Le Lobby dans le désordre

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Nous allons mettre en parallèle deux informations très récentes, qui semblent porter sur deux matières différentes, qui sont liées entre elles par l’acteur principal qui est le Lobby, – surnom donné à Washington au lobby juif, pro-israélien. Le Lobby a une émanation formelle et structurée, qui est l’AIPAC, mais nous voudrions parler d’une entité à la fois plus vaste et plus vague, qui débouche sur un état d’esprit bien particulier, et alors en donner une appréciation beaucoup plus psychologique, passant ainsi d’un entendement ésotérique du phénomène à une explication exotérique ; cela, comme s’il était question d’une doctrine ou d’un groupe mystérieux qui serait gardé secret (ésotérique) ou révélé au public (exotérique), alors qu’il n’est aucunement question ni d’une doctrine ni d’un groupe quelconque.

• Le premier cas est celui de l’attitude US vis-à-vis de l’Egypte et de son nouveau régime, ou de son régime transitoire. On sait que la politique extérieure de l’Egypte est en train de mettre en place une situation radicalement modifiée, au moins dans le domaine de la politique extérieure. (Voir notamment nos nouvelles du 10 mars 2011 et du 4 avril 2011.) Jim Lobe, le 5 mai 2011 sur Aljazeera.net, décrit la situation washingtonienne, où l’on est en train de s’apercevoir du changement. Peut-être même songe-t-on à des modifications de la politique US vis-à-vis de l’Egypte, cela, comme on est conduit à en faire le constat, à une vitesse et avec une audace qui marquent la consternante paralysie du pouvoir US.

Mais il est un domaine où, d’ores et déjà, une réaction s’est faite jour. Il s’agit du Congrès, sous l’influence du Lobby ; parce que le Lobby n’a pas perdu de temps à décider de son action d’influence en fonction de ce qu’il perçoit, dans le mode maximaliste, des intérêts du gouvernement israélien du Likoud, dont il est à la fois le relais et l’instrument ; le Lobby a donc fait sentir sa pression sur le Congrès parce que le Congrès est totalement “sous influence” à cet égard… Extraits du texte de Lobe sur cette question, avec en conclusion un avis de Doc Zokheim, ancien haut fonctionnaire du Pentagone, qui met les points sur les i en enfonçant ce qui devrait être une porte d’ores et déjà ouverte…

«With Congress already in a penny-pinching mood on foreign aid, many observers believe cuts in future assistance are inevitable if Egypt's current trajectory continues.

»Even before the negotiation of the controversial Palestinian reconciliation accord, lawmakers showed little interest in granting urgent requests by Egypt's new government for $3.3bn in debt relief that would save the country about $350m in annual debt payments or even for a proposed $50m enterprise fund to attract foreign investment. “We have to have as full a picture as we possibly can get before we do this, knowing we're in a transition period,” the Republican chairwoman of the powerful House Foreign Operations Subcommittee, Texas Rep. Kay Granger, told the Congressional Quarterly.

»The publication suggested that it was unlikely that Cairo would even get its usual annual allotment of $250m dollars in economic aid this year despite a struggling economy – due in part to a drastic decline in tourism – and the risk that economic hardship could radicalise a newly-empowered electorate.

»At least one astute observer predicted much will depend on Israel's attitude. “The reason Egypt has gotten money is because the Israelis and AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) lobbied for it,” said Dov Zakheim, a former senior Pentagon official in the George W. Bush administration, at a conference Tuesday at the Center for the National Interest. “If the Israelis are not enthusiastic, that will just reinforce Congress' reluctance …then you're not going to see much (aid).”»

