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930Depuis plusieurs mois, des milices commencent à se constituer au Mexique, devant l’omniprésence anarchique et dissolvante des cartels de la drogue et l’inexistence de l’État, essentiellement pour ce cas dans le chef de la corruption des divers services publics de sécurité. Dans sa chronique du 1er avril 2013, Justin Raimondo date la naissance du mouvement au 6 janvier de cette année, sous la forme d’un groupement de milice dans la ville de Ayulta de los Libres ; depuis est apparu notamment le UPOEG, pour Unión de Pueblos Organizaciones del Estado de Guerrero (en équivalent français : Union des citoyens et des organisations de la province de Guerrero).
«The spark that set off this Mexican prairie fire was the kidnapping of a local community leader on January 6 in the town of Ayulta de los Libres, in the region of Costa Chica: 800 locals armed themselves with hunting rifles and machetes, put on ski masks, and set up checkpoints, arresting 40 criminals and declaring their defiance of the lawlessness that has gripped their communities. Since that time, UPOEG self-defense groups have sprung up in more than 20 localities. Similar self-defense groups have arisen in 13 states and 68 municipalities across the country.»
Un événement important s’est produit le 28 mars, lorsque l’UPOEG de Tierra Colorada, une ville située sur la route entre Mexico City et Acalpuco, s’est de facto transformé de milice d’autodéfense en groupe insurrectionnel en prenant en charge tous les pouvoirs de la ville et en effectuant diverses arrestations d’autorités locales. Voici comment Justin Raimondo nous rapporte l’affaire.
«The people of Tierra Colorada, in Mexico’s Guerrero province, have had enough. On March 28, 1,500 armed citizens took to the streets, set up roadblocks, and arrested local officials. Tierra Colorada sits on a major road which runs from the popular tourist city of Acapulco, less than 40 miles away, to Mexico City. Armed citizens have set up checkpoints along the road, stopping cars, taxis, and other vehicles, as well as searching homes for known criminals. They have also arrested the former mayor, the chief of police, and 12 officers. The charges: murder, and collusion with criminals. The force’s spokesman, Bruno Placido Valerio, said: “We have besieged the municipality, because here criminals operate with impunity in broad daylight, in view of municipal authorities.”
»Valerio is the leader of a group that calls itself the Union of Peoples and Organizations of Guerrero (UPOEG), which began as a protest movement against exorbitant rates collected by the state electrical monopoly. As the corruption of the Mexican state causes its authority and effectiveness to deteriorate, however, UPOEG has lately taken up the responsibilities of government as they have watched the drug cartels co-opt and corrupt what passes for the local authorities in southern and eastern Mexico. The cartels have virtually taken over the entire region, murdering, looting, and abusing citizens, and they have done so with the active cooperation of the “police,” who are nothing more than another armed gang preying on innocents. When the local “police” murdered Guadalupe Quinones Carbajal, 28, local UPOEG leader, on behalf of a local criminal syndicate, the people rose up and said: Enough!
»These uprising are taking place all over Guerrero, as well as in other parts of Mexico, as the central state disintegrates in a morass of corruption, criminal collusion, and chaos. With the drug cartels in virtual control of the state apparatus, including the police, the Mexican people are left on their own to fight against the wave of criminality that is sweeping the nation, leaving ordinary citizens at the mercy of murderers, extortionists, and kidnappers.
»Naturally, the politicians in Mexico City are outraged: this, they claim, is “insurrection,” and UPOEG is a “guerrilla army,” a charge not at all unreasonable given the long history of guerrilla movements arising in Guerrero state. This time, however, there is a big difference: instead of seeking to overthrow the central government, UPOEG activists are simply bypassing it, and setting up their own self-defense organizations to keep some kind of order in local communities. Naturally, the authorities consider this a threat…»
L’épisode est bien entendu intéressant, dans ce pays en ébullition qu’est le Mexique, dans ce Système en ébullition qu’est notre époque. Raimondo aborde cette question mexicaine à la lumière de cette évolution, effectivement d’un point de vue global, comme un signe de plus de l’ébranlement général… («As a worldwide economic contraction exacts a heavy price on peoples outside the global metropolis, the countryside of the world is increasingly in turmoil. It won’t be possible to ignore the growing disorder a few miles from American cities like El Paso…») Il en fait également le signe de la déstructuration en cours d’un pays conduit par un État “failli”, en complète situation de corruption, d’impuissance, et d’activités technocratiques arbitraires sans le moindre sens par rapport où une situation où le crime organisé est le véritable maître du pays.
Lorsqu’il en vient à envisager les rapports et les relations des USA avec un Mexique plongé dans une telle situation appréciée dans son prolongement hypothétique d’aggravation, Raimondo juge que cette situation conduira inévitablement les USA à intervenir, avec comme conséquence la fixation d’une nouvelle crise sous la forme d’une sorte de “guerre civile” où les USA seront partie prenante.
«The natural inclination of the Washington policymakers will be to intervene, first with “advisors” and billions in “foreign aid,” and later with drone strikes and perhaps even boots on the ground. Such a course would result in a nationalist backlash of major proportions and a long guerrilla war right in our own “back yard,” as we used to say.
