Le Lobby s’affole: que faire de Petraeus?

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Le Lobby, – ainsi est surnommé l’AIPAC pro-israélien, quintessence de la machine de guerre d’influence sans la moindre attention pour la réalité, – a mis quelques jours pour réagir à la réaction de l’administration Obama après la visite de Biden en Israël. Il faut dire qu’entretemps (le 16 mars) est intervenue la déclaration du général Petraeus, qui constitue un coup d’une gravité extrême pour les pro-israéliens.

Désormais, la contre-attaque s’organise. On en trouve trois exemples ci-dessous, qui constitue une réaction en deux lignes d’imposture consistant à ignorer l’intervention de Petraeus d’une part, à séparer Petraeus de son intervention d’autre part. Jolie tactique de subversion d’influence, sur laquelle l’AIPAC a des leçons à nous donner, à défaut de nous convaincre de la vertu d’Israël.

• Charles Krauthammer, neocon fameux, soutien indéfectible d’Israël, commentateur dans le journal prestigieux, “libéral” et objectif le plus pro-israélien qu’on puisse trouver, le Washington Post, nous expose en un texte fulgurant, ce 19 mars 2010, toutes les consignes d’AIPAC pour tenter son opération de “damage control”: il y a eu certes une gaffe d’un obscur bureaucrate israélien; Netanyahou s’en est excusé jusqu’à l’humiliation; les nouvelles implantations sont néanmoins justifiées; Obama a profité de cette affaire pour “comploter” contre Israël parce qu’Obama est un ami des ennemis de l’Amérique; Israël est le seul pays de la région à chercher désespérément la paix et la véritable “insulte” est de ne pas le croire conformément au catéchisme de l’AIPAC… Le général Petraeus? Inconnu au bataillon.

«Why did President Obama choose to turn a gaffe into a crisis in U.S.-Israeli relations? […]

»What reciprocal gesture, let alone concession, has Abbas made during the Obama presidency? Not one.

»Indeed, long before the Biden incident, Abbas refused even to resume direct negotiations with Israel. That's why the Obama administration has to resort to “proximity talks” – a procedure that sets us back 35 years to before Anwar Sadat's groundbreaking visit to Jerusalem.

»And Clinton demands that Israel show its seriousness about peace?

»Now that's an insult.

»So why this astonishing one-sidedness? Because Obama likes appeasing enemies while beating up on allies – therefore Israel shouldn't take it personally (according to Robert Kagan)? Because Obama wants to bring down the current Israeli coalition government (according to Jeffrey Goldberg)?

»Or is it because Obama fancies himself the historic redeemer whose irresistible charisma will heal the breach between Christianity and Islam or, if you will, between the post-imperial West and the Muslim world – and has little patience for this pesky Jewish state that brazenly insists on its right to exist, and even more brazenly on permitting Jews to live in its ancient, historical and now present capital?»

• Sur son site The American Thinker, le 19 mars 2010, Ed Lasky, relais archi-connu de l’AIPAC et des intérêts israéliens en même temps que spéculateur boursier à Chicago, démonte le “complot” anti-israélien d’Obama selon les mêmes lignes que le texte de Krauthammer, – signe que les consignes ont été bien distribuées et suivies. Il arrive à ridiculiser l’idée exprimée par Petraeus et partagée par le Joint Chief of Staff sans citer une fois dans son texte les mots “Petraeus”, “général” ou “Pentagone”…

«Obama's vaunted equanimity and judgment are not on display when it comes to the Israelis. Hugo Chávez, Syria's Basher Assad, the Chinese, and Iran's Ahmadinejad constantly humiliate America, and the administration does not make a peep. Instead, Obama reserves his ire for an ally. The minor public relations gaffe was a pretext that gave the Obama team an opening to criticize Israel again, and in very disturbing ways.

»But that was not enough. Barack Obama sent out Robert Gibbs and David Axelrod to spread the word on the airwaves that this dispute was somehow a threat to American servicemen – an absurd proposition at best, but one that would serve to inflame feelings against Israel. Remember: The administration had already heard an abject apology from Netanyahu and had a period of time to reflect and accept the outreached hand. Instead, gratuitous slaps followed.

»This happened just months after both the Israelis and Americans pledged to keep their disagreements private. The Israelis kept their end of the bargain. The Obama administration broke its pledge – not the first time they have done so with the Israelis. Friendships are built on trust, as are true and effective peace agreements. These are principles to which Barack Obama apparently does not subscribe.»

• Le Daily Telegraph, dans une démarche de coïncidence trop belle pour être vraie, nous donne, ce 19 mars 2010, un portrait flatteur de Petraeus comme magnifique candidat républicain pour la présidence en 2012. Des témoignages aussi respectables que celui de Steve Clemons sont sollicités… Mais pas un mot sur Israël (a fortiori, rien sur l’audition au Sénat du 16 mars).

«…Colleagues have begun to semi-seriously joke about the issue. At the annual Washington Alfalfa black tie dinner in late January Robert Gates, the Defence Secretary, was heard to remark that Gen Petraeus couldn't make it because “he had an engagement in Iowa”, where the first caucuses are held.

