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17 juin 2005 — Les Européens se disent qu’ils sont en crise. Ils n’ont pas tort. Ils jugent qu’ils sont paralysés. Ils n’ont pas tort. Ils s’affolent parce qu’ils ont peur pour leur réputation, face à leurs partenaires divers dans le monde, dont ils pensent qu’ils vont profiter de leur panne. Ils ne devraient pas. Ils sont parfaitement conformes à l’humeur du monde.
Le grand phénomène, la “tendance” actuelle, c’est une immense paralysie qui envahit les politiques et les dirigeants, confrontés à la fois à l’échec de leurs très grandes politiques et à leur impuissance à y remédier. Rapide revue de taille, non exhaustive.
• L’Europe bloquée, on l’a déjà dit. Ce qui se passe à Bruxelles, hier et aujourd’hui, et encore demain et après-demain, et pour un certain temps, ne représente que des manœuvres tactiques de piètre qualité. Il faut bien des discussions de boutiquier, nous les avons. Les dirigeants sont totalement impuissants devant une crise qu’ils n’ont pas vue venir et à laquelle ils ne comprennent rien, — à laquelle certains d’entre eux, assez rares mais il y en a, n’osent pas trop comprendre ce que leur bon sens et leur intuition leur disent. Ils décident sur des choses que les événements ont imposé d’ores et déjà, comme par exemple la “mise en hibernation” de la Constitution, comme titre “The Independent” d’aujourd’hui à propos des décisions, à Bruxelles hier. “Nous ne comprenons rien à ce qui se passe, feignons d’en être les organisateurs”.
• Le même “The Independent” d’aujourd’hui nous apprend que Tony Blair, qui est allé à Washington la semaine dernière, en a rapporté une mauvaise nouvelle : son projet de lancer, au sein du G-8, un grand programme de lutte contre le réchauffement climatique avec l’aval des Américains, a rencontré l’hostilité à peine polie de ces mêmes Américains. Le plus extraordinaire est que Blair et son équipe aient cru un instant qu’ils allaient obtenir quelque chose d’une direction US encalminée dans un océan de stupidité, de corruption et d’impuissance. Quelques mots de The Independent.
« The “plan for action” to tackle climate change for the G8 summit next month has been drastically watered down following Tony Blair's visit to Washington, according to a leaked draft.
» The new text has been stripped of commitments to fund programmes that appeared in a previous leak of the communiqué, which was dated 3 May. In the new document, of 14 June, some key phrases appear only in square brackets, indicating that their inclusion is in dispute, while other important sentences have been taken out altogether.
» In this week's version, even the phrase “our world is warming” has been placed in square brackets. The sentence, referring to the rise in the earth's temperature: “We know that the increase is due in large part to human activity” has been relegated to square brackets, as has: “The world's developed economies have a responsibility to show leadership.”
» Catherine Pearce, the international climate campaigner at Friends of the Earth, said: “The new text is really attacking the whole science on climate change. The previous text was weak but at least it recognised the science. The US administration has hacked the text to pieces. I just don't know where we can go from here.”
» Stephen Tindale, the executive director of Greenpeace and a former adviser to Tony Blair, said: “President Bush is an international menace. Blair says climate change is the gravest threat we face and but it seems his friend in the White House refuses even to admit the world is warming.” »
• Les Américains prévoient parfois, non sans une cynique satisfaction à peine dissimulée, l’effacement de l’Europe. Ils ont tort d’afficher cette cynique satisfaction, qui ne prouve rien d’autre que leur incapacité à embrasser la situation du monde dans son ensemble, — inquiétant travers pour qui prétend succéder à Rome. On ne s’efface d’un monde qui, lui-même, s’efface comme du papier buvard. Washington est la première puissance, la première d’entre toutes (primus inter pares) selon ses affirmations pompeuses, et elle est aussi la première à s’abîmer dans une paralysie totalement catastrophique. Un autre texte du même Independent, décidément à l’ouvrage, nous décrit l’état d’esprit de Washington devant la catastrophe irakienne, point de fixation de toutes les impuissances et les vanités de l’Empire, et aussi devant le reste qui s’accumule.
« There is an increasingly sour mood in America, much disillusioned with Mr Bush, and inclined to share Mr Conyers' belief that “we got into a secret war we hadn't planned, and now we're in it we can't get out”.
