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874Saint-Petersbourg est l’une des plus majestueuses villes du monde, mais tout de même très au Nord – et, tout de même, le Mistral est parvenu à y monter pour y souffler. Mais il ne s’agit pas de cette spécificité météorologique provençale mais du porte-hélicoptères du même nom, si fameux désormais, dont Novosti fait des gorges chaudes et un superbe diaporama, à l'amarrage le long du quai Koutouzov, qui ne fut pourtant pas le meilleur ami de l’Empereur (celui des Français).
La même agence Novosti signale, le 23 novembre 2009, l’arrivée du porte-hélicoptère à Saint-Petersbourg. Puis ces quelques détails, outre celui d’apprendre que le Mistral doit évoluer en manœuvres avec des unités de la flotte russe, en Baltique:
«Le chef d'état-major adjoint des forces navales russes, Oleg Bourtsev avait auparavant annoncé à RIA Novosti que le commandement de la flotte jugeait nécessaire d'acquérir un porte-hélicoptères de ce type et de construire quatre autres navires sous licence française. Ces navires, destinés à appuyer des opérations de débarquement, de maintien de la paix et de sauvetage, doivent équiper les flottes russes du Nord et du Pacifique, estiment les militaires. Leur utilisation dans la lutte contre les pirates, au large des côtes somaliennes par exemple, est également possible.»
Observons également que l’OTAN, où, officiellement, on ne pense rien, mais strictement rien à propos de ces échanges pouvant aboutir à un achat du Mistral, on a bien été contraint d'en parler puisqu’une question a été posée. Finalement l’OTAN en pense quelque chose: on est amis avec tout le monde, donc avec les Français et avec les Russes, et on espère, et on ne doute pas que la transaction se fera, si elle se fait, “dans tout le respect des transactions diuanières”. Donc, pas de trafic de cigarettes prévu… Cela, selon Novosti du 24 novembre 2009, qui avait organisé une vidéo-conférence de presse.
«L'OTAN n'a pas de position officielle sur l'intention de la Russie d'acheter les porte-hélicoptères français Mistral, a déclaré mardi le porte-parole de l'Alliance James Appathurai lors d'une vidéoconférence de presse organisée par RIA Novosti. “L'OTAN ne possède pas de point de vue officiel sur ce problème. Nous sommes au courant des négociations menées. La Russie est un partenaire de l'Alliance et la France en est membre. Nous n'avons aucun doute que si ce marché est conclu, il le sera dans le respect de toutes les engagements douaniers”, a indiqué M.Appathurai.»
Par contre, l’Estonie n’est pas du tout satisfaite, et elle le dit. Elle voit dans cette visite l’annonce des plus noirs desseins. C’est encore et toujours Novosti, le 24 novembre 2009, qui nous fait part des inquiétudes estoniennes, notamment par le ministre des affaires étrangères Urmas Paet, qui annonce que l’Estonie soulèvera cette question avec la France lors d’une prochaine réunion de la commission de l'Union européenne pour le contrôle des armements conventionnels: «Les Russes ont annoncé vouloir l'utiliser au sein de la Flotte de la mer du Nord dans le Pacifique, mais rien ne les empêchera de le transférer vers d'autres mers et océans.» Novosti remarque ceci, qui prolonge les propos de Urma Paet:
«Plusieurs militaires et politiques estoniens estiment que le porte-hélicoptères peut être également utilisé en mers Noire et Baltique, ce qui est susceptible de constituer une menace pour la sécurité de l'Estonie et ses alliés. Selon le commandant des Forces de défense estoniennes le général Ants Laaneots, les militaires estoniens craignent que le porte-hélicoptères Mistral ne stationne en mer Baltique, en créant une menace contre la sécurité du pays.»
D’autres indications provenant d’Estonie rapportent que le chef d’état-major de la marine russe aurait dit, le 23 novembre, pour apprécier la capacité du Mistral, qu’un tel navire permettrait, du point de vue du déploiement des forces, d’effectuer en 40 minutes un déploiement de forces équivalent à celui qui prit 26 heures aux Russes, lors de la crise de Géorgie d’août 2008. Les mêmes sources estoniennes s’affirment persuadées que les Russes tenteront de déployer le Mistral dans un port de la Mer Noire, menaçant directement la Géorgie et l’Ukraine. L’Estonie a la vue large, qui s’intéresse à la sécurité de la Géorgie et de l’Ukraine.
