Le Mistral et l’Afghanistan (et les USA)

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Y a-t-il eu rapport entre le porte-hélicoptères français Mistral, sa vente possible à la Russie dont on sait l’importance que nous lui accordons, et l’Afghanistan, notamment à la lumière de la récente décision d’Obama d’augmenter l’effort de guerre avec l’envoi de 30.000 soldats en plus? Sans aucun doute, la réponse à cette question est positive. Elle tient essentiellement à l’effort logistique nécessaire pour cette augmentation de l’activité guerrière et, par conséquent, à l’importance encore accrue dans ce cas, pour les Américains en particulier, de la Russie qui fournit désormais une des principales voies de passage de la logistique vers l'Afghanistan.

Pour voir cette thèse confortée, il suffit de lire cet extrait d’un article de Robbin Laird, consultant dans les affaires de défense et de logistique militaire, qui dispose du site Second Line of Defense. L’article est mis en ligne par DoDBuzz.com, le 11 décembre 2009. Il examine les coûts et moyens qui vont devoir être utilisés pour ce “surge” logistique qui, selon des habitudes déjà bien établies, dépassera largement en intensité, en appréciation et en considération, le “surge” opérationnel.

«There will be significant geopolitical costs to logistics supply as well. The US and its allies will use land routes over Russian territory and are discussing the same with the Chinese. Some Americans have protested the proposed French sale of the Mistral ship to the Russians, but such activities might become more normal as costs are extracted by the Russians for support for the Afghan engagement. What we know about Russians is that their support is never free.»

Notre commentaire

@PAYANT Parlant des “quelques Américains” qui ont protesté contre la possibilité de la vente du Mistral à la Russie, Laird met surtout en évidence qu’il y en a très peu à l’avoir fait, qu’il n’y a absolument pas de “campagne” d’inspiration officielle dans ce sens. Effectivement, il n’y a eu aucune intervention marquante du côté officiel pour mettre en garde contre le projet de vente du Mistral. Ce mutisme de la critique a été imité d’une façon générale par la “presse officielle” et les prestigieux organes qui la composent; l’on sait bien assez que la presse US, toujours acclamée pour son indépendance vis-à-vis du pouvoir et considérée elle-même comme “le quatrième pouvoir”, se caractérise par une particulière attention aux consignes officielles, jusqu’à une attitude presque émouvante de mimétisme. Nous avons donc notre explication: l’affaire Mistral-Russie n’est pas sur la liste des affaires à suivre et à dénoncer en priorité.

Certains pays d’Europe de l’Est (les pays baltes, la Géorgie) se lamentent à propos des faibles réactions des habituels moyens de communication, d’inspiration US, devant la perspective de cette vente. La même tristesse se retrouve dans le “parti des salonards”, notamment parisiens, relais occidental de cette tendance anti-russe, qui essaie de réagir comme il peut (voir l’article de Gluscksmann dans Le Monde du 26 novembre 2009). Il s’agit bien du constat désolé du profil bas de l’appareil de communication du système de l’américanisme dans cette affaire. L’explication donnée par Laird est non seulement à considérer, mais certainement très proche de la réalité, sinon la réalité elle-même. Nous avions déjà signalé combien une part importante des relations du Pentagone avec la Russie sont aujourd’hui conditionnées par le rôle de voie de passage de la Russie des renforts de soutien et de logistique US vers l’Afghanistan, après l’accord dans ce sens signé cet été entre les USA (l’OTAN) et la Russie. Cet aspect de soutien de la guerre en Afghanistan est, pour la bureaucratie du Pentagone qui ne raisonne qu’en termes de tonnage de logistique, bien plus important que la guerre elle-même. Il est donc absolument nécessaire de ne pas irriter les Russes sur des affaires qui ne sont pas considérées comme essentielles.

Il est assez probable que Washington considère même que l’affaire du Mistral est elle-même liée, pour les Français, à cet aspect des choses, de pure logistique pour la guerre en Afghanistan. C’est ce que laisse entendre Laird, comme allant de soi, dans la rédaction de la remarque cité, où il assimile les USA et “leurs alliés” dans ce cas. (Au passage, Laird affirme, ce qui est pour nous une nouveauté, que les USA rechercheraient un accord similaire de transit de la logistique avec la Chine.) Cette interprétation n’est pas étonnante, la psychologie américaniste, et particulièrement celle des analystes de la bureaucratie du Pentagone, impliquant que toutes les réactions humaines et les politiques qui vont avec suivent la même perception qu’elle-même entretient avec alacrité et avec un aveuglement de bon aloi. D’un point de vue pratique, cela implique que les USA ne sont pas inclinés à considérer que l’affaire Mistral-Russie ait un sens politique autre que celui qui est strictement lié à la “quincaillerie”, alors que l’autre interprétation, que nous favorisons, est bien entendu qu’elle s’inscrit dans un mouvement de coopération franco-russe dont le but est effectivement politique et lié à l’évolution actuelle autour de la recherche d’une nouvelle “architecture de la sécurité” en Europe (“initiative Medvedev”). Il en faudra donc beaucoup, en termes d’influence et de lobbying, pour que Washington soit conduit à dénoncer, voire seulement à critiquer publiquement les négociations franco-russes et la vente éventuelle du Mistral à la Russie.

Cette situation correspond parfaitement à la remarque faite en juillet 2008 par le Russe Rogozine, selon laquelle toute les pensées de l’OTAN et des bureaucraties américanistes et d’inspiration américaniste de sécurité nationale sont conditionnées par le “technologisme”. Dans ce cas, il s’agit d’observer que tout est conditionné à la masse de logistique à faire transiter vers l’Afghanistan, qui est une des mesures essentielles, selon cet état d’esprit, de l’importance de la guerre en Afghanistan et, par voie de conséquence, de l’importance des relations avec la Russie (et avec la Chine, bientôt?). Cette tendance quasiment pathologique, si elle est bien comprise et exploitée, peut permettre le développement de politiques intéressantes sans interférences gênantes du système de l’américanisme. Cela pourrait être le cas du triangle Mistral-France-Russie et de tout ce qui va avec.


Mis en ligne le 12 décembre 2009 à 07H14

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