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1293«Cette crise immense qui est celle du monde et de notre civilisation est aussi celle de chaque individu» – (Notes sur la maniaco-dépression du monde (dde.crisis), le 19 janvier 2012)
Ce matin, je me lève en entendant à la radio quelque chose qui m’a fait sourire, en me disant, tiens, voilà quelque chose comme une vérité, qui sort de la bouche de nos élites, et qu’ils n’appréhendent que de manière diffuse…
C’était au journal de 8h00 de la Radio suisse romande, ce jeudi… [voir le 19 janvier 2012]
Transcription :
«Notre planète va droit dans le mur. À quelques jours de l’ouverture du WEF, son fondateur, Claude Schwab l’affirme : le monde frise le burnout. De nouveaux modèles sont nécessaires».
Suivent les autres titres du journal, puis la journaliste entre dans le vif du sujet :
«“Notre monde est proche du burnout. Le capitalisme n’est plus en accord avec la réalité, il faut une grande transformation et de nouveaux modèles”. Ces mots sont de Claude Schwab, le fondateur du Forum mondial économique de Davos. Le WEF, comme on l’appelle, se déroulera la semaine prochaine et les objectifs visés sont ambitieux. Céline Sault [l’envoyée spéciale, NdT] : “A en croire Claude Schwab, notre planète va droit dans le mur. Nous vivons en pleine dystopie, comprenez l’opposé d’utopie et nos modèles, qu’ils soient économiques ou politiques, sont obsolètes. Une manière pour le fondateur du forum de rappeler l’utilité de cette grande messe où businessmen et politiques devraient réfléchir à notre futur ”»
Le reste est de moins en moins intéressant, jusqu’à la conclusion : «Des solutions, il s’agira donc d’en élaborer à Davos. Cinq jours pour éviter à notre société le burnout.»
1. «Le monde va droit dans le mur» : ça, c’est “l’esprit du temps” [le 18 janv. 12 janvier 2012], réactualisant les mouvements new age des années 70 fort à la mode en cette année 2012 via la grâce du calendrier maya et du film de Roland Emmerich (sorti en 2009 déjà !)… La chose nouvelle est que cela a diffusé chez nos “dirigeants” qui avouent (indirectement) ou montrent de plus en plus leur désarroi… (On est loin des “pousses vertes” [le 22 mai 2009] de 2009 !!)
2. La “dystopie”, elle, n’existe que s’il l’on croit à une utopie ; que si l’on prétend installer une utopie. Or l’installation d’une utopie (par exemple cette “fin de l’Histoire” promise en 1992, c’est précisément ce dont les idéologues du capitalisme (et autres –ismes) veulent nous/se persuader… Or la où l’utopie n’est jamais atteinte, la dystopie, elle, l’est régulièrement… Piège classique du sapiens dans sa version rationaliste…
3. La situation d’aujourd’hui n’a rien à voir avec la nécessité de “nouveaux modèles”, dont la critique, l’élaboration, la proposition, ont déjà été faites depuis longtemps sans mener à aucune réforme à l’échelle nécessaire ; et aujourd’hui, les choses sont tellement bloquées (surpuissance) qu’une réforme est moins envisageable que jamais. Ce qu’il faut, ce ne sont pas de nouveaux modèles (qu’est ce que la “raison seule” va encore nous concocter ? quel beau système d’ingénierie sociale ?) ; ce qu’il faut, c’est l’usage d’une raison certes, mais inspirée, nourrie par une intelligence plus subtile, plus sensible, par une pensée plus vivante ; un nouveau rapport à la vie, à la biosphère, de quoi faire un nouveau monde. [voir le 7 janvier 2012]. Cela seul viendra nourrir ensuite l’usage adéquat de tel ou tel modèle.
Le développement durable fournit une illustration de mon propos. Le D.D. fut une des tentatives majeures de réforme du système, initiée dans les années 70, et dont l’échec est reconnu aujourd’hui par ses militants, analystes et promoteurs. Certains en font une analyse intéressante (Dominique Bourg, par exemple, ici, autour de la 32ème minute), qui en attribuent la cause au fait de n’avoir essayé de le mettre en œuvre que par le seul recours à la technologie (et l’on sait bien dans quel sens va la technologie, cadrée et guidée qu’elle est par les seules incitations économiques…) Or il eut fallu précisément commencer par l’esprit… Un changement d’esprit, de psychologie, renouer le contact avec la dimension biosphérique de notre planète (de la Biogée comme l’appelle Michel Serres), renouer avec nos racines, renouer avec une pensée vivante, renouer avec une manière intelligente d’être en contact avec ce qui nous dépasse (et que le rationalisme cru un instant pouvoir toiser de haut, maîtriser, mépriser, nier…). Renouer avec une manière intelligente et sensible d’être en relation avec le monde vivant et de former un cosmos. Bref, on a mis la charrue avant les bœufs… On a mis la technologie avant l’esprit.
