Le Lord qui s'emportait

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Lorsqu’un ministre de Sa Très Gracieuse Majesté, un Lord de surcroît, et qui n’a pas sa confiance en soi dans sa poche, qui est connu pour sa hautaine maîtrise de soi et son ironie distante, lorsqu’un tel ministre s’écrie devant une assemblée chic, chez le consul général britannique à New York, en pleine assemblée transatlantique: «Who the fuck is he? How the hell are they doing?», – c’est alors que vous vous dites qu’il se passe quelque chose de considérale. Surtout lorsque ce ministre, qui est britannique, parle d’un Américain, grand patron qui a réussi (Comment traduirions-nous cette remarque salée? Quelque chose comme: “Pour qui il se prend, ce connard?!...”?)

Il s’agit de Lord Mandelson, parlant du grand patron (Howard Shultz) d’un grand groupe US de distribution de café (Starbucks). Voici comment le Guardian rapporte la très significative anecdote, le 19 février, après le Times du 18 février.

«During a cocktail party on Tuesday night at the penthouse flat of Sir Alan Collins, Britain's consul general in New York, Mandelson gave a speech lauding transatlantic trade, co-operation and understanding, to an audience of business people, diplomats and government officials.

»With good humour, he fielded questions from the Guardian about the prospects for British car factories run by struggling General Motors. But his smile slipped when asked about Schultz's dire diagnosis of British economics. “Why should I have this guy running down the country?” Mandelson asked. “Who the fuck is he? How the hell are they [Starbucks] doing?”

»It had been a hectic day for Mandelson who, along with the health secretary, Alan Johnson, had done the rounds of big pharmaceuticals companies such as Pfizer and Johnson & Johnson to assuage concerns about economic weakness affecting investment in Britain. During a visit to the Wall Street Journal, Mandelson had listened with frustration to dire assertions from members of the paper's editorial board on Britain's prospects. He had been peppered with questions about economic weakness during interviews on US radio and television.

»The Starbucks chairman's comments initially hit a nerve when Mandelson was at the studios of the television channel CNBC, waiting to be interviewed by Maria Bartiromo, the influential business anchor nicknamed the “money honey”. Mandelson heard Schultz cite Britain as the most worrying territory of all the 49 countries in which Starbucks operates. “The place that concerns us most is western Europe and, specifically, the UK,” said Schultz. “The UK is in a spiral.” Asked about his biggest concerns, Schultz said: “Unemployment, the sub-prime mortgage crisis, particularly in the UK, and I think consumer confidence, particularly in the UK, is very, very poor.”

»On screen, Mandelson quickly slapped down Schultz, saying it was ridiculous to project a slowdown in sales of lattes at Starbucks coffee shops on to the UK economy as a whole. “The UK is not spiralling, although I've noticed Starbucks is in a great deal of trouble – but that might be because of their over-expansion, given the state of the market.”»

Lord Mandelson, l’arrogance élégante faite ministre, avec son assurance idéologique pomponnée d’un certain cynisme très chic, son art de profiter du système en toute impudence et toute impunité, l’homme de Davos grandi dans la City, régnant sur la Commission européenne, revenu à Londres pour sauver le pays, grandi dans l’exaltation du marché libre et du libre échange, et des “very special relationships”... A ce dernier propos, nous dit The Guardian: «The torrent of transatlantic negativity seems unceasing. In US eyes, Britain is becoming the economic sick man of Europe, saddled with a busted flush of a currency and a banking industry regularly compared to Iceland's bankrupt financial system. British diplomats are increasingly alarmed at apocalyptic predictions by the US "commentariat" of economists, columnists and pundits who spread doom and gloom about the UK facing the worst recession of the G8 leading nations.»

L’incident nous en dit long sur deux choses qui ne sont pas à négliger, qu’il faut garder à l’esprit.

• Il est vrai qu’entre les deux grands partenaires transatlantiques, les deux “cousins” de l’anglo-saxonisme, les deux machinistes du meilleur des mondes de la doctrine hyper-libérale, les deux complices de l’affaire irakienne, les deux berceaux des maîtres du monde qui transitaient de la City à Wall Street et retour, il est vrai que cela ne va pas fort entre eux. Les deux pays-phares sont parmi les plus atteints. Un sentiment d’intense déroute, de révision déchirante, met à mal leurs arrogances transatlantiques, en plus de l’épuisante bataille contre l’effondrement du système. Ils se battent le dos au mur en entendant les lézardes terribles craquer dans le mur où ils sont adossés. Ils se critiquent l’un l’autre de plus en plus impitoyablement (surtout les US, des Britanniques) et ils supportent chacun de moins en moins les critiques impitoyables de l’autre (surtout les Britanniques, des US). Ainsi les vieux ménages, où l’apparente harmonie a tenu parce qu’on dissimulait mépris, jalousie et rancoeur, se défont-ils, lorsque les temps difficiles sont venus et mettent en cause le pot commun, – à coups de vaisselles cassées lancées au visage. C’est ce que la sortie de Lord Mandelson nous dit, comme première chose essentielle.

• La deuxième chose essentielle, c’est qu’ils commencent à perdre leurs nerfs. Ces hommes, affreusement condamnables, responsables et coupables à la fois, tout imbus de leur suffisance et désormais accablés d’une suffisance blessée, ces hommes qui nous dirigent sont aussi des hommes comme vous et moi, y compris Lord Mandelson. Ils travaillent comme des fous, à écoper avec une cuiller à café (du café Starbucks, sans doute) les cales sous eau du Titanic qui sombre. Ils sont psychologiqsuement épuisés, à aller et venir entre les discours, les mensonges, les vraies mauvaises nouvelles et les fausses bonnes nouvelles, les coups de téléphone des copains qui chutent en Bourse, les rencontres avec Sarkozy qui veut faire du protectionnisme, les notes de synthèse de leurs conseillers. Cet épuisement n’est pas feint. L’équilibre nerveux de nos dirigeants, placés devant une tempête dont ils refusent les causes et qu’ils ne parviennent pas à maîtriser, va devenir un sérieux problème de direction politique. Le plus grave sans doute est qu’ils doivent se battre contre un incendie qui a été allumé par ce qu’ils adoraient, et qu’ils vont devoir brûler ce qu’ils ont adoré, – ou disparaître.

L’Histoire est totalement impitoyable pour le petit homme, ou le petit Lord.


Mis en ligne le 19 février 2009 à 05H52