»“Everybody who knows him or spends time with him has always thought he would have a chance, and he does nothing much to dissuade them,” said Steve Clemons, a senior fellow at the New America Foundation and publisher of the Washington Note blog. “His closest advisers don't deny the logic or the suggestion,” added Mr Clemons, who recently attended a diplomatic Washington dinner party where Gen Petraeus wore business attire rather than uniform.

»John Feehery, a well-connected Republican strategist, said: "If Petraeus were to run, he would be a serious contender. “His positions on certain issues are not well known, but his leadership ability is well known and respected by the American people.”»

Notre commentaire

@PAYANT … Une tactique “en deux lignes d’imposture”, disons-nous. Détaillons les deux lignes, qui représentent une approche assez complexe, dont le but est clair, – éliminer l’“obstacle Petreaus”, c’est-à-dire séparer le général de ses déclarations, – surtout, surtout, sans se faire un ennemi de ce général si populaire, mais en l’avertissant tout de même… C’est un remarquable système dialectique d’influence, mais portant sur une matière très délicate à manipuler, et lui-même, ce système, fort lourd à manipuler parce que très grossier malgré son habileté.

• D’une part, ignorer purement et simplement le binôme général Petraeus-déclaration du général Petraeus au Sénat du 16 mars. Tout se passe comme si Petraeus n’avait rien dit, ni donné de briefing au Joint Chiefs of Staff le 16 janvier dernier. Cela fait partie des non-événements. Toute l’affaire est le fait d’un Obama, anti-israélien obsédé, sans doute antisémite, qui a inventé cette délirante proposition d’une politique israélienne qui aurait comme effet de mettre en danger la vie si précieuse de nos boysan absurd proposition at best»).

• D’autre part, lancer des ballons d’essai peints aux couleurs d’un Petraeus vertueux, c’est-à-dire peut-être président en 2012, avec avis de modérés qui vont bien, mais ignorants de la tactique (Clemons ignorait ce que le Telegraph allait faire de ses confidences), et bien entendu sans un mot des propos de Petraeus au Sénat, sur Israël. Message implicite à Petraeus: oui, il y a un bel avenir politique pour le général, surtout s’il se la ferme à propos d’Israël, – parce qu’alors, il aura, c’est promis, le soutien du Lobby, des neocons, de Netanyahou et de sa femme Sarah, et de tout le reste. (Le Daily Telegraph est un relais archi-connu, neocon et pro-israélien, – voir son édito où la raison politique dissimule mal l’hystérie pro-israélienne, du 18 mars 2010.)

On a dit l’habileté tactique de l’AIPAC et des relais israéliens pour donner une image acceptable des événements de ces derniers jours. Parlons maintenant de ce que cette habileté, avec le résultat d’une manipulation extrêmement complexe et vulnérable, nous dit de la situation. L’essentiel que nous apprenons, c’est qu’Israël et son Lobby ont une peur bleue de l’évolution des militaires US, et du virage public et tonitruant de Petraeus. Comme le note justement Andrew Bacevich, «[w] hat is striking is that Petraeus, hardly a political naif, should have endorsed [these judgements, that U. S. and Israeli interests diverge – sharply and perhaps irreconcilably] – and that he chose to do so at a moment when U. S.-Israeli relations are especially fraught…»

Effectivement, Petraeus est une bête politique, un expert formidable en relations publiques, qui a inventé et servi tout chaud pour la jubilation des neocons la “victoire” en Irak. (D’ailleurs, ce sont les neocons qui sont allé chercher Petraeus et l’ont, à leur tour et avant tout le monde, “servi tout chaud” à l’administration Bush à la dérive, à le fin de 2006, pour transformer radicalement la réalité catastrophique irakienne en une narrative victorieuse.) Effectivement, comme l’observe Bacevich, si Petraeus s’est totalement “mouillé” dans une attitude stratégique et fondamentale complètement anti-israélienne, c’est qu’il y a politiquement du grain à moudre, et que le vent tourne. Voilà qui affole le Lobby et ses divers archers, et conduit à des tactiques extrêmement acrobatiques où l’on saucissonne Petraeus, – d’un côté le Petraeus qui a parlé devant le Sénat, qui n’existe pas, – de l’autre, le Petraeus qui aura tous les soutiens qu’il veut en 2012, pourvu (sous-entendu) qu’il ne dise pas un mot contre Israël.

Mais Petraeus, l’avisé général qui ne s’embarrasse pas trop de convictions, a fait son choix, qui signifie que Moby Dick (le Pentagone) en a vraiment assez des incartades israéliennes. La cause, c’est toujours notre thèse, est que Moby Dick lutte pour sa survie, et qu’il n’y a plus de cadeau à faire à personne, – et Petraeus fait partie de ce système-là, du Pentagone. Objectivement, la politique israélienne est devenue une nuisance pour Moby Dick, dans la situation où il se trouve. Confirmons alors que cette situation est, pour le Lobby et pour Israël, bien plus inquiétante, bien plus grave, que toutes les déclarations, d’ailleurs à géométrie variable, de tous les Biden et Clinton du monde.


Mis en ligne le 20 mars 2010 à 09H42