Et tant pis pour notre orgueil si dans cette analogie, l’esprit est le bœuf… C’est au contraire très bien ! Cela rappelle que l’esprit, c’est certes le souffle, le grand souffle, mais que celui-ci souffle d’abord sur terre, sur les champs et les bosquets, les haies et les futaies, sur les prairies et les herbes, dans les arbres et dans les forêts, par-dessus les ruisseaux et les lacs, avant qu’on ne puisse le suivre le long des torrents de montagnes puis sur les hauts espaces des sommets…
(« Le bœuf est lent, mais la terre est patiente » ! Et le yack, finalement, de passer par les hauts cols himalayens… (avant peut-être de se transformer en oie, passant bien plus haut encore, aurait rajouté Tchouang tseu en rigolant)).
4. La chose finalement la plus intéressante là-dedans, mais que Claude Schwab ne comprend absolument pas (parce qu’on ne l’apprend pas dans les livres, mais que cela ressort intrinsèquement de l’expérience vécue), c’est le burnout… Le burnout (je parle d’un burnout qui vous met dans une incapacité totale d’agir, qui rend le mental totalement inopérant, totalement bloqué, d’un burnout qui vous laisse étendu sur le carreau [voir le 18 décelmbre 2010], pas d’un burnout graduel et partiel tel que l’on se le représente souvent, un burnout à 60%, 65%, 80% tel que le diagnostiquent les psychologues du travail), ce burnout là exige, ne peut exiger, pour une guérison, qu’une seule chose : un lâcher-prise. Toute prise de médicament pour faire disparaître les symptômes et faire tenir le “patient” juste sous l’état où il ne craque ne guérit rien.
Or qu’est-ce que l’équivalent du “lâcher-prise” pour notre collectif ? C’est bien la sortie du Système. C’est bien, le temps du lâcher-prise, l’oubli de tout, une grande pause, un grand vide, un silence… Seule manière permettant de retourner à l’essentiel, au cœur de ce qui est essentiel, aux racines, à la source…
…Puis d’évacuer les tensions, les émotions accumulées qui bloquaient, et de permettre au tout de se réarticuler de manière non seulement vivable et durable, mais vivifiée, revigorée, agrandie, fluide, à nouveau intensément et entièrement vivante…
Christian Steiner
P.S. Incidemment, ce burnout peut bien être ce qui permet de dénouer l’emprisonnement psychologique dans la maniaco-dépression dont parle la Note de ce même jour [voir ce 19 janvier 2012], et dont j’ai extrait l’exergue, phrase absolument centrale.
P.P.S. Une amie me demandait cependant : « Crois-tu qu’il faut en passer par là ? Par un burnout ? » (au sens où je l’entends, où le corps oblige au lâcher-prise)
Et bien… je n’en sais rien. Ce fut le cas personnellement, et cela me permis de me libérer, de me retrouver, de retrouver en moi le ressort de mon action, de retrouver la vie partout où elle est présente, de retrouver le sens du monde (cela redonne force et laisse une fragilité à la fois (qui sert de guide), et il faut être assurément d’une énergie de guerrier – ou de guerrière – pour continuer tout en restant inscrit dans cette « vie » sociale (sans parler du reste !) que le Système tient encore tout entier !)
Ce dont je suis par contre intimement persuadé, c’est de la nécessité d’une rupture. C’est de la nécessité de s’évader. (Un ancien prisonnier du goulag, resté sur les lieux, dit à Sylvain Tesson (Sous l’étoile de la liberté) : «Pour s’évader, encore faut-il avoir quelque part où aller.» Précisément ! Vers où te faut-il aller, quand tu ne vaux pas mieux qu’à moitié mort ? Lorsque la formulation de la question devient telle que la réponse s’impose soudain d’elle-même, que la réponse devient si évidente, limpide, claire, alors le premier pas de l’évasion est fait !)
Tout ce que je sais, c’est la nécessité d’être soi, entier, vivant. Tout ce que je sais, c’est la beauté de déployer son énergie dans un monde à la hauteur – ou plus précisément : de le faire à la hauteur du monde tel qu’il est (Sors… Vas ! Ecoute !) – et non de cette sinistre mascarade du Système.
Je comprends trop ces lignes de la poétique de Goethe :
«Tant que tu n’auras pas saisi ce “meurs et deviens”,
»tu ne seras qu’un obscur voyageur
»sur cette terre ténébreuse.»
La Tradition a d’autres mots pour désigner un aspect de ce même passage, quand elle dit qu’il faut « passer par le Nord » (le sombre, le caché, l’obscur, le silencieux, l’humide) « avant d’atteindre l’Orient »…
Après avoir lu la Note sur le dernier dde.crisis (ce que je n’ai fait qu’après avoir écrit le premier jet de ce texte, que je n’ai que peu modifié depuis), je constate que dedefensa parle, lui, d’une « réaction dépressive transcendée »… Oui. Mettons que le burnout (transcendé !) n’est qu’une des modalités possible, assurément extrême, de la chose…
Pour le reste…
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