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523…Certes, l’analogie est forcée, et presque inversée par rapport aux situations historiques respectives. Naguib était le chef des “Officiers libres” égyptiens qui renversèrent le roi Farouk en juillet 1952, instituant la république égyptienne. En 1954, Naguib fut forcé de démissionner par la pression du groupe Nasser, autre jeune “officier libre” qui tenait un rôle de n°2 dans le régime. L’explication politique de cette éviction tient à la proximité de Naguib avec les Frères musulmans, qui tenaient déjà leur place dans l’échiquier politique égyptien. Notre perception est aussi, et surtout, que la personnalité de Naguib ne pesait pas lourd face à celle de Nasser, comme la suite le prouva pour Nasser.
Notre perception est analogue pour le maréchal Tantawi, actuel chef des militaires égyptiens, qui nous paraît effectivement d’une personnalité trop faible pour résister bien longtemps à la tête des militaires égyptiens lorsque certaines forces se seront regroupées, – ce qui est, en fait, le sujet de ce Bloc Notes. Là où l’analogie cesse de valoir, c’est avec le fait que Tantawi n’a rien de l ‘“Officier libre” qu’était Naguib, et que sa faiblesse politique n’est certainement pas d’être trop proches des Frères musulmans, mais peut-être de n’en être pas assez proches. Mais notre analogie est de l’ordre du psychologique et la psychologie de Tantawi nous semble trop faible, trop corrompue pour la suite.
Ce qui justifie cette introduction est la publication de nouvelles selon lesquelles il existerait au sein de l’armée des forces opposées à la ligne Tantawi (cette “ligne” plutôt en pointillé, sorte de salmigondis de ligne néo-moubarakienne nuancée d’arrangements de circonstance). La chose est apparue lors des dernières manifestations de la place Tahrir, où l’on put entendre des officiers proclamer leur soutien aux mouvements de contestation. Le site Arabist.net développe une rapide analyse de la chose, en s’appuyant notamment sur un article du Dr. Springborg, publié le 6 décembre 2011 sur le site Egypt Independent, suivi d’un article du même site, le 7 décembre 2011, sur des coupures de censure qui avaient été imposées à ce texte. C’est moins cette polémique qui nous intéresse que le fond du sujet qui est ainsi mis en évidence, et qui est présenté le 9 décembre 2011, par le site Arabist.net, sous le titre “Existent-ils des rebelles au sein des militaires égyptiens ?”
«In light of the Springborg Affair — the above video offers some insight into the thinking of the rebel military officers that made an appearance at Tahrir Square and the wider question of the relationship between SCAF and the rank-and-file. In his editorial that caused issue number two of Egypt Independent to be banned (it also carried my op-ed on Kamal Ganzouri), Robert Springborg (a leading expert on the Egyptian military) wrote that there was mounting resentment of Field Marshall Tantawy. The Index of Censorship has more details:
»The article, entitled “Is Tantawi reading the public pulse correctly?”, said that Field Marshal Hussein Tantawi, who leads Egypt’s ruling Supreme Council of the Armed Forces (SCAF), could share the same fate as former president Hosni Mubarak and find himself in jail as a result of popular discontent with his management of the revolution’s transition process.
»“Many in the military resent the reputation of their institution being abused by the Field Marshal and his 19 colleagues on the SCAF … the present rumblings of discontent among junior officers, Chief of Staff General Sami Anan’s greater popularity than the Field Marshal in the military and among Egyptians as a whole, and intensified pressure from the US could all result in the Field Marshal sharing President Mubarak’s fate,” Dr Springborg wrote in the original version of the article.
»Dr Springborg concluded by saying that “discontented officers not in the SCAF might decide that a coup within the coup would be the best way to save the honour of the country and their institution.”»
C’est une question intéressante que celle de la situation et de l’unité de l’armée égyptienne dans ces temps de transition évidemment troublés. Nous nous sommes déjà largement intéressés à cette question, qui a commencé à se poser dès les évènements de janvier-février, où il était apparu que l’armée égyptienne était loin d’être monolithique (voir notamment notre F&C du 15 février 2011.) Des signes dans ce sens continuent donc à être observés, alors que Tanwani apparaît de plus en plus comme une personnalité dénuée des qualités qui lui permettraient d’imposer une situation qui porterait sa marque, qui imposerait la sensation d’une rupture, même s’il s’agissait de poursuivre au moins en partie l’orientation du régime Moubarak. Tanwani apparaît comme une personnalité de transition, sans charisme ni capacité d’imposer son style, – d’ailleurs, et ceci expliquant cela, une personnalité dénuée de style. On parle ici de l’impact psychologique qu’un homme est capable ou non d’imposer à un peuple, qui permet de faire passer plusieurs éléments qui ne rencontrent pas les exigences populaires. En ce sens, le maréchal Tanwani n’a jusqu’ici fait que réagir aux évènements, sans initiative décisive de sa part et il ne semble par conséquent pas fait pour durer ; par conséquent encore, la prédominance qu’il voudrait conserver pour l’armée manquerait toujours, avec lui, d’une sorte de légitimité qu’arrivent à imposer les personnalités fortes. (Tout cela, toujours sans tenir compte de la politique choisie, qui est toujours, dans le cas d’une personnalité forte placée devant une telle situation difficile que connaît l’Egypte, un mélange de décisions fermes et d’habiles compromis, les premières gouvernant les seconds, – par conséquent une politique nouvelle à construire.)
Dans de telles conditions et compte tenu des dissidences signalées et des hypothèses sur les divisions à l’intérieur de l’armée, la possibilité d’un remplacement de Tanwani, un “coup” sous une forme ou une autre, constitue une possibilité très sérieuse. On retrouve, dans ce cas, l’analogie Naguib-Nasser, toujours du seul point de vue des personnalités. Un tel prolongement aurait nécessairement une coloration nationaliste, avec affirmation nationale, là aussi comme dans le cas Naguib-Nasser, car il s’agit bien là de la seule orientation qui permettrait à l’armée égyptienne de retrouver un peu du crédit qu’elle a perdu depuis janvier-février. Quant aux rapports entre l’armée et les Frères musulmans dans une telle hypothèse, ils seraient certes différents de l’analogie évoquée, qui n’en est plus une dans ce cas ; la plus grande probabilité serait qu’une réaffirmation nationaliste active de l’armée devrait se faire en coopération, sinon dans une situation de partage de pouvoir, avec le courant islamiste. De telles possibilités seraient nécessairement appuyées, comme nous l’estimons depuis l’origine des troubles en Egypte, sur une politique extérieure nationale réaffirmée, avec comme axe principal la confirmation d’une évolution déjà engagée de rupture des liens privilégiés entre l’Egypte et Israël, qui reste la seule rupture nécessaire par rapport au régime Moubarak pour acter effectivement la fin définitive de ce régime. Ce point est plus que jamais, au-delà des spéculations sur les aléas d’une situation plus ou moins démocratique, la condition sine qua non, d’une façon ou l’autre, de la restauration de la stabilité en Egypte.
Mis en ligne le 12 décembre 2011 à 05H54