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253815 février 2003 —Après l’intervention, hier 14 février, de Dominique de Villepin au Conseil de Sécurité, applaudie par le Conseil dans une manifestation rarissime d’adhésion à un argument d’un de ses membres, le ministre britannique Jack Straw a commencé sa propre intervention par un trait d’ironie chargé de sous-entendus, qui l’a soudain rapproché des Français, et éloigné d’autant du Nouveau Monde. De Villepin, — coup de pied élégant à Rumsfeld — avait parlé dans son discours de ce vieux pays, la France, appartenant à la vieille Europe, ce qui induit tant de cette sagesse dont semblerait parfois manquer le secrétaire à la défense, et tout cela de façon si gaullienne (« Vieille France, accablée d’Histoire, meurtrie de guerres et de révolution », selon de Gaulle dans ses Mémoires de guerre) ; et Straw de commencer sa propre intervention par cette phrase, évidemment improvisée, et saluée d’un sourire par de Villepin : « Nous aussi, nous sommes une vieille nation, nous sommes nés en 1066, nous avons été créés par les Français... »
Ce point symbolique nous dit que les Britanniques eux-mêmes ont ressenti la signification de cette séance historique du 14 février, au Conseil de Sécurité de l’ONU ; il nous dit qu’il n’est pas impossible que les Britanniques réfléchissent pour l’avenir, avec ou sans Tony Blair.
Cette séance du 14 février du Conseil de Sécurité est un tournant de plus dans une crise qui ne cesse d’en prendre à son aise avec le scénario préparé au Pentagone ; c’est un tournant historique, qu’on caractérise par plusieurs points :
• Le ton positif de Hans Blix, plutôt favorable aux Irakiens, impliquant une forte demande de poursuite des inspections, — tout cela, malgré les pressions US de ces derniers jours< N>;
• Le rassemblement autour de la France, cette fois très visible par des péripéties symboliques et très significatives. Ceci, selon un rapport de AP :
« The day belonged to French Foreign Minister Dominique de Villepin, whose impassioned speech seeking more time for inspections elicited rare and loud applause from diplomats in the chamber. By contrast, ambassadors and dignitaries greeted Powell's remarks with silence.
» De Villepin told The Associated Press afterward that France wouldn't support a U.N. resolution authorizing war. China and Russia, also with the power to veto resolutions, pressed for more inspections and threw their support behind France. »
• La position française a été défendue par de Villepin avec une alacrité remarquable, confirmant que la France ne se présente pas sur la défensive, qu’elle est au contraire sur l’offensive. Il est évident qu’un tel état d’esprit accentue l’attraction d’un rassemblement autour de ce pays comme leader de l’opposition à la poussée US. Cette alacrité française est notamment symbolisée par les remarques acerbes de De Villepin à l’encontre des attaques US de ces derniers temps. Le Guardian les rapporte de la sorte :
« And in a deliberate jibe at remarks by the US defence secretary, Donald Rumsfeld, who last month referred to French and German opposition to Washington's march to war as the response of ''old Europe'', Mr de Villepin said America may have something to learn.
» ''We must give priority to disarmament by peaceful means,'' he said. ''It is an old country, France, from an old continent, that tells you so today. A country that has known wars, occupation, barbarity.''
» Stung by US and British media headlines alleging that France had ''forgotten'' US help in the second world war, Mr de Villepin retorted: ''[Mine is] a country that does not forget, and is fully aware of what it owes to freedom fighters from America and elsewhere. [But] true to its values, it wants to act resolutely together with all the members of the international community.'' »
• Le colère impuissante de Powell est une autre illustration de cette journée historique. Pour la deuxième fois en moins d’un mois (après le 20 janvier), pour la deuxième fois à cause du Français de Villepin, Powell perd son calme et écarte ses notes. Il improvise une protestation sans grande portée, montrant surtout, une fois de plus, que la diplomatie US, enfermée dans la certitude de sa puissance, est incapable de prévoir ces situations où elle est mise en cause, — lesquelles deviennent monnaie courante ces derniers temps.
« A visibly exasperated Secretary of State Colin Powell setting aside his prepared remarks, warned that the world should not be taken in by ''tricks that are being played on us.'' But only Spain and Britain spoke up for the U.S. position in the 15-member council, and even Britain's Foreign Secretary Jack Straw held out hope for a peaceful solution if Iraq dramatically accelerates its cooperation. » (AP)
Cette séance du 14 février au Conseil de Sécurité a eu lieu sur l’arrière-plan des grandes manifestations du week-end. Celles-ci auront lieu sur l’arrière-plan de ce débat historique du 14 février. Les deux événements sont parfaitement interactifs et marquent les deux aspects d’une même bataille. Ils marquent également une défaite cuisante pour les Américains, qui se retrouvent plus isolés que jamais, à la fois prisonniers du processus de l’ONU et mis à l’index par ce processus.
• Pour se libérer du processus ONU, il faudrait une décision unilatérale qui mettrait les USA hors des normes internationales et accélérerait de façon vertigineuse l’effondrement de leur système d‘influence (OTAN notamment).
• Le fait de rester dans la logique ONU représente pour les USA, une voie également très épineuse : réduction de leur influence, accentuation du trouble intérieur, et, dans tous les cas, même processus de désagrégation, en à peine moins rapide, des points forts de l’influence américaine du dernier demi-siècle.
On voit combien la crise actuelle, avec ce tournant important du 14-15 février, est confirmée comme la crise de la puissance américaine beaucoup plus que n’importe quelle autre interprétation qu’on peut lui donner.
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