Le Moi et la confusion des sexes

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Le Moi et la confusion des sexes

De la concentration à la dissolution du moi, tout est là. Qui est ce moi dont parle Baudelaire, celui de Freud ? Comment on s’y prend pour concentrer et dissoudre, être « solve et coagula »? Juste après lui, Rimbaud parle d’un moi qui est un autre. C’est quoi un moi de poète, peut-il nous aider à comprendre le monde ? Les Illuminations, les Fleurs du Mal, à quoi peuvent-elles servir d’autre qu’à briller en société? Quel moi étrange s’exhale de ces fleurs? Et à quelle sorte de moi incarné en Aglaé Sabatier, égérie blanche du poète ou en Jeanne Duval, sa noire inspiratrice, s’adressent les errabunda ? En quoi des illuminations auraient-elles pu illuminer le moi d’un Verlaine homo-amoureux? Ce sont des questions de ce genre qu’il faut poser pour comprendre les enjeux de notre temps.

Aglaé est visitée par le Moi qui vit en elle comme un papillon multicolore. Baudelaire lui, est habité, occupé, parfois prisonnier de son moi et cherche donc dans « celle qui est brillante » (aglaos), un repos, une libération. Il voudrait un « droit de visite » à une prison sans barreau. Le mystère de l’amour sexué de l’homme et de la femme est là. Là est l’origine du besoin qu’il a de la femme, qui elle l’a aussi de lui mais autrement. Un moi visiteur n’use pas, ne taraude pas, laisse ouvertes les autres instances psychiques : l’émotion, le rêve, le bonheur d’un vécu intense et à la fois sa mise à distance joyeuse. C’est dans ce tenir-lâcher que vit spontanément la femme, intentionnellement le poète. C’est pourquoi la femme est dite positive… ce qui ne veut rien dire ! Quand on dit à quelqu’un d’être positif on veut dire « secouez-vous, décidez d’être optimiste », comme si on pouvait en ce lieu secret de l’âme prendre une décision volontaire qui aurait la capacité de résoudre l’énigme de cette différence de nature, de cette différence d’incarnation du moi en lui ou en elle. Ce slogan typiquement anglo-saxon est une puérilité de notre temps. Puérilité adoptée d’ailleurs par les femmes pour morigéner les hommes bien sûr… négatifs ! Sans une connaissance approfondie de la nature humaine qui ne se laisse pas saisir par slogan, l’homme est impuissant. Se vouloir positif est une absurdité psychologique et philosophique. Il s’agit moins d’être « positif » que fort et léger en même temps. Et on revient à… la « concentration-dissolution du moi » qui mérite explication.

Il est une part concentrée de notre moi qui, nous persuadant de l’évidence de notre conscience libre et pensante nous invite à nous prendre en charge, à croire en nous même tout en nous interdisant la complaisance. A certains moments de la vie, il faut croire dur comme fer à son existence, à son être pensant et voulant, à condition toutefois que ce lien raison~vouloir ait été tissé dans le cœur pendant l’enfance et l’adolescence. A d’autres moments il faut dissoudre. C’est parce qu’on sous estime, voire qu’on oublie ce facteur, qu’il est facile de proposer ce naïf impératif du « sois positif » dont le but inconscient et de culpabiliser celui qui n’ayant pas été éduqué à se connaître et à s’équilibrer lui-même, est incapable de faire sienne une injonction qu’il répètera comme un mantra dérisoire, ou ressentira comme insensée.

La part dissolvante du moi vit en Aglaé comme en la Duval, leur offrant une perception artiste du monde que souvent n’ont pas les hommes, engoncés dans leur raison, leur rationalisme, leur logique parfois « à deux balles ». Mais certains d’entre eux la connaissent et en font un usage qui plaît aux Aglaé. Un autre aspect de ce moi dissous-soluble est qu’il tend à mettre le cadre, la Loi, à l’écart -invention masculine s’il en est (patriarcale diraient les féministes)-, et c’est pourquoi hommes et femmes sont à la racine irréconciliables, ont sur la nature de l’être humain des points de vue qui divergent totalement quand ils ne sont pas ennemis. Comme souvent, la vérité est au Juste Milieu, à condition, là encore, que chacun des protagonistes sache pour lui et pour l’autre comment se construit ce milieu. Comme il y a toujours conflit et que les concernés ont rarement esprit de géométrie ou de finesse pour l’engendrer subtilement et le localiser, la plupart des couples homme-femme, après quelques années de vie se figent sur leurs positions. La femme accuse l’homme d’être rigide et borné, l’homme adresse à la femme l’éternel reproche de légèreté, d’illogisme, d’irresponsabilité et de laxisme. C’est de cette mésentente cordiale, dans le cadre figé de cette différence radicale, qu’émerge peu à peu la « trouvaille » homosexuelle, les conditions de sa réalisation.

