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430«Vers l’Orient compliqué, je voguais avec des idées simple.» Cette célèbre phrase du jeune De Gaulle peut illustrer l’incapacité de l’arrogant à comprendre le monde. La pseudo-excuse d’une situation à la limite du rationnel le poussant à une simplification excessive des faits. Or, cette attitude dédaigneuse présente dans bon nombre de médias complexifie (un peu plus) le Moyen-Orient, en imposant une vision qui brouille la situation au lieu de l’éclaircir. La perception publiciste du “printemps, automne arabe” montre cette répulsion à voir l’événementiel dans son ensemble, en préférant la description caricaturale d’un combat entre les représentants du Bien et du Mal, plus rassurante mais forcément erronée. La vie politique libanaise est selon cette logique coupée en deux camps distincts. Or, les événements politiques libanais de l’année 2011 ont, si nous prenons la peine de nous y intéresser, permis une déconstruction des idées reçues.
La presse s’avère partiale par l’emploi de substantifs stigmatisant leurs opposants en tant que pions à la solde de l’étranger (selon la tendance politique, de la Syrie ou de l’Occident), niant ainsi leur “libanité”. En effet, les Forces du 8 mars, actuellement au pouvoir, sont qualifiées d’“anti-occidentales” par ses partisans et de “pro-syriennes” (ou le “camp du Hezbollah”) par ses opposants. Tandis que celles du 14 mars sont “anti-syriennes” pour ses partisans et “pro-occidentales” pour ses opposants. Pourtant ces dénominations ne suivent pas une logique historique ou idéologique, mais une posture bien souvent éphémère. Selon leurs dernières alliances consenties, les partis et personnalités politiques sont incorporés dans un camp. Cet enrôlement feint d’oublier que les politiciens sont plus régis par une stratégie de conquête du pouvoir que par une intangibilité doctrinale.
Le paysage politique libanais est constitué d’une multitude de petits partis, avec 19 représentés à l’assemblée et un seul dépassant les 15 % de sièges. Au vu de cette situation et des quotas confessionnels, il est donc nécessaire de former des coalitions très hétéroclites. Ainsi, d’anciens ennemis se retrouvent aujourd’hui alliés (le Hezbollah avec l’Amal ou les Forces Libanaises avec le Kataëb, pour ne citer qu’un exemple de chaque côté). Lors de ces deux anciens conflits, le pouvoir syrien a soutenu militairement un camp rendant l’affirmation d’anti-syrien ou de pro-syrien calomnieuse, si l’on ne fait pas état du degré de l’alliance ou de sa périodicité.
Le chef de file de la coalition dite “anti-syrienne”, Saad Hariri possède un programme politique où est évoqué l’impératif d’une relation forte et assainie avec la Syrie (le terme “anti-syrien” est donc exagéré) ainsi que le “principe qu’Israël est l’ennemi du Liban”. Ces éléments rentrent en contradiction avec le classement dans le Bloc de l’Ouest qui lui aurait été échu, à une certaine époque, pour son libéralisme et son patriotisme.
Le Kataëb suivait initialement le modèle des phalanges espagnoles ; cette inspiration fascisante lui est souvent reprochée, or ce concept renvoie à un ultranationalisme difficilement conciliable avec l’appellation “pro-occidentale”. Dans l’esprit de ces utilisateurs, le terme “occidental” ne renvoyant pas à une idéologie caractérisée par des conceptions modernistes, mais à des pays situés relativement à l’ouest possédant de temps en temps des intérêts convergents. Or, comment être réellement nationaliste et soutenir des pays étrangers qui ont leurs propres impératifs ?
En outre, la Jammaat Islamiya, une autre composante de l’opposition, se déclare salafiste et anti-occidental. Or, selon l’autre acceptation de ce dernier terme, ils sont pro-occidentaux, puisque le salafisme est une conception occidentaliste de l’islam. En effet, il transpose le modèle napoléonien de la dictature de la loi et suit généralement l’idéal égalitariste de la Révolution Française. Des techniques ultra-modernes de communication colorant le tout d’une teinte islamique.
Du côté de la majorité, le qualificatif “pro-syrien” usité s’appuie sur une alliance plus affermie avec Damas. Or, le parti disposant du plus grand nombre de ministères dans la nouvelle majorité, le Courant Patriote Libre, est dirigé par l’un des rares leaders politiques qui était ouvertement opposé au pouvoir syrien dans les années 90. En effet, Michel Aoun, lors de son exil parisien, était plutôt perçu comme l’homme de la France, voire des États-Unis.
Quant aux grands partis chiites, ils sont considérés à la fois comme pro-syrien et pro-iranien ; ces deux États sont donc censés avoir toujours les mêmes objectifs et points de vue. Un regard détaillé sur le programme et l’histoire interne du Liban montre que tous les qualificatifs utilisés sont absurdes.
En janvier 2011, les forces du 8 mars sont devenues majoritaires lorsque le leader du Parti Socialiste Progressiste Walid Joumblatt les a ralliées. Stratégiquement, cette coalition a choisi Najib Mikati, un membre du camp d’Hariri comme Premier Ministre, le forçant à changer d’alliance mais pas d’opinions.
Au cours de l’année, le gouvernement a été plusieurs fois paralysé et menacé d’implosion suite aux luttes intestines opposant les plus consensuels aux plus réformistes, voire à l’intérieur de ces derniers notamment entre l’Amal et le Courant Patriote Libre (un conflit autour d’une centrale électrique comportant des enjeux économiques et territoriaux importants). Ces deux partis ne sont pas liés directement entre eux, mais uniquement au Hezbollah. Celui-ci occupe une position assez paradoxale puisqu’il sert de liant à ce gouvernement disparate, tout en ayant une position relativement faible avec seulement deux ministères. Ce choix stratégique le rend indispensable et a l’avantage de ne pas amasser le mépris dû à la pratique trop visible du pouvoir temporel.
Le rôle sur “le grand échiquier planétaire” de ces deux coalitions s’avère illusoire sur le long terme (les retournements étant rapides et la stabilité précaire). Cette description de la géostratégie mondiale s’inspirant de l’œuvre de Brzezinski ne peut s’appliquer que s’il y a autant d’échiquiers que d’acteurs mondiaux. Ayant un objectif explicite, ce stratège évoquait uniquement celui des États-Unis ; les médias traitant du Liban n’en voient que deux (celui de “l’Occident” et de la Syrie), alors qu’ils devraient regarder et comprendre les autres, pour avoir une vision moins biaisée.
Ce Liban-ci est bien compliqué puisque les qualificatifs absurdes imposés par des médias en quête de simplification, ne résistent pas à l’épreuve du temps. Les blocs s’effritent et se montrent désunis.
En fin de compte, cette vie politique est agitée par la présence de nombreux partis et d’égos forts. Ce qui rend le paysage politique libanais véritablement complexe, c’est de refuser de s’y intéresser, tout en accolant des étiquettes inadéquates.
Ismaël Malamati