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164327 décembre 2008 — La “trêve des confiseurs” est, comme son nom l’indique, une période d’armistice. Pendant que l’économie poursuit sa chute accélérée selon les préceptes de la crise en cours, les nouvelles se font plus rares et le commentaire se détache de l’actualité. Le champ est laissé libre à la réflexion à plus long terme. Cette réflexion concerne notamment, et évidemment certes, l’état de notre conception du monde et, plus précisément, l’état de la “doctrine” économique, ou de l’idéologie tout court, qui caractérise notre conception du monde, crise comprise bien entendu. Bref, nous commençons à penser l’“après-crise”, ce qui est une bonne façon de se rassurer en tenant évidemment pour acquis qu’il y a un “après la crise”; ce n’est pas vraiment notre sentiment mais quoi, faisons “comme si”….
Pour l’immédiat de “la réflexion à plus long terme”, voici Robert Reich, dans son billet du 24 décembre, sur son blog personnel; il définit techniquement cette réflexion, de cette façon, en annonçant des lendemains pleins de débats houleux. Reich parle de la situation aux USA, la crise financière à Wall Street et l’exemple économique proéminent de l’industrie automobile à Detroit; mais la réflexion vaut plus largement, pour toute l'orientation structurelle de l'économie elle-même.
«The emerging debate over Wall Street's and the Big Three's ongoing obligations to reform themselves is but one part of a much larger national debate we'll be entering upon in 2009 and beyond -- whether the economic crisis we're experiencing is basically cyclical (in which case, nothing really needs to change over the long term, after the economy gets back on track) or structural (in which case, many aspects of our economy and society will needs to change permanently).»
Cette perspective de débat est éclairé, enrichi ou compliqué c’est selon, par l’apparition d’un nouvel acteur. Il s’agit du GSD, ou Global Social Democracy, qui nous est longuement présenté par un commentateur, Walden Bello, professeur de sociologie à l’université de Manille, aux Philippines. Il s’agit d’un article publié sur le site de Foreign Policy In Focus, repris par CommonDream.org le 24 décembre, sous le titre: «The Coming Capitalist Consensus»… En fait de “coming”, il semblerait qu’il s’agisse d’ores et déjà d’une affaire faite et entendue. Nul besoin de nous consulter ni de se consulter, le GSD est parmi nous. Il entérine un décès acquis depuis longtemps et propose une formule de substitution.
(Le décès est celui du soi disant “Washington consensus” , que nous tentions de définir de cette façon, dans un F&C du 26 juillet 2006 : «“Washington consensus”: cette expression désigna dans les années 1990 l’accord général des puissances et des grandes institutions pour le multilatéralisme et la globalisation. Il ne s’agissait donc que d’un faux-nez multilatéraliste et globalisant pour perpétuer la domination américaniste établie durant la Guerre froide. En donnant aux divers vassaux, porteurs d’eau et autres analystes de la City de quoi garder la bonne conscience d’une apparence d’égalité formelle, il permettait de perpétuer des accords généraux sur lesquels les USA avaient la haute main. Ce n’était pas si mal trouvé.»)
Donc, le «Coming Capitalist Consensus» remplacerait le Washington consensus? Voyons cela. Le GSD pourrait être défini, après tout, comme une sorte de “capitalisme à visage humain”, voire un “capitalisme à visage fardé” de couleurs sociales. L’auteur termine son propos en observant, à l’intention des “progressistes de tous les pays”: «Like the old post-war Keynesian regime, Global Social Democracy is about social management. In contrast, the progressive perspective is about social liberation.» Il l’avait commencé, son propos, en observant que l’époque ne pouvait pas ne pas déboucher sur des perspectives révolutionnaires, et que la principale d’entre elles, ou plutôt la plus raisonnable d’entre elles, est sans aucun doute le GSD…
«Not surprisingly, the swift unraveling of the global economy combined with the ascent to the U.S. presidency of an African-American liberal has left millions anticipating that the world is on the threshold of a new era. Some of President-elect Barack Obama’s new appointees – in particular ex-Treasury Secretary Larry Summers to lead the National Economic Council, New York Federal Reserve Board chief Tim Geithner to head Treasury, and former Dallas Mayor Ron Kirk to serve as trade representative – have certainly elicited some skepticism. But the sense that the old neoliberal formulas are thoroughly discredited have convinced many that the new Democratic leadership in the world’s biggest economy will break with the market fundamentalist policies that have reigned since the early 1980s.
