Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
40228 novembre 2019 – Je reviens, “dans la foulée” comme l’on dit, sur l’interview d’hier de Macron, dans The Economist, tel que présenté sur ce site. Ce qui est remarquable et significatif à la fois, c’est que deux réactions de lecteurs ont, elles, manifesté deux réactions inverses, et cela me donne le sujet d’une réflexion, disons sur “l’esprit de la chose” et sur la manière d’en traiter.
Je signale rapidement ces réactions pour en sortir la perception que j’en ai eue, et ce qu’il y a lieu d’en faire, IMO comme dit le colonel Lang.
(Ce “IMO” [In My Opinion] ne cesse de me ravir chez cet ancien officier de la DIA habitué aux acronymes si courants chez les militaires US , cela en toute estime, puisque je trouve que ce colonel-là dit si souvent des choses sensées qu’on ne trouve guère au Pentagone.)
• La première opine quant à l’importance qu’il faut accorder à cette intervention de Macron, mais une importance dont nous n’avons manifestement pas exploré, nous autres à dedefensa.org, toute la profondeur ; puisque, nous est-il asséné sur le ton assuré d’un cours magistral de la Sorbonne ou de l’ENA, « Mieux vaut aller à l’original, plutôt que d'en rester à ce que tel ou tel média ou organe de presse a pu choisir d'en glaner. »
• La seconde, furieuse et emportée, remet les choses au point dans une perspective où les grandes lignes et l’identité des maîtres du monde sont rappelées à nos esprits un peu léger pour nous faire comprendre ce qui se passe. Il ne faut pas oublier qu’Israël et les neocons mènent la danse, et c’est là qu’est la source unique, claire et incomparable de l’intervention-Macron, comme de tout ce qui s’est passé depuis 9/11 et les vingt siècles qui ont précédé. On conclut donc :
« On peut penser que Macron agit comme un couillon dans cette affaire d'OTAN laquelle en apparence semble bien fondée (oui l'OTAN est obsolète depuis longtemps), mais n'a en fait pour ressort que l'influence néo-con (coucou Jacques Attali).
» Et les néo-cons ne veulent pas que la France sorte de l'OTAN.
» Bref, une probable énième tempête dans un verre d'eau venant de notre grand communicant en chef. »
Je ferai très rapidement le ménage, qui est de m’abstenir de répondre en détails et en arguments à ces deux types de remarque allant dans deux sens opposés, donc aucun n’est celui de ce site. Chacun chasse sur ses terres. Pour l’importance d’« aller à l’original » pour comprendre toute la puissance d’une pensée, je rappelle ce qu’il en fut de la précédente sortie de Macron, du 27 août (« Nous sommes sans doute en train de vivre la fin de l'hégémonie occidentale sur le monde »). J’avais ditégalement ce que je pensais de la forme après être pour une fois “allé à l’original”, ce qui se trouvait aussi bien chez notre ami Hervé du Sakerfrancophone, relevant effectivement cette même phrase remarquable sur “la fin de l’hégémonie occidentale” mais observant après être également “allé à l’original” : « Il ne doit rester [à l’Élysée] que des stagiaires pour la maintenance du site ou alors la torpeur estivale aura affaibli l’équipe éditoriale car personne ne semble avoir pris deux minutes pour nettoyer le texte de ces incohérences, phrases incompréhensibles, fautes diverses... »
Quant à l’action des Israéliens et des neocons pour expliquer tous les mystères du monde, je dois avouer une certaine lassitude intellectuelle, avec parfois une petite nausée, tant cette sorte de diktat ressemble à une censure de l’esprit pour grandes surfaces et Prisunic, – anti-système (*) si à l’aise dans le Système. Je transfère le dossier à “Disney-complotisme-Epstein”, et en viens à l’essentiel du propos.
Au contraire de celle du discours du 27 août, la phrase de Macron dans The Economist (« Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’OTAN ») a aussitôt percuté... Diantre ! c’est en english-speaking, et puis The Economist, ce n’est pas rien comme diffusion, façon Bible-postmoderniste de concert avec le Financial Times. Ainsi avons-nous aussitôt le coinstat irréfutable que cette phrase a été accueillie chez nombre de commentateurs-Système avec un catastrophisme certain et aterré, celui de la trahison insupportable et abominable ; cela donne bien à la dite-phrase l’importance d’un tonneau rempli de poudre avec une mèche qui commence à sentir le roussi. Les phrases qui dérangent, on les banalise dans les extrêmes, – aussi bien les anti-système (*) que les zombieSystème, chacun bloqué dans sa haine-panique spécifique.
Ici, je donne un aperçu des réactions-Système, venues des experts tous zombies-certifiés et exprimant sans le moindre doute possible l’extraordinaire banalité conformiste du PC-Système, mais furieusement exprimée comme si l’on était poète et révolutionnaire, à l’image du commentaire de la Merkel cabossée de tous les côtés et parvenant à maintenir à flot son non moins extraordinaire degré de banalité-médiocre, ou de médiocrité-banale j’hésite. (Merkel : « Je ne pense pas que des jugements aussi radicaux soient nécessaires, même si nous avons des problèmes et que nous devons nous serrer les coudes. L'OTAN reste vitale pour notre sécurité. »)...
Bref, bref florilège d’experts-Système venu de Sa Grandeur, The New York Times :
« François Heisbourg, un expert français de la défense, a déclaré que M. Macron, qui aime parler, “parle comme un expert politique détaché des réalités politiques” et non comme le leader d'un allié clé de l'OTAN. M. Heisbourg a qualifié les propos de M. Macron de “bizarres” et de “dangereux” pour un chef d'État.
