Le modèle “j’attaque l’Iran, moi non plus”

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Pour ce qui concerne l'Iran et les pays du bloc BAO, nous devons avouer que nous sommes, depuis 2005 (depuis le 21 février 2005 exactement, et le fameux “toutes les options sont sur la table” de GW Bush en visite à Bruxelles), littéralement épuisés par l’évocation d’options de l’attaque contre l’Iran, laquelle attaque s’est produite, du point de vue du système de la communication, des scénarios et des manigances plus ou moins complotistes et innombrables, deux bonnes et solides douzaines de fois. Reste le fait qu’une fois de plus, nous y sommes. (Notre seule surprise, également épuisée, est qu’on ne trouve pas Sarko à la batterie dans l’orchestre, éclairé par son soliste Alain Juppé, dit “le plus intelligent de nous tous”. Enfin, cela peut venir, il y a toujours de la place dans un tel orchestre au brio confondant.)

Pourtant, certes, nous en parlons aujourd’hui, et c’est parce que nous pensons qu’il y a quelque chose, tout de même, à en dire, outre les habituelles palinodies du “j’attaque, j’attaque pas”. (A noter que cela ne préjuge, dans notre chef, d’aucune prévision à cet égard. Le désordre de leur infinie bassesse est tel que tout est possible. La seule chose qui nous étonne est que, les USA paraissant cette fois être les meneurs, ou dans tous les cas parmi les éventuels participants, il n’y ait pas encore l’annonce que les trois-quarts de l’U.S. Navy, avec au moins 5 de ses 8 porte-avions en patrouille de haute mer, soient en train de se rassembler “sur zone” comme ils disent, en fonction des habitudes d’overkill propre à la pensée militaire américaniste.)

Notons tout de même deux points particuliers avant de passer au principal de notre propos.

• Le premier de ces deux points, c’est la colère chez nombre de commentateurs britanniques de constater que les Britanniques seraient de la fête, sans restriction. Que ce pays en lambeaux, dévasté économiquement, socialement et militairement, qui a tenu un rôle absolument ridicule en Libye par rapport à ses prétentions et à sa posture politique, puisse songer à s’engager dans cette aventure mesure, au millimètre près, la puissance intellectuelle de ceux qui, à Londres, auraient machiné cette participation. Les éructations de Simon Jenkins dans le Guardian (qui a révélé les “préparatifs de guerre“ britanniques), le 3 novembre 2011, montrent le commentateur à court de qualificatifs… «This time there will be no excuses. Plans for British support for an American assault on Iran, revealed in today's Guardian, are appalling… […] British friends of America can see all the signs of another country in the throes of “losing an empire and not finding a rôle”, of a paranoid nervous breakdown. Britain has been there before. It should never go back. It has been warned.»

• Le deuxième point est introduit par la citation ci-dessus, lorsque Jenkins parle des USA comme d’un pays “en train de perdre son empire et ne sachant quel rôle il va désormais jouer” (ou bien “…à quoi il va servir désormais”), et sombrant dans une sorte de “crise nerveuse paranoïaque”. Allusion intéressante à la psychologie, qui nous conduit d’un pas tout juste allongé, à l’appréciation que ces bruits de guerre auraient en théorie l’avantage de couvrir ceux du bordel at home, dans tous ces pays. (Technique de RP dite “wag the dog”, ou détourner l’attention. Habile manœuvre.) Heather Hurlburt, qui a servi au département d’Etat de l’administration Clinton et qui a dirigé le National Security Network de Washington, de 1995 à 2001, fait, également dans le Guardian, le 3 novembre 2011, un commentaire sur cet aspect de la question.

«The Guardian jumped into the fray Wednesday, reporting on UK military planning for an Iran action – which led at least one wag on my side of the pond to wonder whether the UK military still has those 1812 plans for burning the White House on the books somewhere. Right on cue, conspiracy theorists pop up everywhere – the concerns reported are all phony, part of a “Wag the Dog” manipulation scenario.»

Il nous paraît, quant à nous, difficile de ne pas lier cette affaire de la nième attaque contre l’Iran aux diverses situations intérieures, notamment US et israélienne. Dans le cas US, il s’agit d’une situation intérieure dont on commence à mesurer à la fois la complexité, l’insaisissabilité et la dangerosité. (Pour ce qui est de la situation morale de l’administration Obama et de son chef, parfaitement corrompu par sa fonction, l’interprétation d’un montage type “wag the dog” est largement acceptable.) Il n’est pas assuré d’ailleurs qu’une opération du type “attaque contre l’Iran”, au propre (sic) comme au figuré, suffise à “détourner l’attention”, ni non plus qu’elle ne conduirait pas au contraire à renforcer l’opposition au Système et à ses entreprises guerrières, qui devient de plus en plus manifeste à l’intérieur du mouvement Occupy.