• Le second cas est celui de l’auteur américain (juif) Tony Kushner, dramaturge célèbre à New York. Kushner, qui est un Prix Pulitzer, devait recevoir une récompense de l’université de New York pour sa production théâtrale. Le processus a été bloqué, essentiellement sous l’action de Jeffrey Wiesenfeld, un donateur régulier de l’université et lui-même relais du Lobby, parce que Kushner a (“aurait”, semble-t-il ?) une opinion critique d’Israël, notamment du comportement de l’armée israélienne. Kushner a répondu avec colère au conseil d’administration de l’université, et son cas devient plus important parce que trois personnalités déjà distinguées par l’université ont renvoyé ou menacent de renvoyer leur distinction à cette université. Bien entendu, on ne s’attardera pas à juger quoi que ce soit de l’attitude de l’université et de Wiesenfeld, qui se définit simplement comme du pur Maccarthysme, sinon de l’hyper-McCarthysme, sans autre discussion nécessaire. L’intérêt supplémentaire de l’incident est que Kushner, qui se dit “fier d’être juif”, a démenti qu’il avoir professé de telles opinions que Wiesenfeld dénonce.

«A row over the decision by a leading New York university to refuse playwright Tony Kushner an honorary degree due to accusations he was too critical of Israel has deepened as several high profile honorary degree holders renounced their own awards.

»Kushner, who wrote the Pulitzer prize-winning Paul Angels in America, was set to get an honorary degree from John Jay College, a campus of City University of New York. But his name was removed from a list of other intended recipients after a CUNY trustee, pro-Israel activist Jeffrey Wiesenfeld, spoke out against it.

»Wiesenfeld accused Kushner of being critical of the Israeli army, supportive of a boycott of the country and of saying that Israel had been founded partly as a result of ethnic cleansing. In an open letter to CUNY Kushner responded angrily, denying the allegations, accusing Wiesenfeld of slander and saying he was “proud to be Jewish”.

»Now, in the wake of Kushner's letter, at least three prominent previous recipients have declared they no longer want their honorary degrees from the university. Barbara Ehrenreich, an acclaimed activist journalist, issued a statement saying she had renounced her 2004 award. “Please expunge me from your record of past honorees,” she said. She was joined by Michael Cunningham, who also has won a Pulitzer, for his book The Hours, and was given an honorary degree in 2009. “I was shocked and dismayed to hear about the treatment Tony Kushner received at the hands of the CUNY board of trustees,” he said in a statement. He criticised the university's decision. “To deny him an honorary degree because certain members of the board disagree with some of his political views is a chilling indictment of the freedom of expression CUNY has always championed.”

»Yeshiva University historian Ellen Schrecker also wrote to CUNY to protest and to ask how she could return her own honorary degree.

»So far the university has issued little detailed public comment on the growing row and Kushner has said in interviews that he would no longer accept the degree if the decision were reversed.»

Notre commentaire

Il s’agit d’utiliser ces nouvelles hors de leur signification événementielle, pour n’en retenir que le contexte impliquant d’une façon ou l’autre le Lobby, et d’observer les processus en cours. Dans tous les cas, nous observons à la fois l’excès et l’absence de réel contrôle, voire l’erreur dans les informations (Kushner), tout cela témoignant d’un maximalisme exacerbé et quasiment hystétique. Dans le cas du Congrès, on voit qu’il s’agit d’une sorte d’automatisme vers une défaveur profonde de l’Egypte, on dirait presque avant même que le crime soit commis, sur la simple indication qu’il se pourrait fort bien qu’il y ait crime. Le résultat le plus évident à attendre, avec l’Egypte dans la situation de tension où elle se trouve, sera nécessairement une radicalisation anti-américaniste et anti-israélienne du pouvoir quel qu’il soit, y compris de l’actuel pouvoir transitoire. Ces attitudes arrogantes et grossières, tant au Congrès que dans l’administration, où le réflexe ressemble à une scène de western (à part qu’au lieu de mettre sa main sur la crosse d’un revolver, on la met sur le chèque qu’on s’apprêtait à signer), ont un effet absolument désastreux hors de ces dignes enceintes du pouvoir washingtonien où l’on semble bien satisfait de vivre en circuit fermé.