»One important question, of course, is how decisive and definitive the break with neoliberalism will be. Other questions, however, go to the heart of capitalism itself. Will government ownership, intervention, and control be exercised simply to stabilize capitalism, after which control will be given back to the corporate elites? Are we going to see a second round of Keynesian capitalism, where the state and corporate elites along with labor work out a partnership based on industrial policy, growth, and high wages – though with a green dimension this time around? Or will we witness the beginnings of fundamental shifts in the ownership and control of the economy in a more popular direction? There are limits to reform in the system of global capitalism, but at no other time in the last half century have those limits seemed more fluid.
»President Nicolas Sarkozy of France has already staked out one position. Declaring that “laissez-faire capitalism is dead,” he has created a strategic investment fund of 20 billion euros to promote technological innovation, keep advanced industries in French hands, and save jobs. “The day we don’t build trains, airplanes, automobiles, and ships, what will be left of the French economy?” he recently asked rhetorically . “Memories. I will not make France a simple tourist reserve.” This kind of aggressive industrial policy aimed partly at winning over the country’s traditional white working class can go hand-in-hand with the exclusionary anti-immigrant policies with which the French president has been associated.
»A new national Keynesianism along Sarkozyan lines, however, is not the only alternative available to global elites. Given the need for global legitimacy to promote their interests in a world where the balance of power is shifting towards the South, western elites might find more attractive an offshoot of European Social Democracy and New Deal liberalism that one might call “Global Social Democracy” or GSD.
»Even before the full unfolding of the financial crisis, partisans of GSD had already been positioning it as alternative to neoliberal globalization in response to the stresses and strains being provoked by the latter. One personality associated with it is British Prime Minister Gordon Brown, who led the European response to the financial meltdown via the partial nationalization of the banks. Widely regarded as the godfather of the “Make Poverty History” campaign in the United Kingdom, Brown, while he was still the British chancellor, proposed what he called an “alliance capitalism” between market and state institutions that would reproduce at the global stage what he said Franklin Roosevelt did for the national economy: “securing the benefits of the market while taming its excesses.” This must be a system, continued Brown, that “captures the full benefits of global markets and capital flows, minimizes the risk of disruption, maximizes opportunity for all, and lifts up the most vulnerable – in short, the restoration in the international economy of public purpose and high ideals.”
»Joining Brown in articulating the Global Social Democratic discourse has been a diverse group consisting of, among others, the economist Jeffrey Sachs, George Soros, former UN Secretary General Kofi Annan, the sociologist David Held, Nobel laureate Joseph Stiglitz, and even Bill Gates. There are, of course, differences of nuance in the positions of these people, but the thrust of their perspectives is the same: to bring about a reformed social order and a reinvigorated ideological consensus for global capitalism.»
Le GSD se décline donc selon les normes suivantes: le capitalisme est sauvegardé, notamment l’autorité fondamentale laissée aux “marchés”; la globalisation est (ré)affirmée; l’interventionnisme de l’Etat est (ré)affirmé, mais comme instrument au service de la globalisation pour réguler celle-ci, ce qui implique de placer la nation au service de la globalisation; en bref, une globalisation soft pour le mode d’exécution, avec un capitalisme social-démocrate, mais pur et dur sur les principes. On retrouve dans la formule la mouvance du socialisme fabien, typiquement britannique (travailliste), avec Gordon Brown engagé dans ce courant.
(On retrouve également George Soros, pour lequel il n’est pas du tout inutile de lire le dossier que lui a consacré l’équipe Larouche, affirmant une connexion entre les fabiens britanniques et Soros. Ce dossier “positionne” Obama comme manipulé par cette faction, au contraire d’Hillary Clinton, qui défendrait une vision rooseveltienne des réformes à réaliser. Néanmoins, LaRouche constate le 12 décembre une orientation inattendue de la présidence Obama, avec la présence massive des “clintoniens”, Hillary en tête, qu’il place en opposition aux manœuvres supposées de Soros; plus que jamais, Obama est un cœur à prendre, aux prolongements imprévisibles. Dans le dossier Larouche, le dernier chapitre, qui démonte l’historique de la nomination de Roosevelt comme candidat démocrate en juillet 1932, est également très intéressant.)
Nous nous trouvons dans une période “intra-révolutionnaire”, lorsque le coup déstabilisateur révolutionnaire a eu lieu et a pris son cours tumultueux, lorsque les réformistes tentent de détourner à leur avantage le flot ainsi libéré. Mais cela suppose que l’“ancien régime” (l’ultra-libéralisme non régulé) a été liquidé. Ce n’est pas le cas, et là se trouve le dilemme. Le cadavre respire encore, comme le montre la remarque de Robert Reich.
Un lecteur (“Jeff”) de Robert Reich prolonge cette remarque en remarquant à son tour, en commentaire du billet de Reich et s'adressant à Reich, dans une envolée typiquement maistrienne qui implique que le comte Joseph a des adeptes (involontaires?), même aux USA:
«The bailouts were “supposed” to change thing structurally? I don't think so. They were designed to be a finger in the dike. If conditions make the dam break, then we will see some painful structural changes. If the dam doesn't break and the cycle turns upward quickly, there well be no structural change.
