Le marché est roi, le désordre avec et nous en sommes tous les prisonniers

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Durant ces deux dernières semaines, depuis qu’il est devenu évident que le monde financier traverse une phase très difficile que certains nomment “crise” et d’autres “correction”, l’activité politique et de communication des élites et des dirigeants à propos de cette événement a été extrêmement réduite. On a vu le rôle volontairement très effacé de Bernanke, le président de la Federal Reserve. La seule intervention marquante ces derniers jours a été celle de Jean-Claude Trichet, le président de la BCE annonçant que les marchés revenaient à la normale alors qu’ils ne reviennent pas à la normale.

L’épisode est rapporté notamment par le Financial Times du 15 août :

«Renewed turmoil in global money markets sent stock prices falling around the world on Tuesday as traders ignored a declaration by Jean-Claude Trichet, European Central Bank president, that conditions were returning to normal.

(…)

»In an attempt to calm investors, Mr Trichet, speaking before US markets opened, said conditions “have gone progressively back to normal”. The bank is expected to press ahead with another increase in its main interest rate next month. The ECB and central banks pumped funds into the interbank lending markets at the end of last week after investors deserted short-term debt markets, making it much harder to raise short-term funds. The ECB on Tuesday made its fourth intervention since last Thursday. The €7.7bn ($10.4bn) injected was down from €47.67bn on Monday and €95bn put in on Thursday.»

(Faisons une une remarque en passant à propos de cette citation du FT: la déclaration de Trichet en forme de constat, — “les marchés reviennent à la normale”, — est présentée par le FT comme «une tentative de calmer les investisseurs». Alors, Trichet parle-t-il de la réalité ou bien s’agit-il d’une incantation? Les marchés reviennent-ils à la normale ou espère-t-il qu'en le disant ils reviendront à la normale? Dans tous les cas, c’est un lapsus révélateur de la part des journalistes du FT. Il s’agit bel et bien d’une bataille entre la réalité de la “crise”, si l’on est autorisé à parler de “crise”, et l’interprétation que le système entend en donner. C’est la méthode washingtonienne à propos de l’Irak appliquée à la situation financière.)

On voit aussitôt qu’à côté du silence et des positions volontairement affirmées de non-intervention, des interventions existent sous la forme d’injections de masses d’argent de la part des banques centrales. (La BCE a effectué quatre interventions tandis que la Federal Reserve s’en est tenue à une seule.) Ce contraste entre la réserve des positions politiques et les actes reflète l’ambiguïté de la philosophie générale en cours qui est, d’une part, d’affirmer que le marché doit se réguler tout seul, sans intervention extérieure (position réaffirmée de Bernanke), et des interventions financières officielles qui ont tout de même lieu et marquent l’inquiétude profonde des dirigeants.

D’autre part, ces interventions “qui ont tout de même lieu” peuvent elles-mêmes générer des tensions politiques. C’est le cas de l’intention annoncée de Trichet de relever les taux d’intérêt de la BCE. EUObserver.com du 15 août remarque :

«However, the ECB is set to come under strong pressure in some quarters not to raise the rates, particularly after the release yesterday of surprisingly weak growth figures for the 13-nation eurozone.

»The figures showed the region expanded by just 0.3 percent with Germany, France and Italy all recording poor growth.

»The figures may also exacerbate tensions between Mr Trichet and France's Nicolas Sarkozy with the French president already continuously criticising the bank for not doing enough for growth.»

La conclusion que l'on peut proposer est que le marché est bien le roi, que nous en sommes tous les prisonniers et que cette position est de plus en plus inconfortable par les contradictions qu’elle met à jour. On ne sait s’il y a réellement une “crise” financière en cours mais il est évident que les rapports de notre philosophie générale avec la réalité sont en eux-mêmes devenus une crise permanente.


Mis en ligne le 16 août 2007 à 10H18