Le modèle Fox

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Le modèle Fox


16 août 2002 — Comme nous posions la questions dans Nos Choix en présentant un article sur cette affaire le 15 août, nous la répétons sous la même forme : « quel chef d'État européen se permettrait d'annuler une visite chez GW parce qu'il est mécontent de l'Amérique ? » Fox annule sa visite à cause, plus précisément, de l'attitude de l'État du Texas, mais c'est bien une visite au président des États-Unis qui est annulée.

On connaît les circonstances de l'incident : Javiez Suarez Medina, un condamné à mort d'origine mexicaine (né ou pas au Mexique, c'est l'un des points du désaccord USA-Mexique), dont Fox avait personnellement demandé à l'État du Texas qu'on suspende l'exécution, est exécuté le 13 août dans une démonstration de superbe indifférence de l'État du Texas (17 voix contre 0 pour l'exécution par la commission des grâces de l'État du Texas) ; suit la décision immédiate de Fox d'annuler sa visite au Texas, par conséquent sa visite au président des États-Unis.

Il s'agit d'un acte diplomatique qui a peu de précédents à ce niveau, et en plus impliquant les États-Unis. Il faut se tourner vers les dirigeants de l'URSS au temps de la puissance de ce pays, ou vers un dirigeant de l'envergure d'un de Gaulle, pour rencontrer une si flagrante manifestation d'indépendance vis-à-vis du président US. La chose (l'annulation de la visite de Fox) s'est faite, jusqu'ici, dans une discrétion très significative, rien de marquant n'a été dit au niveau médiatique, où les commentaires ont été faibles. (Une dépêche Reuters sur cette affaire, en date du 15 août, ne parle même pas de l'annulation de la rencontre GW-Fox, mais simplement de l'annulation du voyage au Texas, avec les seules excuses du Président Fox pour la communauté mexicaine du Texas.)

On le comprend bien : on n'aime pas ébruiter des circonstances où les États-Unis n'ont pas le rôle le plus gratifiant pour leur puissance. L'argument formel implicite pour cette discrétion est qu'il ne s'agit évidemment pas d'une visite d'État mais d'une visite de bon voisinage, à un président US en vacances ; on comprend tout de même qu'il s'agit d'une appréciation formelle, que le mois d'août (vacances de GW dans son ranch) n'a pas été choisi par hasard par Fox pour sa visite, que le point d'orgue de son voyage était évidemment la réception au ranch de GW.

On propose ici quelques remarques :

• Une fois de plus, on a la démonstration, avec cette discrétion des États-Unis, tant officielle qu'au niveau médiatique, de la réalité du pouvoir actuel à Washington : l'administration GW est plus faible qu'elle ne le paraît, autant à cause de ce président que, d'une façon générale, à cause de la dégradation du pouvoir à Washington.

• Une autre démonstration est que, pour résister aux pressions américaines, situation à laquelle sont souvent confrontés les pays européens, rien ne vaut une attitude ferme. Fox s'essaie à cet exercice depuis un certain temps, il est de plus en plus respecté à Washington, et ses foucades à l'encontre des USA sont systématiquement minimisées. « Bush team stunned by Mexican snub », titre l'article NBC News du 14 août auquel nous nous référons ici ; et, plus loin : « The White House put the brightest face it could on Mexican President Vicente Fox’s snub of an invitation to President Bush’s Texas ranch, emphasizing what it said are strong ties between the two countries. »

• Une confirmation, c'est l'attitude indépendante du Mexique vis-à-vis des États-Unis, surtout depuis l'arrivée de Vicente Fox au pouvoir. Cela peut sembler un paradoxe : Fox était attendu comme un homme de formation très yankee, notamment au niveau économique, un homme ouvert aux conceptions économiques américaines, un ami de GW (du temps où ce dernier était gouverneur du Texas). Fox est peut-être tout cela, mais il a voulu s'affirmer également comme un président mexicain “différent”, et s'il veut moderniser le Mexique il découvre éventuellement, et très naturellement, que cette “modernisation” suppose d'abord une affirmation nationale. Celle-ci l'amène à contester la domination américaine. La contradiction n'est pas nouvelle, c'est celle qui existe entre toute affirmation souveraine et la pression américaine omniprésente. Fox n'a pas le complexe de l'archaïsme vis-à-vis des USA, il prétend même être proche des USA, mais comme un partenaire ; du coup, il s'affirme au niveau national et il découvre qu'avec les USA, seuls comptent en réalité les rapports de force.

• La dernière remarque va de soi : la question des rapports entre les États-Unis et le Mexique est un domaine politique essentiel aujourd'hui, ne serait-ce que parce que le Mexique est le seul pays à tenir tête effectivement aux USA.

• En complément de ce texte, notamment pour examiner l'aspect essentiel de l'importance de la présence mexicaine et d'origine mexicaine aux USA pour expliquer ces rapports, voir le texte Contexte, de la Lettre d'Information de defensa, Volume 17, n°03, mis en ligne ce jour sur ce site.