» Les commentaires de M. Macron “seront vraiment dommageables pour l'OTAN et pourraient être saisis par ses opposants, y compris Trump”, a écrit sur Twitter Thomas Wright, un chercheur principal à la Brookings Institution de Washington.
» Il a qualifié l'entretien de “délibéré, provocateur et catastrophique” et a ajouté que M. Macron “agit de plus en plus unilatéralement sans coordination avec le reste de l'UE ni même sans informer ses propres fonctionnaires et collègues gouvernementaux”.
» Ulrich Speck, un analyste allemand, a déclaré dans un tweet : “Avec Macron qui dit que l’OTAN est ‘en état de mort cérébrale’, on comprend mieux ce que signifie pour lui ‘autonomie stratégique’ : Une Europe sans OTAN.” Ses paroles semblaient aussi “un défi direct lancé à Berlin”, a dit M. Speck.
» Shashank Joshi, rédacteur en chef de la défense de l'Economist, a déclaré : “Je n'arrive pas à imaginer comment Macron aurait pu trouver une plus grosse bombe-puante à lancer sur l’OTAN avant le sommet des dirigeants de Londres en décembre. Des mots extraordinaires, et un timing extraordinaire.” »
Je suis assez rassuré. Si Heisbourg, que j’ai un peu connu dans les années 1980 comme un parfait expert-Système (soyez rassuré, il ne se souvient plus de moi), si Heisbourg donc dit ce qu’on lit, c’est que la phrase de Macron tombe à pic et fait du dégât. Je parle bien de “la phrase”, comme je parlais d’“une phrase” pour le discours du 27 août, car c’est à cela, chaque fois à une phrase, que se ramène, 1) la perception de ce qu’a dit Macron ; et 2) les réactions fondamentales qui en découlent. Ainsi vont les choses aujourd’hui, à l’ère de la communication ; “aller à l’original” dans le domaine du politique et pour la sphère du bloc-BAO qui représente notre-civilisation et toutes ses valeurs, c’était une bonne chose du temps de De Gaulle, de Talleyrand ou de Bossuet ; aujourd’hui...
C’est-à-dire que, par quelque moyen que vous arriviez à la phrase-clef, par recherche effrénée ou par promotion immédiate, sachez que c’est la seule qui sera sortie du texte et restera comme significative et signifiante à la fois. J’ignore à quoi pensait Macron lorsqu’il a sorti ses deux phrases, – « Nous sommes sans doute en train de vivre la fin de l'hégémonie occidentale sur le monde »le 27 août et « Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’OTAN » le 7 septembre, – et d’ailleurs soyez complètement assuré que je me fiche bien de savoir “à quoi pensait Macron”. Seules comptent les phrases dirais-je en bon logocrate qui connaît la musique, hors de “l’original” et de l’axe neocon-Israël, et les dégâts que ces phrases produisent dans des esprits dressés à percevoir extrêmement court et uniquement par rapport à la ligne du Parti.
Je me demande même si Macron pensait, dans le sens-Système de la chose, s’il n’a pas sorti ses phrases un peu comme un Candide, sans penser à mal ni plus loin que le bout de son nez. J’aime bien la version anglaise du jugement de Heisbourg, qui est certainement de Heisbourg lui-même tant on speak think-tanker dans son monde, traduite sans le même tonus signifiant parce qu’il n’y pas d’équivalent franchouillard de la chose, par “Macron parle comme un expert politique détaché des réalités politiques“ : Macron “is speaking like a policy-detached think-tanker” ; cette phrase dans cette langue, qui implique vraiment, au bout du compte, cette signification-là : Macron parle comme s’il n’avait pas lu les consignes (les “éléments de langage”). La phrase heisbourienne devrait donc être vraiment traduite par “Macron parle comme un expert du Parti qui n’a pas lu les consignes du Parti, qui ignore la ligne du Parti et qui s’en éloigne catastrophiquement”... “Comme c’est bizarre”, ajoute Heisbourg, bien dans l’air du temps.
Autrement dit, bon an mal an, parce qu’il a bien visé ou parce qu’il a glissé qu’importe, Macron a mis un sacré coup de pied dans la fourmilière pourrie du bloc-puant-et-BAO. C’est comme ça, il faut vivre avec. Ce Macron ne m’a jamais été plus sympathique qu’à nombre d’entre vous, et il m’a paru parfois absolument détestable. Mais c’est bien lui qui a envoyé le coup de pied ; alors, on applaudit et on dit “bravo l’artiste”, en souhaitant qu’il continue ses sottises de Candide irresponsable, – “Candide irresponsable”, la pire chose qui puisse arriver au Système.
(*) Pour moi, un anti-système n’est pas un antiSystème, et les différences dans les assemblages de mots, l’emploi des majuscules, etc., portent une signification intrinsèque. C’est la différence entre la pause bloquée dans un sentiment souvent extrême, et menacée de devenir simulacre (anti-système), et l’essence même d’un combat dont on a juré qu’il est vital et sans retour (antiSystème). Cette évolution sémantique, sinon micro-sémantique, contredirait parfois aujourd’hui ce que j’écrivais il y a dix ans ; mais alors, la crise n’avait pas évolué au point où elle en est aujourd’hui, où l’on distingue autant d’épines de ronces chez les anti-système qu’il y a de vipères souvent paresseuses et parfois trop-Candide chez les zombieSystème.