» In June 2002, a month before the British memo was written, 61 per cent of Americans favoured the forcible removal of Saddam Hussein, as the next stage of Mr Bush's ‘war on terror’. Today, polls show that only 42 per cent say the war was worthwhile.
» Mr Bush's approval ratings have tumbled further, to just 41 per cent, the lowest level of his presidency. One reason is dissatisfaction with the economy, most notably the soaring cost of petrol. But the biggest reason is Iraq, which threatens to undermine his second-term strategy. The White House had hoped that Iraq would fade as an issue after January's elections. This, it believed, would allow it to focus on Mr Bush's domestic goals of social security and tax reform.
» But in the past month alone, 80 US soldiers and more than 700 Iraqis have died and the Pentagon admits that the violence is as bad as a year ago. Even some of its allies blame the White House for not telling the truth about the extent of the insurgency. “We always accentuated the positive and never prepared the public for the worst,” Senator Lindsay Graham, a South Carolina Republican, said.
» The President's signature policy — the campaign to part-privatise social security — has hit a brick wall. “Exit Policy on Social Security is Sought,” was a Washington Post headline, above a report explaining how senior Republicans were urging the White House to quietly drop the measure, since it had no hope of passing.
» Other Bush policies are also under attack. In a rare act of defiance, the Republican-led House voted by 238 to 187 to scrap a provision of the Patriot Act, which allows the FBI to check library and bookstore records in anti-terrorism inquiries. The President vows to veto any such change, just as he promises to "stay the course" on Iraq, and to press ahead with social security reform. But the line is growing more difficult to hold.
» Last night, Senate Democrats planned to block for a second time a floor vote to confirm John Bolton as the next US ambassador to the United Nations, until the White House releases more information on its embattled nominee.Other Republicans are demanding closure of the Guantanamo Bay prison, although the White House says it is vital for security. »
• Contrairement aux thèses abondamment documentées en Europe, ce qui doit nous faire peur avec l’Amérique de GW, ce n’est pas sa puissance mais son impuissance. Ce qui est décrit pour l’Irak vaut pour le reste. On connaît l’état du centre nerveux et moteur de la machine militaire, le Pentagone, Gargantua kafkaïen en train de devenir un monstrueux Frankenstein. Les chiffres, budgets, investissements, montagnes de dollars, qu’égrènent les analystes fiscaux, façon perroquet au ramage sophistiqué, n’ont aucun intérêt. Ils décrivent une situation conjoncturelle susceptible de changer en un tournemain (c’est la spécialité de l’Amérique). Ce qui importe est l’état structurel de l’Amérique, et peut-être de la psychologie même de l’américanisme; l’évolution catastrophique à cet égard rend cette puissance totalement vulnérable à un événement conjoncturel brutal. La situation est, en pire, celle de 1929 (la comparaison concerne le processus, pas le domaine concerné, — l’économie dans ce cas ; il s’agit de la fragilité structurelle face à l’accident conjoncturel): une situation conjoncturelle florissante et même éclatante (le crédit, les investissements, la spéculation, etc) et des faiblesses structurelles extraordinaires, notamment psychologiques, qui conduisirent à une chute cauchemardesque dans la Dépression jusqu’en 1933 après l’accident conjoncturel du “Black Thursday” d’octobre 1929.
Revue terminée, on comprend qu’on doit aussitôt introduire une nuance de taille par rapport à notre titre : non pas “le monde paralysé” mais les directions et les dirigeants du monde également paralysés, avec les Américains en tête. Le système met de plus en plus au jour non seulement ses limites, mais également les effets terrifiants qu’imposent ce qui a déjà été fait.
C’est la crise d’un système dont la puissance interdit qu’une résolution de cette crise soit faite par les moyens de réformes, radicales ou non, voire de ruptures violentes par les voies habituelles, c’est-à-dire portant sur les causes de la crise. Aucun moyen n’est possible, pour résoudre la crise, sinon celui de la certitude conduisant à nier le fondement de la crise et se réfugiant dans la fuite en avant: toujours plus de ce qui est la cause même de la crise. A ce rythme, un accident imprévu peut, brusquement, prendre des proportions également complètement imprévues.
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