Le marais où s’enfonce BHO

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Le marais où s’enfonce BHO

28 juillet 2009 — L’évolution de la situation vers une tentative de “nouvelle politique étrangère” de l’administration Obama, notamment ce qu’on pourrait décrire, en nous référant à Harlan K. Ullman, comme le passage de la “politique de l’idéologie et de l’instinct” (en gros, le désordre maximaliste de l’époque Bush) vers une “politique de la raison”, apparaît de plus en plus difficile, voire de plus en plus compromis. On peut suivre l’évolution du cas en suivant l’évolution de la politique russe et celle de la politique nucléaire, qui rassemblent des grandes crises que doivent affronter les USA (par exemple, la crise iranienne, liée indirectement ou directement aux deux politiques citées).

On a eu, ces derniers jours, depuis l’interview Biden et ce qui a suivi, une mesure des difficultés de l’élaboration d’une telle politique pour l’évolution recherchée en principe, principalement dans le chef d’une équipe de politique étrangère pour le moins fractionnée. Un nouvel élément est apparu hier, avec la mise en évidence de l’attitude du Sénat US. La haute assemblée, glorifiée il y a cinq jours pour son attitude soi-disant réformiste dans l’affaire du F-22, pourtant bien plus incertaine qu’on ne dit, s’est montrée par contre prête à opposer une résistance obstructionniste particulièrement efficace face aux projets de traité stratégique nucléaire, notamment pour ce qui concerne toute concession faite aux Russes au niveau du système BMDE.

Une dépêche Associated Press, du 27 janvier 2009, résume l’affaire.

«The Senate is making it clear to the Obama administration that it will look askance at concessions, particularly on missile defense, that the United States might make to conclude a new nuclear arms reduction treaty with Russia. In several resolutions included in a defense budget bill passed late Thursday, the Senate went on record endorsing a missile defense system being considered for Eastern Europe that Russia detests, and warning against any arms treaty with Russia that puts limits on that system.

»President Barack Obama and Russian President Dmitry Medvedev, meeting in Moscow earlier this month, set a goal of reducing strategic warheads by about a third, to a range of 1,500 to 1,675. The intent would be to come up with a nuclear arms reduction pact to replace the Strategic Arms Reduction Treaty (START), which expires Dec. 5. But treaties must be ratified by 67 senators or two-thirds of those present, giving the Senate's 40 Republicans, with their traditional advocacy of a strong nuclear deterrent, rare leverage.

»Sens. Jon Kyl, R-Ariz., and Jeff Sessions, R-Ala., won voice approval Thursday of a nonbinding “sense of the Senate” resolution that the START follow-on treaty not include limits on ballistic missile defense, space capabilities or advanced conventional weapons. It also called on the president to report on the administration's plans to enhance the safety, security and reliability of U.S. nuclear weapons.

»On another voice vote, the Senate endorsed a resolution by Sessions and Sen. Joe Lieberman, I-Conn., expressing support for a ground-based midcourse missile defense (GMD) system in Poland and the Czech Republic. Alternative sites should be considered only if they are equally capable of protecting the United States and Europe from future long-range Iranian missiles, it said. Lieberman said the resolutions “are our way of sending a message both to the administration and to the Russians.” He said he is open to options other than Poland and the Czech Republic as sites for a missile defense system, including missile defense cooperation with Russia, but "not at the cost of in any way diminishing our security.”»

Tout cela n’est que pur obstructionnisme, basé sur une démagogie constante impliquant l’appel irrésistible à la montée aux extrêmes, ou à cette “politique de l’idéologie et de l’instinct” qui a totalement infecté le corps politique US. Bien plus qu’une doctrine, qu’une conception, – éventuellement néoconservatrice, – il s’agit du vertige de la parole facile se référant aux sentiments les plus vils et les plus primaires (la grotesque “promotion” de l’Europe de l’Est en une sorte de saint-martyre “that Russia detests”), de la pensée réduite à la pure vanité et à l’habituel vertige de la force, même quand cette force est partout en déconfiture. Tous ces parlementaires sont complètement irresponsables, minoritaires (les républicains) sinon isolés (Lieberman), mais nul ne résiste à la rhétorique enflée dont ils ne sont que les porte-paroles. Ils ne représentent pas grand’monde mais ils parlent finalement pour tout le monde. La loi budgétaire du Pentagone votée par le Sénat est donc truffée d’amendements restrictifs, dont la cible principale est le maintien à tout prix du réseau BMDE.

Pourquoi le réseau BMDE?

• Parce que c’est le système politique et stratégique le plus inutile, le plus vide de sens, le plus gratuitement déstructurant, donc finalement assez insensible à la plaidoirie de la raison. Les “arguments” qui le soutiennent sont indirects, donc effectivement très difficilement vulnérables à la critique rationnelle. Le BMDE est une dette d’amitié et de protection vis-à-vis de l’Europe de l’Est et donc une garantie contre l’impérialisme russe en pleine renaissance comme on sait (parabole surréaliste de la Russie affaiblie, rétrograde, obsolète, qu’on manipule comme on veut, à-la-Biden, engendrant dans un même souffle la Russie qui menace le monde civilisée, la démocratie et tout le reste). En même temps, il est la sauvegarde du monde civilisé face à la barbarie iranienne devenue miraculeusement hyper-sophistiquée avec des missiles tout prêts

• Appuyé sur une absence totale de rationalité stratégique, le BMDE rassemble tous les intérêts particuliers qu’on peut imaginer, du complexe militaro-industriel, en fort bonne forme malgré les avatars du F-22, aux divers réseaux publicistes d’influence, fortement marquée par l’idéologie de la communication entièrement acquise aux thèses les plus extrémistes. On se trouve dans le domaine du lobbying activant le plus pur instinct extrémiste. Les sénateurs divers s’y ébattent avec alacrité et la plus solide irresponsabilité qui soit.