Le cas israélien est beaucoup plus intéressant encore, d’abord parce qu’il est évidemment beaucoup plus manifeste, puisque signalé très précisément par divers quotidiens. Le Guardian reprend (le 3 novembre 2011) une information venue du quotidien koweïtien al-Jarida, qui affirme que le Premier ministre Netanyahou a ordonné une enquête concernant des fuites sur ses projets d’attaque, qui seraient (les projets) le fait de lui-même et de son ministre de la défense Barack, à l’exclusion de tous les autres membres du cabinet. Le soupçon concernant ces fuites concernent les anciens chefs du Mossad et du Shin Bet, Meir Dagan et Yuval Diskin, déjà largement impliqués dans une opposition féroce à tout projet d’attaque contre l’Iran. (Les deux étant soutenus, précise-t-on, par Tzipi Livni, ancienne ministre des affaires étrangères, et elle-même ancienne officier du Mossad, ce qui explique bien des choses par rapport à Dagan.)

«Israel's prime minister has ordered an investigation into alleged leaks of plans to attack Iran's nuclear facilities, it has been reported. According to the Kuwaiti newspaper al-Jarida, the main suspects are the former heads of the Mossad and the Shin Bet, respectively Israel's foreign and domestic intelligence agencies.

»Netanyahu is said to believe that the two, Meir Dagan and Yuval Diskin, wanted to torpedo plans being drawn up by him and Ehud Barak, the defence minister, to hit Iranian nuclear sites. Tzipi Livni, leader of the opposition Kadima party, is also said to have been persuaded to attack Netanyahu for “adventurism” and “gambling with Israel's national interest”.

»The paper suggested that the purpose of the leaks was to prevent an attack, which had moved from the stage of discussion to implementation. “Those who oppose the plan within the security establishment decided to leak it to the media and thwart the plan,” it said.»

Le même article du Guardian cite plusieurs journalistes israéliens, particulièrement féroces pour les intrigues et le comportement psychologique de Netanyahou. (…Et, dans la foulée, de son compère Barack, réputé sans véritable concurrence comme l’homme politique le plus stupide de la direction politique israélienne, pour l’heure actuelle, et avec une belle marge de supériorité sur le reste. En l’occurrence, Barack suit Netanyahou, dont la pathologie psychologique fait l’affaire pour les deux puisque lui-même, Barack, a toute la place disponible pour cela dans son propre système intérieur bâti sur le confort de l’absence.)

»“It seems that only Netanyahu and Barak know, and maybe even they haven't decided,” commented Amos Harel and Avi Issacharoff, both respected Haaretz writers. “While many people say Netanyahu and Barak are conducting sophisticated psychological warfare and don't intend to launch a military operation, top officials … are still afraid.”

»The idea that something significant is going on in this highly sensitive area was rekindled last week in comments by columnist Nahum Barnea, who wrote in Yedioth Ahronoth that the officials running Israel's military and intelligence services were opposed to a war with Iran. “Binyamin Netanyahu and Ehud Barak are the Siamese twins of the Iranian issue,” he wrote. “A rare phenomenon is taking place here in terms of Israeli politics: a prime minister and defence minister who act as one body, with one goal, with mutual backing and repeated heaping of praise on each other… They're characterised as urging action.” “Netanyahu portrayed the equation at the beginning of his term as: [Iranian president Mahmoud] Ahmadinejad is Hitler; if he is not stopped in time, there will be a Holocaust. There are some who describe Netanyahu's fervour on this subject as an obsession: all his life he's dreamed of being Churchill. Iran gives him the chance.”»

Ce qui nous intéresse dans ce cas, c’est la substantivation d’un conflit qui a de fortes chances de devenir chronique et d’amener des complications et des prolongements tout à fait inattendus dans les politiques diverses, notamment extérieures, dans les mois qui viennent (doit-on parler d’années ? Dureront-ils jusque là ?). Il s’agit du conflit entre les directions politiques au plus haut niveau et les échelons directement inférieurs des dirigeants des services de la sécurité nationale et autres, dans les pays du bloc BAO. Les premiers sont conduits par des humeurs, des intérêts et des conceptions à la fois fractionnelles et accessoires, et basées sur des préoccupations immédiates de communication, voire par des psychologies exacerbées, des humeurs diverses, et une certaine volonté d’ignorer ou l’incapacité de comprendre la gravité de la situation de crise d’effondrement du Système ; au contraire, les échelons directement subordonnés commencent à être particulièrement sensibles à cette réalité effrayante qu’ils découvrent, et deviennent à la fois de plus en plus pressants, et peut-être (cas de Dagan, dont nous avons déjà beaucoup parlé, comme par exemple le 4 juin 2011), de plus en plus antagonistes à l’encontre des directions politiques en place.

On rejoint ici le schéma exposé dans notre F&C du 2 novembre 2011. On voit confirmée l’observation faite que c’est notamment en Israël que ce problème se manifeste d’une façon extrêmement aigue. Ainsi, on voit combien la politique extérieure, y compris et surtout la plus brutale, et notamment au niveau de la communication, est une des nombreuses expressions des crises intérieures diverses renvoyant toutes à la crise centrale d’effondrement du Système.


Mis en ligne le 4 novembre 2011 à 13H38