It isn’t “our” back yard, of course: as far as the Mexicans are concerned, we’re in their back yard, and we haven’t always been the best of neighbors. The blowback from the Mexican-American war was a long time coming, but today it is practically here.»
On a déjà lu un texte sur la phase actuelle de cette question du Mexique (concernant un commentaire de Stephen M. Walt, voir le 28 janvier 2013), également dans une tonalité d’une réelle inquiétude. Ce qu’il y a de plus intéressant dans ces appréciations, c’est sans doute que des commentateurs qui restent de tradition US malgré leurs positions proche de la dissidence ou complètement dissidentes, tendent à considérer la crise mexicaine dans un contexte plus global que de coutume. Même si le Mexique forme la frontière des USA, l’évolution mexicaine est perçue dans ce cas comme un élément de la crise générale d’effondrement du Système et non plus exclusivement en fonction de ses relations avec les USA. (Bien entendu, ce n’est nullement le cas du gouvernement US et du monde washingtonien. L’un et l’autre continuent à ignorer la crise mexicaine dans sa potentialité d’effet pour les USA, parce que le Mexique est intégré dans la sphère des USA pour la psychologie américaniste expansionniste et annexionniste ; c’est dans tous les cas au pire de la perception une “arrière-cour” où l’on a l’habitude de jeter ses détritus sans autre préoccupation et au mieux de la perception un appendice turbulent dont la turbulence n’a pas la capacité d’affecter un corps central d’une si grande puissance [les USA]. Cet aspect psychologique était envisagé dans notre texte du 28 janvier 2013.)
La perception de la crise mexicaine comme élément de la crise générale d’effondrement ouvre une hypothèse qui, bien entendu, s’appuie sur le fait singulièrement significatif du développement de ces structures insurrectionnelles au Mexique et de leur éventuelle poursuite : ce développement, justement, pourrait-il confronter les USA avec un élément important du développement de la crise générale d’effondrement du Système, au lieu de faire partie des relations spécifiques, et toujours agitées, du Mexique et des USA ? D’une certaine façon, on pourrait dire que l’insularité des USA a protégé ce centre du Système d’une réelle implication dans la crise générale. Les USA sont certes secoués par des crises diverses, d’une puissance déstructurante considérable, mais qui restent perçues comme des facteurs internes sauvegardant l’“isolationnisme” psychologique US. Il reste à établir un lien entre cette situation intérieure instable des USA et le reste, pour faire que, justement, cette situation ne soit plus “intérieure”. Si la situation du Mexique évolue dans le sens de s’intégrer dans le contexte crisique mondial, – si, par exemple, le développement de l’UPOEG peut être placé en parallèle d’équivalence avec la poussée électorale du parti M5S de Beppe Grillo en Italie comme partie intégrante d'une “insurrection mondiale”, – et si ce développement touche la situation intérieure US, alors effectivement les USA seront affectés directement par la crise mondiale.
Par ailleurs une telle dynamique présente la possibilité d’un développement commun dans les deux pays, si les deux pays sont affectés l’un l’autre, et l’un par l’autre. La description de l’artificialité historique du Mexique que fait Raimondo pourrait être largement reprise, – peut-être ne le réalise-t-il pas directement ? – pour les USA eux-mêmes, d’une façon encore plus accentuée dans certains domaines. D’une façon plus générale, cette poussée telle qu’on la perçoit, à la fois vers une fragilisation du centre et vers le développement de forces centrifuges, est un schéma général qu’on retrouve partout dans la crise d’effondrement du Système. (On pourrait même admettre ce schéma pour l’UE, si l’on considère que l’UE est un centre et les nations faisant partie de l’UE des parties de ce centre développant des tendances centrifuges.)
Dans tous les cas, le Mexique se confirme une fois de plus comme un foyer d’agitation persistant, et même résilient, pour les USA, alors qu’il se trouve lui-même placé dans une dynamique dont l’on voit mal qu’il puisse sortir décisivement sans un événement rupturiel qui aurait évidemment des effets immédiats aux USA. Ce schéma d'interprétation vaut notamment depuis 2005-2007 et s'insère par conséquent dans la séquence mondiale depuis 2008. L’importance du Mexique pour les USA, en tant que foyer d’agitation pour les USA, n’a plus cessé de grandir, à la fois au travers des événements concernant la “guerre de la drogue” et à travers des événements politiques avec cette menace d’un événement rupturiel. Cette affaire de Tierra Colorada et de l’UPOEG représente un des premiers événements d’une certaine importance dans le domaine de ce que nous nommerions “l’insurrection” (contre le pouvoir central) qui concerne à la fois la question de la drogue et la situation politique elle-même. De ce point de vue, il doit être noté et suivi comme une possibilité de plus de la dynamique générale du Système (surpuissance-autodestruction) que le Mexique devienne vraiment un facteur antiSystème vis-à-vis des USA.
Mis en ligne le 2 avril 2013 à 05H00
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