Il est plus tard que tu ne penses…

La situation de ces négociations stratégiques (START-2) est déjà mise en cause au Sénat, et compromise d’une certaine manière, avant même que ces négociations aient débouché sur un cadre d’accord défini; pire encore, cette mise en cause touche l’aspect le plus polémique de la démarche (présence ou non des anti-missiles BMDE dans le traité, accord ou pas entre les USA et la Russie à ce propos). La situation commence à ressembler, dans l’esprit de la chose mais en bien pire, à celle du traité SALT-II (traité de limitation des armes stratégiques nucléaires) des années 1970, ébauché dans ses grandes lignes en 1974, signé en 1979 et qui ne fut jamais ratifié par le Congrès au long d’une épouvantable guérilla d’auditions et d’enquêtes, – avant que Reagan ne passe au traité START-1 (traité de réduction des armes stratégiques nucléaires), bouclé et ratifié en 1991. Le “bien pire” illustre le fait que, dans le cas de SALT-II, le Congrès n’entra en piste qu’une fois le traité signé, tandis qu’on assiste dans ce cas à cette intervention avant même qu’on ait connaissance du traité.

L’autre différence par rapport à la situation du temps de SALT-II où ce traité n’était qu’un aspect des relations d’ores et déjà établies entre les deux superpuissances, c’est que START-2 devient de plus en plus l’axe central d’une éventuelle ”nouvelle politique étrangère” de BHO, une sorte de point de départ si l’on veut. Il prend alors l’allure d’une référence structurante (si le traité est effectivement réalisé), dans la mesure où l’on voudrait en faire effectivement un cadre politique et stratégique originel pour cette “nouvelle politique”; dans ce cas, le cadre serait installé pour nombre d’autres situations en pleine évolution. Autour du traité, on trouve des références très fortes aux relations entre la Russie et les USA, bien sûr, mais aussi des références à une éventuelle nouvelle situation de sécurité européenne, une référence évident au BMDE évidemment, à la situation de la crise iranienne et à la question de la non-prolifération, enfin, bien entendu, aux questions nucléaires en général dont Obama fait également un axe essentiel de sa politique, etc. Une mise en cause de START-2 par le Sénat, comme on la voit se dessiner, met en question tous ces domaines, directement ou indirectement. C’est toute la politique étrangère qui est menacée, et toute initiative innovante freinée de façon radicale.

L’horizon ne cesse de s’obscurcir pour Obama. Cette opposition du Sénat n’en est pas une à proprement parler. C’est une manifestation obstructionniste pure, faite de multiples restrictions insinuantes, sans engagement affirmé mais qui caractérise bien cette situation d’enlisement général de la politique US, qui renvoie à ce jugement général désespérée de Neal Gabler qu’on détaillait le 22 juillet 2009. Il s’agit d’un enlisement grandissant, absolument épuisant, qui mine les résolutions les plus fermes et trouble les lignes politiques les plus droites.

On retombe à nouveau sur le constat inévitable accompagnant toute la politique d’Obama, – extérieure, mais aussi intérieure, dans certains domaines de lutte contre la crise. Lorsque Obama veut évoluer par des arrangements, des négociations, etc., il se heurte à cette situation “obstructionniste” absolument paralysante, insaisissable, qui l’enferme dans un marais politique. La seule issue pour lui est une affirmation de rupture, comme il l’a faite dans le cas du F-22, où il met tout son poids dans la balance pour l’emporter, et mettre le Sénat de son côté. Il l’a fait pour le F-22, pour un cas fort discutable et assez annexe dans ses effets, même si l’événement a été l’occasion d’une pompe remarquable. Peut-il l’envisager pour des cas beaucoup plus fondamentaux, comme ce traité START, qui met en cause d’autres politiques? Il en est, de toutes les façons, à un stade beaucoup trop peu avancé pour agir, alors que le Congrès développe sa stratégie nihiliste de l’obstruction. La faute d’Obama, dans ce cas, est de n’avoir pas (encore ?) imposé une ligne claire, notamment en obtenant l’aide de Moscou, en mettant sur la table d’une façon claire, pour la résoudre en tranchant, l’une ou l’autre polémique proche ou annexe (le système BMDE, ou bien les relations avec l’Ukraine e la Géorgie). Au contraire, il tergiverse et hésite. Dans le cas du BMDE, rien n’est dit de façon claire, et nul ne sait précisément où l’on va. Dans le cas de l’Ukraine et de la Géorgie, puis des relations avec Moscou dans ce cas, il a laissé se développer une situation de désordre avec le désordre au sein de son administration (l’interview de Biden suivi de l’intervention de Clinton), qui réduit son autorité et son crédit; parallèlement, il accentue la méfiance de Moscou. Avec sa tactique trop prudente, BHO se met à dos tous les acteurs du jeu, sans gagner le moindre avantage.

Le nouveau président US est d’ores et déjà menacé d’un enlisement dramatique. Il est train de se faire emprisonner par la situation paralysante de la crise du pouvoir à Washington, il est menacé de perdre l’initiative. Sa “politique de raison” est de plus en plus encalminée dans les restes de la “politique de l’idéologie et de l’instinct” qui se résume aujourd’hui à une tactique obstructionniste sans autre but que de l’empêcher d’avancer. Bientôt, nous en arriverons à un point où nous pourrons commencer à nous poser la question: “n’est-il pas trop tard”?