»The debate amongst smart people like yourself does not matter at this point. Events will decide the general direction of reform.»
Le mouvement GSD a pour lui une excellente entreprise de relations publiques, à commencer par le sigle GSD. Ce n’est pas pour surprendre, de la part de l’influence britannique de la chose. La logique de ce mouvement explique notamment la position de Gordon Brown depuis la crise, son tournant interventionniste extrême et son insistance tout aussi extrême pour conserver toutes les structures libre-échangistes.
Il est intéressant que ce mouvement, le GSD, se dévoile maintenant. Il est très probable qu’on verra une poussée promotionnelle du GSD à Davos, au séminaire du même surnom, au début de l’année, avec le soutien affirmé du Financial Times et de ce qui reste de la City, qui épousent à fond cette initiative qui a tant de références britanniques. Mais cette rapidité à affirmer les positions d’un «Coming Capitalist Consensus» est peut-être un peu trop… rapide. Il n’y a pour l’instant aucun consensus entre les différentes tendances capitalistes et rien en vue de ce genre, et la situation décrite par Reich montre d’une façon extrêmement convaincante qu’une frange très importante de l’“ancien régime” ne se tient aucunement pour battue. Le GSD souffre des tares de tous les Kerenski du monde: traîtres à l’“ancien régime”, ils sont également détestés par ceux qui ont soutenu le mouvement radical de mise en cause de l’“ancien régime”. Qui plus est, l’apparition du GSD divise, un peu trop vite également, le front capitaliste; elle va susciter des batailles internes qui ne peuvent qu’affaiblir ce front, c’est-à-dire le capitalisme lui-même.
Dans sa description des situations tactiques, le professeur Walden Bello place Sarkozy et la France dans une curieuse position définie comme «a new national Keynesianism along Sarkozyan lines»; c’est une définition selon des normes anglo-saxonnes et économistes, dont on sent bien qu’elle est tenue en piètre estime, qui ne tient aucun compte de la signification politique impliquée. En fait de “keynésianisme” très britannique, les Anglo-Saxons pourraient s’aviser que le “colbertisme” a précédé la chose de quelques siècles et que c’est lui qui est en action dans le contexte français. Le même contexte français a effectué une démonstration fort aisément, de la nécessité européenne de l’affirmation politique des nations, à cause de la légitimité impliquée, dans un contexte de bataille contre la crise; il a démontré l’incapacité et l’impuissance, par manque tragique de légitimité politique, des institutions multi- ou supranationales (Commission européenne, FMI, etc.) dans la bataille contre la crise; c'est ennuyeux parce que ces organes devraient avoir une place essentielle dans le schéma GSD. La réhabilitation politique, et pas seulement interventionniste, de l’Etat serait un argument suffisant pour que l’Etat accepte d’abandonner toutes ses prérogatives au profit d’une globalisation type-GSD? L’argument est un peu court, et il l’est d’autant plus que le transfert est impossible. L’Etat ne peut transférer à autrui ce qui lui est propre.
Les doctrinaires de la foi capitaliste, qui sont prêts à se muer en réformistes pour sauver l’objet de la foi, ne semblent toujours pas avoir compris la substance du phénomène réactif à la crise qui s’est manifesté en septembre-octobre. L’interventionnisme de la puissance publique n’est pas une doctrine, c’est un moyen d’action; comme tous les moyens d’action, il n’a d’efficacité que si l’action est légitimée; c’est-à-dire qu’il n’est rien si l’action n’émane pas de l’Etat en tant qu’entité politique légitime. En l’occurrence, l'action fut légitime parce que, nolens volens, elle fut couverte par la légitimité de la puissance publique. Dans la situation présente, aucune autre organisation ou “collectivité” ne peut y prétendre. L’Etat et sa capacité d’interventionnisme restent un acteur essentiel de la crise, et le plus à l’aise parce que l'Etat n’a pas besoin d’une doctrine extérieure pour se justifier d’être, parce qu’il n’a pas besoin de définir sa position par rapport au capitalisme, sa légitimité suffisant à elle seule à justifier sa position.
En attendant, comme le note judicieusement l'ami “Jeff”, la révolution, pardon la crise se poursuit et «[e]vents will decide the general direction of reform»… Il est même possible que “les événements” passent outre à la réforme, conduisant la situation vers une véritable rupture. Seuls les Etats sont armés pour au moins voir venir, comptables de rien d’autre que de la source de leur légitimité; cela ne garantit en rien la forme du trépas du capitalisme, et encore moins qu'une opération de survie in extremis puisse réussir.