honoré.

Tout avait donc été concocté pour que Le Pen ne puisse se sortir de la nasse, notamment d’un point de vue chronologique, et cela étant explicité droitement pour ce que cela était, d’ailleurs sans qu’il soit nécessaire de chercher un complot, simplement par vertu civique, par patriotisme moderniste... Lisez par exemple le déchaînement de Me Régis de Castelnau :

« Précisément, la sidérante motivation de la décision visant à écarter Marine Le Pen de l’élection présidentielle, en utilisant l’exécution provisoire, est l’expression d’une subjectivité directement politique. “Le tribunal prend en considération le trouble majeur à l’ordre public démocratique qu’engendrerait en l’espèce le fait que soit candidate par exemple et notamment l’élection présidentielle, voire élue, une personne qui aurait déjà été condamnée en première instance, notamment à une peine complémentaire d’inéligibilité pour des faits de détournement de fonds publics qui pourraient l’être par la suite définitivement.”

» Traduction : je ne veux pas que Marine Le Pen puisse être candidate, voire élue, parce que nous n’aimons pas ses idées politiques. Par conséquent, au diable le double degré de juridiction, rien à foutre de la cour d’appel, au diable la Cour de cassation, au diable les principes, j’utilise mon pouvoir pour interdire à l’électeur sa liberté de choix. Et tant pis si au passage je piétine une décision du Conseil constitutionnel qui précisait, pas plus tard que trois jours auparavant : “Sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure (l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité) est susceptible de porter à la préservation de la liberté de l’électeur”. Un joli bras d’honneur explicitement motivé : au diable de la liberté de l’électeur, des 12 millions d’entre eux qui lui font confiance. Interdiction pour elle et pour cette seule raison, par ce que c’est une néonazie qui n’aime pas l’Europe et qui mange les petits-enfants. La lecture de l’ensemble de la décision démontre que ne sommes pas en présence d’une décision de justice mais malheureusement d’un tract politique. Si la justice française ne marchait pas sur la tête, ce jugement devrait relever non de la réformation par la Cour d’appel mais de son annulation. »

“ Tout avait donc été concocté pour que Le Pen ne puisse se sortir de la nasse”... Mais hier, reculant devant le brouhaha médiatique et le soudain ridicule apparu à certains d’une présidentielle sans la candidate tout aussi soudain considérée comme élue d’avance, — c’est une hypothèse à moi, ça, car je ne crois comme révélateur de notre triste situation capable de faire fonctionner les intelligences que la force du “soudain ridicule”, – la Cour de Justice de Paris a signalé qu’elle allait accélérer le jugement en appel et le ramener de 2028 à 2026. Cela laisse une possibilité très nette de la possibilité d’une candidature, – possibilité de la possibilité, délice de la complexité complexe mais décomplexée...

Sentiment d’une victoire dans l’adversité chez Le Pen, qui semble partager le sentiment que j’ai moi-même ressenti,  on peut toujours rêver, – le sens du ridicule soudainement révélé est une sorte de trouble, en effet :

« C’est une très bonne nouvelle, dans laquelle je veux voir le trouble qu’a créé le jugement. »

Restons-en là pour la situation telle qu’elle apparaît ce jour, à cette heure, hors de nos sources confidentielles et du coup de téléphone présidentiel que j’ai l’habitude de recevoir en cas de crise. (Un expert en crisologie, ça se consulte “en cas de crise”.) Car, ce qui m’intéresse à cet instant, c’est la situation ainsi créée concernant Maurine Le Pen en tant que symbole et autour d’elle, par tous ces événements et l’écho considérable qu’ils ont suscité.

Et je parle ici, qu’on se le dise, d’un événement international ! Je n’ai que faire des affaires intérieures d’un pays qui fut si grand et qui semble avoir trouvé sa jouissance finale à se rouler dans la médiocrité comme les braves cochons le fond dans leurs excréments divers. Pour parler de cet événement international, je vais quitter l’intéressant futur des années 1930 que nous promettent nos commentateurs et m’attacher à la seule force qui compte, celle de la communication.