@PAYANT L’intervention de l’Estonie est intéressante, comme est intéressant l’exceptionnel mutisme de l’OTAN sur la question du Mistral, hormis la question du trafic de cigarettes. Les deux choses combinées nous confirment soudain que l’on marche sur des œufs, avec l’affaire du Mistral. Tout cela est farci des pesanteurs extraordinaires qui règnent sur les perceptions installées autour de la Russie par les années d’activisme anti-russe depuis la fin du siècle dernier, depuis l’arrivée de Poutine, depuis l’élargissement de l’OTAN, tout cela entretenu par les actions diverses des relais et réseaux déployés du temps de l’administration GW Bush, et renforcé bien entendu par l’affaire géorgienne qui fut déclenchée par le président géorgien Saakachvili et qui continue à être présentée dans tous ces milieux comme une preuve irréfutable de l’agressivité russe. Bien entendu, ces diverses alarmes, comparées au silence à peine gêné qui, en général, accompagne l’hyper-activisme militariste US (jusqu’à l’installation éventuelle d’armes nucléaires en Colombie), établissent l’habituelle dichotomie occidentaliste, ou pathologie occidentaliste à ce propos. Il est inutile de s’étendre sur l’importance des actions d’influence anti-russes et sur leurs conséquences, qui sont une constante des activités des réseaux occidentalistes et américanistes issus de la tendance néo-conservatrice et des différentes manigances des milieux proches du complexe militaro-industriel US. C’est du business as usual, de la politique réduite au réflexe pavlovien.
Mais “tout le monde marche sur des œufs” parce que, malgré les inquiétudes estoniennes, le temps n’est plus officiellement à une attitude critique et anti-russe. Les USA sont en pleine poussée pour signer un accord START-II de désarmement nucléaire avec la Russie et Obama, dont la diplomatie est par ailleurs en divers lambeaux, ne tient pas à compromettre le seul volet qui semble plus ou moins tenir la route, qui est la détente avec la Russie. L’OTAN suit à peu près la même voie. Mais il y a l’Estonie (rien d’officiel pour l’instant des autres voisins de la Russie qui, selon les Estoniens, sont tous aussi inquiets). Et l’on ne peut officiellement en vouloir à ce petit pays qu’on a encouragé pendant des années à montrer la plus grande défiance à l’encontre de la Russie, pour justifier toutes les initiatives américanistes hostiles dans ce sens.
L’intérêt de l’épisode est donc de faire monter d’un cran, pas vraiment la tension qui est pure création des circonstances et des énervements, mais la “politisation” de l’affaire du Mistral. La réaction des Estoniens donne en effet une dimension politique à cette affaire, en donnant une perception stratégique à la vente éventuelle d’une telle unité par la France à la Russie (en attendant, selon les projets russes, la construction en coopération de quatre autres). C’est grossir le problème d’une façon telle que, si la vente ne se faisait pas cela apparaîtrait comme un coup d’arrêt préoccupant des bonnes relations France-Russie (et même entre l’Ouest et la Russie, assez paradoxalement); tandis que si elle se fait, serait effectivement posé le problème des relations de sécurité entre le bloc occidentaliste et la Russie, tandis que les relations franco-russes seraient renforcées d’une dimension stratégique importante, dont on doit comprendre l’importance de substance.
En d’autres termes les craintes estoniennes ne vont pas alimenter le débat sur les capacités du Mistral et les intentions de la Russie, qui est un débat délicat et un peu trop trivial, qui supposerait officiellement qu’on a des doutes (à l’Ouest) sur les intentions de la Russie. Cette ligne de pensée est officiellement abandonnée depuis que les relations s’améliorent, notamment avec la politique d’Obama et les intentions affichées comme dynamiques du nouveau secrétaire général de l’OTAN Rasmussen (lequel se rend à Moscou en décembre pour une visite exceptionnelle, dont on vous chuchote à l’oreille, et à l’OTAN, qu’elle sera très importante). Les craintes estoniennes vont alimenter plutôt le débat sur l’architecture de sécurité européenne, et c’est à nouveau l’idée d’un lien entre le débat sur la vente de cette unité de grande importance militaire à la Russie et l’“initiative Medvedev”.
