Le monstre de la dette

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La dette du système américaniste est un monstre considérable, un Himalaya d’engagements. Il paraît qu’elle empêche Obama de dormir, – «The debt gap is “something that keeps me awake at night,” Obama says», rapporte AP dans une analyse du problème de la dette US, ce 3 juillet 2009. L’envolée prodigieuse de la dette, ces derniers mois, a fait surgir un problème dont nous ne doutons pas qu’il fut considérable: l’“horloge” comptabilisant la dette publique, installée dans Times Square en 1989, a dû être modifiée, restructurée si l’on veut, parce qu’elle était à court de chiffre lorsque la dette a passé $10.000 milliards, – ce qui indique au fond qu’il n’était pas concevable à ceux qui la mirent en place, en 1989, qu’on pût jamais atteindre ce chiffre…

«The odometer-style “debt cloc” near Times Square — put in place in 1989 when the debt was a mere $2.7 trillion — ran out of numbers and had to be shut down when the debt surged past $10 trillion in 2008. The clock has since been refurbished so higher numbers fit.»

La question que nous nous posons est celle-ci: ont-ils prévu un ou bien deux chiffres de plus, – lorsque la dette dépassera $100.000 milliards?

«According to the Treasury Department, which updates the number “to the penny” every few days, the national debt was $11,518,472,742,288 on Wednesday. The overall debt is now slightly over 80 percent of the annual output of the entire U.S. economy, as measured by the gross domestic product.

«Some budget-restraint activists claim even the debt understates the nation's true liabilities. The Peter G. Peterson Foundation, established by a former commerce secretary and investment banker, argues that the $11.4 trillion debt figures does not take into account roughly $45 trillion in unlisted liabilities and unfunded retirement and health care commitments. That would put the nation's full obligations at $56 trillion, or roughly $184,000 per American, according to this calculation.»

Actuellement, le service de la dette coûte $452 milliards par an (autour d’un sixième du budget fédéral) et, selon les projections du GAO basées sur les chiffres actuels, – évaluation purement théorique appelée simplement à rendre compte d’une tendance, – en 2040 elle absorberait l’entièreté de ce budget.

Pour l’immédiat, la tendance, plus ou moins intéressée selon ceux qui y sacrifient, est d’avertir que cette dette constitue un risque important de crise explosive pour le gouvernement des USA: «The mountain of debt easily could become the next full-fledged economic crisis without firm action from Washington, economists of all stripes warn. “Unless we demonstrate a strong commitment to fiscal sustainability in the longer term, we will have neither financial stability nor healthy economic growth,” Federal Reserve Chairman Ben Bernanke recently told Congress.»

D’une façon générale, l’essentiel pour juger de cette dette colossale nous paraît être évidemment son usage et sa productivité, voire sa légitimité. Les 80% du PIB que constitue cette dette sont présentés par des techniciens de la chose, également d’une manière intéressée, comme pas si exceptionnelle qu’il n’y paraît puisque le Trésor US a déjà atteint le pourcentage de 120% du PIB d’endettement durant la Deuxième Guerre mondiale. Mais l’endettement de cette époque avait un but et une activité de productivité et d’efficacité: non seulement il s’agissait de gagner une guerre, ce qui est un but vital de sécurité nationale, mais également dans des conditions où, à part la dette, la victoire donnerait aux USA une position de totale domination du reste du monde, tant industrielle, militaire que politique, avec tous ses concurrents potentiels (y compris ses alliés) dans une position catastrophique de dévastation à tous égards, et donc la nécessité pour eux de se soumettre à leur diktat (Bretton Woods et le dollar, etc.). La dette était alors un investissement à peine risqué, dont le rapport serait immédiatement considérable comme le montra la position de domination du monde des USA dans l’immédiat après-guerre.

La situation est complètement différente aujourd’hui. Le problème actuel de la dette US est que cet endettement colossal est pour l’instant complètement improductif sauf pour quelques pouvoirs privés bien connus (Wall Street en particulier), et qu’il a toutes les chances de le rester. Surtout, la dette n’implique nullement un accroissement de la légitimité de celui qui s’endette, par les pouvoirs supplémentaires et surtout l’autorité que lui donnerait cet afflux d’argent. Au lieu de renforcer structurellement (autorité régalienne, légitimité) par une contrainte conjoncturelle temporaire (service de la dette) celui qui la contracte, comme c’est le rôle d’un endettement productif, la dette l’affaiblit structurellement en plus de le contraindre conjoncturellement. Le gouvernement US continue à s’endetter en perpétuant, voire en aggravant un système qui ne donne aucun pouvoir régalien à l’autorité centrale mais, au contraire, le place de plus en plus au service de forces privées devenues irresponsables et totalement repliées sur leurs seuls intérêts. Pour le cas des USA, c’est d’ailleurs partir d’une évidence, ce gouvernement ignorant ce qu’est l’autorité régalienne depuis l’origine de la création de ce pays. Le gouvernement US ne s’endette pas pour le bien public, il s’endette pour des intérêts privés selon le dogme que ces intérêts feront redémarrer la machine générale alors qu’ils sont la cause des catastrophes successives qui nous frappent; à la limite aisément discernable, cet endettement permet à ces forces privées de préparer d’autres catastrophes. (Objectivement et sur un plan politique plus laege, on doit même constater que ce processus d'affaiblissement de l'autorité du gouvernement affaiblit la confiance structurelle des composants de l'Union [les Etats] et accentue les risques de dislocation de la Grande République.) Il est difficile de trouver un processus plus schizophrénique, qui fait justice de l’idée d’“interventionnisme public” réhabilité que l’on a avancée pour caractériser cette crise. C’est un faux interventionnisme, où le gouvernement (on ne doit pas parler d’Etat dans le cas des USA, le terme étant réservé aux Etats de l’Union) accentue son rôle de simple courroie de transmission des forces privées; littéralement, il “blanchit” l’argent destiné à des intérêts privés improductifs. (L’accroissement continu du chômage accompagnant le redressement des banques est un autre signe de la perversion de la méthode.)

En 1944 (120% d’endettement), le gouvernement US était un peu plus régalien qu’il n’est aujourd’hui à cause des conditions exceptionnelles du conflit (il l’était “accidentellement”, si l’on veut, à la suite de la Grande Dépression); il pouvait imposer certaines orientations aux forces privées, dans un but “objectivement” productif du point de vue du système en général (hégémonie, capture des marchés extérieurs, etc.). Aujourd’hui, l’endettement nourrit presque exclusivement des forces privées improductives et un gaspillage colossal du aux vices généraux du système. La catastrophe possible due à la dette ne tient pas à la question de la “discipline fiscale”, comme le suggère Bernanke avec l’état d’esprit qu’on imagine, mais aux vices structurels du système; elle ne tient pas aux questions de comptabilité, qui sont des conséquences qui enchaîneraient, mais à la question fondamentale de la confiance dans un gouvernement qui n'a plus aucune légitimité; pour cette raison nous qualifierions la catastrophe de probable bien plus que de possible. Mais ce n’est qu’une catastrophe probable parmi d’autres et la situation est aujourd’hui d’une concurrence de “catastrophes probables”: laquelle interviendra la première?


Mis en ligne le 4 juillet 2009 à 09H03