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2 avril 2003 — Nous voilà, un peu contraints certes, obligés de parler de la bêtise dans cette guerre, — la guerre Bouvard et Pécuchet, en plus sinistrement stupide que le duo flaubertien. Dans cette guerre, la bêtise concurrence la cruauté et elle est de plus en plus l’apanage de la civilisation occidentale, sans doute à cause des capacités de communication bien connues. Le fleuron de cette stupidité, fermement appuyée sur l’ignorance, ou plutôt l’inculture en tant qu’“ennemi de la culture”, revient aujourd’hui à la démonisation de Saddam. (Demain sera un autre jour, nous aurons un autre fleuron de la bêtise.)
La bêtise s’ébat dans le mensonge, sans le moindre voile posé sur sa nature de mensonge, aujourd’hui utilisé comme une matière première, consommable à discrétion. Comme un chewing-gum, disions-nous, tant l’estampille Made In USA lui va à ravir. (Le mensonge, appellé en général “bobard” en temps de guerre, est dans notre époque beaucoup plus froid, beaucoup moins entendu, dit ou apprécié dans le feu de l’action, bref énoncé avec une indifférence professionnelle. C’est le mensonge des porte-paroles et des spécialistes de relations publiques bien habillés, réaffirmé avec arrogance lorsqu’il est contesté. Tout cela est bien lourd.)
Cédons la parole à l’organe de presse qui transmet, — qui, il faut le noter dans ce cas, laisse percer quelque ironie en rapportant cette nième récriture de l’histoire prête-à-penser. On la devine, l’ironie, dans la manière un peu irrespectueuse, cette manière un peu leste avec laquelle est présentée cette “évolution” d’une interprétation historique (« Forget Stalin or Hitler ») ; peut-être même de l’ironie dans l’explication, par les circonstances, sans ruser le moins du monde, d’une sorte de nécessité de cette même “évolution” : c’est parce que les forces US semblent devoir mettre plus de temps pour abattre Saddam (« as U.S. and British troops now look as if they may take longer than expected in removing him from power ») qu’il est nécessaire de modifier la stature de Saddam. Il faut que la chandelle justifie le jeu.
« Saddam's Rule the Worst in World History, U.S. Says
» March 31, 2003, Reuters
» Forget Stalin or Hitler. The worst ruler in world history is Iraqi President Saddam Hussein, the Pentagon said on Monday.
» ''The Iraqi people will be free of decades and decades and decades of torture and oppression the likes of which I think the world has not ever seen before,'' Pentagon spokeswoman Victoria Clarke told a Pentagon news conference.
» Clarke's comment was in line with a mounting stream of comments from Washington that have demonized the Iraqi leader as U.S. and British troops now look as if they may take longer than expected in removing him from power.
» Saddam has been condemned for his exceptional brutality against his own people but historians generally agree that Nazi dictator Adolf Hitler and Soviet leader Josef Stalin were responsible for killing more people than any other dictators in world history. »
Là-dessus, et sur ce thème de la démonisation de Saddam et de l’Irak, il faut aussitôt noter que ce n’est pas seulement le fait de sous-fifres. Des noms importants s’y frottent. Un cas récent extraordinaire à notre sens, est celui d’un texte de l’historien britannique Paul Johnson. (Paul Johnson est un écrivain anglais, professeur, décoré, une gloire de l’establishment britannique qui fait autorité, reconnu comme une sommité de l’histoire contemporaine, par ailleurs nettement du parti des “néo-impérialistes” britanniques, proches des néo-conservateurs américains.)
Dans un article du Wall Street Journal du 11 mars (« The Willing and the Unwilling — France has few friends because it has so little to offer »), Johnson écrit notamment :
« It is misleading to argue that Iraq is a small state: Saddam has four or five times the killing power that Hitler had in 1939 and more than Stalin had when NATO was formed. If Saddam achieves his aim of acquiring “dirty” atomic bombs, his capacity for evil will exceed that of Hitler and Stalin put together. »
Cette affirmation représente un excès si vertigineux dans l’art de l’évaluation, une déformation si grossière, qu’elle conduit naturellement au découragement d’une critique raisonnable. Il reste à se demander comment une telle passion existe pour la crise que nous connaissons, qui pousse à de telles attitudes, et à admettre que l’hypothèse que nous touchons derrière la bataille politique à la crise fondamentale de l’esprit occidental est acceptable. Sur le cas plus général de cette assimilation Saddam-Hitler, nous renvoyons à un texte publié sur ce site, sur cette problématique, — et un texte critique, certes.