Ce ne sont plus alors les contraires qui s’attirent mais les ressemblants qui s’assemblent. La complémentarité homme-femme, la polarité yin-yang s’estompe, tend à s’effacer ; quitte, un peu plus tard, à se recréer à nouveau. Aglaé diminue, Jeanne croit. Dans le couple lesbien une devient hommasse et l’autre femme au carré, tandis que le mâle se fait tante pour offrir au super mâle « qui baise tout ce qui bouge », un jeune garçon-fille un peu maniérée. Avec, dans l’entre deux, le transsexuel qui fait saliver la foule et qui n’est qu’un polysexué déchiré, un mutant qui conduira un jour l’humanité vers une lointaine, très lointaine, a-sexualité.

Pour compléter, il faut mentionner Platon et son androgyne qui nous explique que la coupure du départ a laissé des traces, que la plaie, mal cicatrisée, suppure et que, comme le disait le tribun Mélenchon, partisan du mariage homo, l’autre soir à On n’est pas couché, émission d’un homosexuel rieur mais sérieux, on ne choisit pas d’être homo, on l’est. On est alors obligé de remplacer l’androgyne par l’hérédité, le mauvais exemple, la mère abusive, le viol précoce. L’hypothèse psycho-spirituelle illustrée par le triptyque Baudelaire-Rimbaud-Verlaine qui parait avoir réussi solve et coagula n’est jamais faite. L’homme et la femme, au delà de définitions anatomique, physiologique, éducationnelle incontestables, sont plus que différents, ils n’appartiennent pas à la même espèce. Si bien que, s’ils devaient chacun redevenir animal selon Darwin, un serait buffle, l’autre tigresse, l’un poisson-volant et l’autre cœlacanthe. Non, l’Un n’est pas l’Autre!... Et c’est pour ça que la vie est intéressante.

L’homosexualité est donc bien un mystère mais pas du genre de l’immaculée conception. Parmi les différentes façons de la caractériser -et non la juger-, celles qui sont le plus à notre portée d’être pensant et sentant serait de dire que l’homosexualité, qu’elle soit un « choix » ou un « état », est de rater cette chance de connaitre l’Autre, et pas cet autre abstrait qu’on appelle prochain parce qu’il est éloigné, non celui qui nous frôle, nous heurte, nous intrigue, nous nargue, nous brutalise (et pas seulement au physique), nous bluffe de sa feinte certitude dont tout psychologue connaît l’insondable incertitude: l’autre sexe. Etre homosexuel c’est rester dans le même, vivre un mimétisme d’avec soi, jouer Narcisse insatisfait, avoir peur de l’inconnu, cette peur qui parfois déclenche toutes les audaces et les provocations jusqu’à dire que l’inconnu se connaît lui-même, que non-être est, que la personne est un leurre, le Moi une chimère.

Depuis Freud, la tendance à le nier ce moi s’accélère, se concrétise, si on en juge par les débats qui se nouent sur tel ou tel support à prétention scientifique, mais surtout, ceux qui se sont noués dans les parlements nationaux, d’Espagne, de Hollande, d’Angleterre, d’Argentine. Etre homo était une tentation, une aventure, une folie, c’est depuis peu un droit que les hétéros devraient bien se garder de contester car – si elle ne le fait pas encore –, la Cour Européenne veille ou ne tardera pas à le faire. Après un siècle d’« avancées » psychologiques nous ne savons toujours pas :

1. ce qu’est le Moi humain (le sur-moi est un concept flou),

2. comment il se manifeste dans la relation sexuée.

Le mariage homosexuel, vu sous cet angle, apparaît alors comme un gentil divertissement, la preuve et d’une carence des nos cœurs et du complot inconscient qui agit dans le monde pour le détruire et faire des humains les zombis dont rêvent les mondialistes style Jacques Attali qui appartiennent au genre financier-criminel international et non pas au sapiens sapiens. Quand l’homme ne saura plus ce qu’est son Moi, plus ce qu’est la différence de sexes, ne se réjouira plus de la nuit étoilée qui nous repose du soleil éclatant mais dira que c’est pareil, le monde sera prêt pour la guerre de tous les imbéciles contre tous les autres. Et ceux qui auront organisé ce conflit l’observeront de la fenêtre de leurs résidences surveillées par des vigiles armés. La vérité du poète sera oubliée sauf pour les réfugiés de l’ile de la réunion qui dissoudront et concentreront à loisir leurs moi complices. Leur monde alors « sera réduit en un seul bois noir pour nos quatre yeux étonnés, en une maison musicale pour notre claire sympathie ». (Rimbaud, Illuminations.)

Marc Gébelin