Dans le cas de Kushner, l’accusation est également fort grossière, dans un autre registre, et rejoint le pire des Maccarthysme, avec un véritable procès d’intention lancé par une individualité du Lobby, connu comme un esprit enfiévré par une psychologie hors de tout contrôle. De ce côté des mises en cause individuelles et sommaires, sinon faussaires, aux USA et aussi en Europe, l’arme de diffamation massive qu’est l’accusation d’antisémitisme (avec ses connexions désormais connues comme des classiques du terrorisme intellectuel, “antisionisme = antisémitisme”, et “anti-politique du Likoud = antisémitisme”), – cette arme est aujourd’hui de plus en plus employée contre des juifs, – les autres se gardant de la moindre allusion publique qui pourrait mettre la puce à l’oreille d’un des flics du domaine. Tout cela forme un bloc de terrorisme radical, “terrorisme intellectuel” certes, mais plus encore, “terrorisme” contre tout ce qui est l’esquisse d’un processus de pensée critique. Dans ce cadre, les réactions du Congrès sont de l’ordre de la robotisation, après lobotomisation.

L’observation paradoxale de ces deux cas où le poids du Lobby se fait sentir comme un étouffoir méprisant toutes les procédures démocratiques et autres, affichant son ingérence, son mépris de l’esprit public, des souverainetés et des libertés diverses, volonté affichée de la corruption, à la fois vénale par l’entretien de trains entiers de sénateurs et de députés, à la fois psychologique par leur terrorisme terroriste comme le reste, agissant comme des gangsters de bas étage et ainsi de suite, cette observation conduit à la conclusion du désordre beaucoup plus que de l’efficacité. Leur terrorisme conduit effectivement au désordre, ce qui n’est d’ailleurs pas illogique, bien plus qu’à une sorte de pouvoir autoritaire, à une sorte de dictature de l’abaissement de l’esprit. Les deux cas décrits vont bien au-delà du constat de l’influence, ils dévient et se détournent du but à atteindre, pour déboucher sur le constat du désordre dans le chef de ceux qui dispensent l’influence et de ceux qui la subissent avec délice.

Il s’agit d’une situation intéressante de l’évolution de la technique du lobbying, au travers de l’accomplissement le plus monstrueux de ce phénomène. Il semblerait possible qu’à partir d’un certain point de pression et d’intervention systématique, le Lobby se trouve dans une situation de complète confusion et désordre ; cela, d’autant plus que le gouvernement qui est ainsi impliqué (Netanyahou) et au nom duquel l’on prétend parler, se trouve lui-même dans une situation à la fois indécise et de plus en plus mal contrôlable (notamment du côté des relations avec l’Egypte, mais aussi pour ce qui concerne le projet d’attaque de l’Iran qui apparaît de plus en plus incertain). Le Lobby et son influence continuent à tourner avec toute leur puissance, mais ils produisent de plus en plus des situations également de plus en plus incontrôlables parce qu’elles correspondent à une situation générale (les USA tout-puissants, l’essentiel du monde arabe au service de l’axe USA-Israël, Israël en position de force) qui est en train de se dissoudre littéralement à vue d’oeil. (Il faut d’ailleurs noter que cette situation de désordre se retrouve du côté des interlocuteurs, ou des courroies de transmission les plus constantes de l’influence israélienne et des intérêts du Likoud, à savoir les neocons. Ceux-ci sont toujours radicalement divisés quant à l’attitude à tenir vis-à-vis des diverses situations de désordre dans les pays arabo-musulmans, notamment par rapport à Kadhafi et à la Libye, avec une majorité de neocons soutenant l’action anti-Kadhafi, et une forte minorité estimant que le soutien des anti-Kadhafi renforce les courants terroristes type al Qaïda en Libye.).


Mis en ligne le 9 mai 2011 à 10H37