Le Mistral à bon port, non sans mal

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Les Français et les Russes ont signé vendredi dernier l’accord définitif pour l’achat de deux porte-hélicoptères français type BPC, classe Mistral, par la Russie. Une précision très importante, telle qu’elle est notamment annoncée par Novosti, est qu’il n’y aura aucune restriction sur les transferts de technologies.

Nous allons décomposer la nouvelle en quatre parties présentées dans l’ordre chronologique, qui permettront d’en dresser le tableau complet. Ces quatre parties sont documentées par des dépêches de l’agence Novosti.

• Vendredi 17 juin 2011, la signature du contrat pour la vente de deux Mistralà la Russie était annoncé. Les Russes citent le chiffre approximatif de €1,1 milliard.

• En même temps, ce même 17 juin 2011, l’Elysée annonçait que le président soi-même était très satisfait. «“La signature du contrat aujourd'hui à Saint-Pétersbourg, en présence du président de la Fédération de Russie Dmitri Medvedev, témoigne de la dimension stratégique de cette coopération pour la France et la Russie, et du soutien constant des deux chefs d'Etat à sa réalisation”, lit-on dans le communiqué. Le document souligne également que M.Sarkozy ”s'est beaucoup investi dans ce projet”.»

• Vendredi à Washington, selon une dépêche Novosti du 18 juin 2011, la députée républicaine et membre de la commission des relations extérieures de la Chambre, Ileana Ros-Lehtinen, faisait une déclaration de protestation assez routinière, de type business as usual et selon les instructions des lobbies qui la subventionnent : «La plupart de nos alliés dans la région, dont la Géorgie et les pays Baltes, ont subi des cyberattaques, une importante pression économique et même une invasion russe. Il est préoccupant que la France, un allié de l'Otan, ait décidé d'ignorer le danger de vendre des navires de guerre sophistiqués à la Russie, alors que Moscou adopte une attitude de plus en plus hostile envers les Etats-Unis, ses voisins et l'Europe elle-même».

• Hier, le 20 juin 2011, au Salon du Bourget, Anatoli Issaïkine, de l’agence russe d’exportation d’armement Rosoboronexport, annonçait que le contrat comprenait le transfert de technologies sans restriction vers la Russie, tel que le demandaient les Russes. «La partie française a transféré toutes les technologies, notamment le système de combat Zenith-9, ainsi que deux autres.»

Voici donc l’affaire de la vente du Mistral qui semblerait avoir bouclé sa phase conclusive. La chose laisse, surtout du côté français, un goût pour le moins doux-amer, celui des grandes occasions gâchées plutôt que perdues, et rattrapées dans le mode mineur par des bricolages divers. C’est surtout l’ampleur stratégique fondamentale du projet, très présente au départ, qui a été perdue (voir notamment notre F&C du 4 septembre 2009, qui plaçait en parallèle le cas du Mistral et celui de la possible vente du Rafale au Brésil) ; elle a été perdue essentiellement à cause des inconsistances, manque de fermeté dans la vision stratégique et faiblesse de caractère, du côté français, – du côté de Sarkozy, sans aucun doute. Tout cela est d’autant plus regrettable et dérisoire que le résultat concret est similaire, avec la vente du Mistral, y compris dans les conditions absolument exigées par les Russes d’un transfert de technologies sans restriction. Des Français normaux, c’est-à-dire conscient de l’importance essentielle des facteurs de la souveraineté et de l’indépendance nationale, auraient dû savoir qu’on ne plaisante pas, du côté russe, sur cette question du transfert de technologies complètement lié à l’aspect souverain de la transaction ; par conséquent, ils auraient dû accepter dès le départ cette exigence absolument essentielle, ce qui aurait considérablement raccourci les négociations et conservé à la transaction cette dimension stratégique fondamentale dont nous parlons. Mieux encore, les Français auraient dû développer ces négociations en ayant à l’esprit toutes les possibilités d’en favoriser l’aspect souverain, avec le transfert de technologies, car c’est ainsi qu’on crée ou qu’on renforce de grands axes d’entente stratégiques, en même temps que des principes essentiels aux conceptions françaises (souveraineté et indépendance).

Mais la France n’est plus au niveau d’elle-même, actuellement. On sait bien à quoi, et à qui cela est dû. Sarkozy avait eu une belle année 2008 (surtout à l’automne), au cours de laquelle il avait noué des liens intéressants avec les Russes. Dans tous les cas, le projet d’achat du Mistral par les Russes, connu dès août 2009, semblait se glisser superbement dans cette impulsion initiale. Ce ne fut qu’un feu de paille, conforme à l’esprit court et au caractère faible du président français, qui semblerait parfois penser que le dynamisme peut tenir lieu de pensée, et l’agitation de fermeté de conviction. Entretemps, à partir du début 2009, Sarkozy avait commencé à se détricoter ; il retourna à ses illusions atlantistes et américanistes, au moment où les USA accéléraient leur processus d’effondrement ; il céda à nouveau à l’influence du parti des salonnards et tint parfois compte, pendant quelques semaines, de l’expertise d’un Glucksman ou d’un BHL pour juger de la vente du Mistral à la Russie… Le résultat fut de rendre interminables des négociations qui eussent dû être conclues en un tournemain, dans tous les cas dans son principe souverain (l'intendance n'ayant plus qu'à suivre), pour marquer l’affirmation d’un “axe” Paris-Moscou, par exemple au début de l’année franco-russe (2010). Mais l’on chipota, l’on objecta, l’on craignit la désapprobation de la “famille occidentale”, avec des numéros du type Ileana Ros-Lehtinen, perroquet d’origine cubaine, représentante à la Chambre des Représentants US des neocons, tendance anticastriste avec des amitiés géorgiennes à mesure (de la Géorgie de Tbilissi et de Saakachvili). Effectivement la question du transfert des technologies fut épineuse, le parti des salonnards suggérant qu’on pouvait vendre un Mistral réduit à la coque, sans ces fameuses technologies. Cette position absurde, sinon dérisoire, fut constamment repoussée par la Russie, comme condition sine qua non semble-t-il, et le résultat fut que les Français finirent par céder si l’on en croit l’annonce faite hier.

Donc, la vente est faite. Il n’y a pas lieu de pavoiser, même pour un porte-hélicoptère, par rapport à ce que cette affaire aurait dû être. Le seul intérêt de la chose est que l’esprit de communication globalisé, aussi court que celui du président français puisque l’un et l’autre se correspondent, reviendra désormais sur l’affaire en accusant la France de collusion, ce qui contribuera à rapprocher la France de la Russie selon l'axe stratégique vident qu'on a déjà évoqué, – quoi qu'en veuille la France de Sarko, si tant est qu'elle veuille quelque chose et qu'elle sache ce qu'elle veut.


Mis en ligne le 21 juin 2011 à 09H38

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