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30 septembre 2005 — L’un des aspects le plus grotesque de nos commentaires continentaux, c’est l’étiquette de “libéral”, — en tant qu’état d’esprit et caractère libéraux, — qui s’attache à l’image charmante et roborative que s’est fabriquée Tony Blair. Au travers du comportement du parti qu’il a lui-même façonné, le New Labour en congrès, Blair doit nous apparaître pour ce qu’il est devenu: un pur stalinien, — poudré, sémillant, plaisant aux dames, pur stalinien postmoderne. Ou bien, vu autrement, avec le couple de fer qu’il forme avec sa femme Cherie, une sorte de couple Ceaucescu new age, — le sang en moins (sauf celui des Irakiens) parce que cela fait des taches.
Certains, dans et autour du parti travailliste, commencent à juger gênante cette situation. Le rocambolesque et ridicule incident du vieux militant de 82 ans Walter Wolfgang, expulsé du Congrès du parti dans la minute où il criait “nonsense !” au discours de Jack Straw sur l’Irak, a au moins servi à donner du corps au malaise de ce parti qui triomphe depuis 1997 au Royaume-Uni. On conclura sur ce point que ce malaise ontologique d’un parti triomphant, au nom d’une doctrine triomphante si bien incarnée par un chef également triomphant, donne une mesure assez juste du malaise britannique et, au-delà, du malaise de notre système et de notre civilisation. Ces temps surréalistes permettent cette sorte d’enchaînement sans courir le moindre risque d’une erreur grossière sur la conclusion, — parce que ces temps surréalistes sont également grossiers dans les causes du malaise qu’ils provoquent.
Le parti de Tony Blair est organisé aujourd’hui à l’image de son chef : stalinien. Dans un long article sur le sujet, aujourd’hui dans le Guardian, John Harris rapporte cette scène ridicule et pourtant significative d’un Wolfgang expulsé, bientôt interdit de revenir dans la salle au nom des nouvelles lois antiterroristes, — c’est ajouter le grotesque à la grossièreté! — et s’installant debout sur une chaise devant l’entrée de la salle pour demander qu’on lui permette d’entrer: « Later that afternoon, I behold a strange scene at the main entrance: Wolfgang, perched on a plastic chair, quietly pleading to be allowed back in. As an embodiment of the New Labour era, it's perfect: the ghost of conferences past, surrounded by fluorescent-jacketed policemen shouting, “Move on quickly, please”, at anyone who stops for a gawp. »
Avec “stalinien”, un mot revient sous la plume, entêtant : orwellien (« ...from the flat-screen TVs like the output of Orwell's telescreens, there comes that noise: “Renewal ... Common endeavour ... Community ... Historic third term ... Renewal ...” »). On y trouve les consignes, données par des robots aux sous-fifres qu’on espère également robotisés: « What, you wonder, does the outside world make of the fact that repeatedly hailing the London Olympic bid is obligatory, but mentions of Iraq must be avoided? » Hélas, ou bien plutôt joie sans retenue: comme ces êtres grossiers ajoutent à leur lourdeur la crétinerie avérée, ils arrivent à se tirer dans les pattes. Catastrophe! Le brave vieux Walter Wolfgang, 82 ans, se trouve être également un juif allemand échappé des griffes nazies en 1938. Du coup, la gêne le cède à la panique et nous voilà lancés dans un exercice de damage control. Le stalinien Blair, ajoutant la tartufferie virtualiste à ses qualités bien connues et célébrées sur le continent, prend la tête de la croisade pour venir au secours de Walter Wolfgang. Non seulement on aura tout vu, mais le temps historique nous réserve mieux encore. Cette tartufferie anecdotique vaut citation parce que, après tout, elle nous dit plus que tout:
« The party high command ordered an immediate damage limitation exercise, as the controversy over his treatment brought Labour's annual conference to a disastrous end.
» Mr Wolfgang was manhandled out of his seat on Thursday after shouting “nonsense” during Foreign Secretary Jack Straw's speech and was even briefly detained under the Terrorism Act when he tried to return to the hall. When he was finally allowed in yesterday, he received a hero's welcome from delegates who gave him a standing ovation.