Jusqu’ici l’Ouest a fait la sourde oreille aux propositions russes, lesquelles restent d’ailleurs à être largement détaillées. L’argument de l’Ouest, avec l’influence otanienne et américaniste qui va avec, est de dire: “Pourquoi une nouvelle architecture de sécurité en Europe? Tout va bien, tout marche dans l’état actuel des choses. Pourquoi changer?” L’argument permet ainsi d’éviter la question du poids disproportionné dont pèsent les USA sur la sécurité européenne. (Les Européens pèsent-ils d’un poids semblable sur la sécurité nord-américaine? Sur la sécurité à la frontière entre le Mexique et les USA? Sur la sécurité due aux tensions internes US? Sur la sécurité en Amérique latine à la lumière de l’installation de la base US de Palanquero, en Colombie? Un député du Parlement européen songerait-il, un soir d’ivresse et d’audace, à poser cette sorte de question, pour ne pas parler d’un ambassadeur d’un pays européen à l’OTAN?)
L’affaire du Mistral et la réaction estonienne permettraient après tout aux Russes de tenir un discours intéressant à leurs “amis” occidentaux… “Vous voyez bien que l’architecture de sécurité européenne actuelle n’est pas satisfaisante. Elle n’empêche pas grand’chose puisqu’elle permet de telles tensions comme celles avec l’Estonie, certes pas très graves mais qui alourdissent le climat, préparent d’autres tensions, etc., alors que dans cette affaire sont impliqués un pays de l’Ouest de grande importance et la Russie et que l’OTAN n’a rien à y redire sinon d’espérer que les règlements douaniers seront respectés. Qu’est-ce donc que cette architecture de sécurité en place qui satisfait tout le monde à l’Ouest et permet pourtant à un pays comme l’Estonie, d’importance politique assez réduite il faut le dire, d’éprouver de telles inquiétudes et angoisses stratégiques, et de semer un début de trouble de cette sorte?” On aimerait espérer que certains, à l’Ouest, à côté d’une position officielle qu’on connaît, ne seraient pas trop mécontents si le problème de la sécurité européenne réapparaissait à cette occasion. Certes, c’est beaucoup espérer mais, comme l’on sait, les Français, même du temps de Sarkozy, sont capables par inadvertance de poser sur la table quelques vrais problèmes irrésolus, qui tiennent à la souveraineté, à l’incongruité insupportable de la position US en Europe, aux bonnes relations nécessaires avec la Russie.
Dans le même registre, la réaction estonienne met également l’OTAN dans l’embarras. Ou bien les Estoniens s’inquiètent pour la Géorgie et l’Ukraine, et l’on se demande ce que cela vient faire dans cette affaire, quelle mouche les pique et de quoi ils se mêlent alors que personne n’a songé à soulever ce problème – y compris les Géorgiens et les Ukrainiens qui n’ont pas encore fait une tempête stratégique de l’affaire du Mistral, qui d’ailleurs n'en sont peut-être pas encore informés par leurs amis néo-conservateurs. Ou bien les Estoniens songent à leur propre sécurité, et alors que signifie donc la garantie de sécurité de l’appartenance à l’OTAN dans le chef de ces petits pays qui en sont devenus membres en jurant que cela leur suffisait? Que leur faut-il, aux Estoniens? Une base nucléaire US type Palanquero? 45.000 soldats US, comme ceux que McChrystal réclame, avec quel succès, à son président pour l’Afghanistan? Si, après cela, vous êtes satisfaits de la situation de la sécurité européenne et du rôle stabilisateur de l’OTAN, c’est que vous l’êtes à fort bon compte…
Mis en ligne le 25 novembre 2009 à 06H58
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