Promenade hors-la-France

Je vais donc énoncer divers points qui ne sont pas exclusivement français – surtout pas !, – mais bien internationaux et qui vont nécessairement modifier de fond en comble les conditions d’ici l’été 2026 et après. Ces points concernent Le Pen et, autour d’elle le RN, et d’ailleurs les Français en général qui vont découvrir à cette occasion 1) qu’ils ne sont pas seuls au monde, et 2) qu’il se passe dans le reste du monde des événements d’une réelle importance.

• Le premier point concerne la dimension psychologique et symbolique qu’a acquise Marine Le Pen avec cet événement. Juste ou faux, exagéré ou pas qu’importe, voilà bien une précision qu’il n’y a aucun avantage à tenter de déterminer ; ce que je veux dire est qu’inconsciemment, les esprits, – et particulièrement hors-Hexagone, et avec quel soulagement puisque cela nous débarrasse de Macron, –  enregistrent un message qui dit que la future “présidente” a été privée de sa victoire... Surtout, surtout ! Puisque cette perception symbolique a été fortement ressentie dans ce sens hors de France, elle donne à Le Pen, condamnée ou pas en appel, une dimension qui conduira à un événement d’une extrême importance. .. Car l’on sait alors et avec une certitude indiscutable, d’ores et déjà, que l’élection d’avril-mai 2027 va se faire dans des conditions singulières. Ces conditions feront que l’élection constituera un point central autour duquel pourra se développer une nième nouvelle crise.

• A l’occasion de cette affaire du jugement et de l’inéligibilité, Le Pen a suscité des réactions au plus haut niveau dans des pays d’une extrême importance. Les chefs d’État ou de gouvernement des États-Unis, d’Italie, de Hongrie, de Russie, se sont personnellement inquiétés de son sort. Cela ne lui assure rien de concret pour l’appel mais cela grandit sa dimension internationale, encore une fois avant d’occuper un poste officiel, et sans être aucunement sûr d’obtenir un tel poste. Elle emmène dans son sillage son parti et fait penser qu’une victoire d’une personnalité de RN sans elle pourrait très bien s’accompagner de son retour, par une simple nomination à un poste officiel avec des contacts extérieurs.   

• Nombreux sont les sarcasmes et les critiques ironiques, selon le schéma connu : “Ah ah, elle voulait être dédiaboliser, elle voilait entrer dans le Système, ; mais le Système a eu sa peau.. Ah ah, donc”. C’est un “ah ah” bien inutile...

• ... Il s’agit en fait et au contraire, – Marine Le Pen ou pas, – d’un enjeu considérable. Si le RN, toujours avec elle ou sans elle, est conduit à une position de direction, il le sera selon une dynamique de ce courant nouveau nommé illibéralisme (populisme diraient certains, si l’on veut) ; courant contestataire, certes, mais qui compte aujourd’hui des personnalités d’une dimension et d’un poids considérable, et dans des positions de direction qui font que la contestation tend à devenir une nouvelle norme. Le RN qui s’est battu sous la direction de Le Pen pour tenter d’être intégré dans le courant libéral, dans le Système, se trouverait devait l’évidence que le choix de l’illibéralisme est aujourd’hui ce qui triomphe hors des frontières françaises, dans les pays les plus prometteurs. Que va faire le sémillant Bardella, fameux pour ses positions pro-US et pro-OTAN autant que partisan d’une sorte de conformisme-libéral, lorsqu’il finira par découvrir un jour, – quelqu’un le mettra au courant, espérons-le, JD Vance par exemple, – qu’être pro-US aujourd’hui signifie être illibéral ?

Vous sentez bien l’extraordinaire complexité que rencontrent enfin les Français, jusqu’ici blottis dans leurs stupides querelles droite-gauche et leur référence aux années 1930, et qui n’ont ainsi pas eu tant le temps de découvrir qu’autour d’eux les choses changeaient considérablement. Certains vont devoir essayer d’apprendre à comprendre le véritable enjeu de la guerre en Ukraine ; d’autres seront conduits à ôter le masque de vertu souriante dont l’UE s’est parée depuis le début des années 1980, pour découvrir la Gorgone qui s’agite derrière... Et ainsi de suite...

C’est dans cette fournaise qu’on décidera en appel si, finalement, elle est inéligible ou pas. Mesurez-vous ce qui se passera dans ce monde complètement fou d’ici juin-juillet 2026 ? Les années1930 ne suffiront pas à satisfaire le rationalisme-moderniste des bobos des grands boulevards.