» Amid grassroots anger that it had been one of the most stage-managed conferences ever, Mr Blair found his round of end-of-conference interviews were overshadowed by the furore. The Prime Minister told the BBC: “People are perfectly entitled to freedom of speech in our country and we should celebrate that fact and I'm really sorry about what happened to Walter and I've apologised to him.” John Reid, the Defence Secretary, told the end-of-conference rally: “I am sorry about yesterday. I was on the platform. We didn't want it. It shouldn't have happened. It's not the way we do things in here.” »
“Stalinien” dans l’état d’esprit, le qualificatif n’est pas si exagéré. Au Congrès du parti travailliste, on trouvait des gens qui, exprimant un avis divergent, préféraient garder l’anonymat pour ne pas subir de “représailles”. Cas cité par John Harris : « And there's another feeling, which bangs against the orchestrated limits of conference like a headache: that after eight years of knuckling under and keeping quiet, the insistence on almost military discipline has started to become dysfunctional. At the first fringe meeting I visit, a Social Market Foundation event called to discuss whether Blair has “changed Britain for good”, a woman nervously takes the microphone to express her agreement with everything said from the platform by Clare Short. “I won't give my name or my constituency party,” she says, “because I'm very worried if word got out, I might be expelled. Our local people are like that.” On paper, the words look amusingly sarcastic. She actually follows them by bursting into tears. »
Le congrès du parti travailliste, le toujours New Labour, se termine d’une façon désastreuse (« a disastrous end », écrit The Independent). C’est en bonne part à cause de la ridicule aventure imposée au pauvre vieil homme, Walter Wolfgang. Cette cause dérisoire répond parfaitement à l’aspect dérisoire qui gouverne les situations monstrueuses que nos autorités installent. Tony Blair le stalinien en est un exemple achevé. Cet homme, qui avait tant de ces qualités qui peuvent faire un homme d’État, n’a cessé de céder toujours davantage, cédant à ses propres faiblesses, aux démons du système virtualiste: cause dérisoire, motifs inexistants, absence de sens, énorme machinerie d’essence totalitaire, évolution oppressive. Pourquoi Tony Blair le stalinien se retrouve-t-il stalinien? Les causes les plus banales peuvent être alignées, du pouvoir absolu (celui qu’il a en vérité) qui “corrompt absolument” à la fascination des paillettes et des gros cachets du système. L’ambition de l’homme d’État s’achève en dérision de l’apparence du virtualisme, — car Blair le stalinien est déjà fini, même s’il s’accroche encore assez longtemps pour que la toison abondante de Gordon Brown blanchisse, jusqu’à ce que Gordon Brown, le Poulidor de Blair, se fasse doubler sur la ligne d’arrivée par un intrigant ou par un révolté.
Le spectacle pitoyable est encore plus pitoyable parce que personne n’est vraiment méchant, même chez les plus impitoyables. Blair le stalinien est autant prisonnier du système que ne le fut pendant quelques heures le brave vieux Walter Wolfgang. L’inconséquence de son aventure politique grandira encore, chez lui et dans toute l’Europe où l’on continue à nous rabattre les oreilles de ses vertus abracadabrantesques, la révolte qui ne cesse d’enfler, de scrutin en scrutin. Ces gens sont les pires ennemis d’eux-mêmes.
Et Walter Wolfgang, profitant d’une subite et fugitive célébrité, peut au moins se payer Tony le stalinien dans les colonnes du Guardian ; et avancer, lui le Juif allemand qui échappa à Hitler, que l’inspirateur de tout cela, le système washingtonien avec son acolyte Blair-le-stalinien, ne vaut pas mieux que l’Allemagne dont il s’échappa en 1938. (Et grâce au cher vieil homme de 82 ans, on a tout de même parlé de l’Irak.)
« Tony Blair is the worst leader the Labour Party has ever had, Ramsay Macdonald included. Mr Blair's instincts are basically those of a Tory. He picked up this cause from the Americans without even analysing it. I suspect that he is too theatrical even to realise that he is lying.
» There was no justification for the conflict in Iraq. It isn't only that there were no weapons of mass destruction. The war was simply unnecessary. It was done in support of the United States.
» It has brought us to a turning point in history. When I was a child living in Germany in the late 1930s, with relatives who died in the concentration camps, things were very frightening. But the policy of the American government today frightens me too. And so does the attitude of the British Government. »