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5389 mars 2006 — Le Council of Foreign Relations (CFR), prestigieux institut américain de tendance modérée et multilatéraliste, vient de publier un rapport sur la Russie : “Russia’s Wrong Direction: What the United States Can and Should Do”. Le document, de 80 pages, est disponible depuis le 6 mars sur le site du CFR.
Le rapport est extrêmement critique de l’évolution de la Russie et recommande des mesures fermes contre ce pays. On peut en lire ci-après une appréciation, de nos sources internes, en date du 6 mars.
« Report urges U.S., EU to threaten Russia with G-8 expulsion
» The world's powers should let Russia know that it risks losing membership in the G-8 without better cooperation on key international problems, a former U.S. lawmaker said Sunday. Former Republican Representative Jack Kemp, co-chair of a new analysis of Russia, said that nation, which will host the G-8 summit in July in St. Petersburg, should be reminded “that the G-8 is not a perpetual organization.” Russia “should know that we can go back to the G-7 if they don't cooperate on things like Iran, North Korea, nuclear proliferation and the war on terror,» Kemp said on NBC's Meet the Press. The Council on Foreign Relations' report said Russia's emergence as an increasingly authoritarian state could impair U.S.-Russian ability to cooperate on international security issues. Continuation of Russia's drift away from democratic norms under President Vladimir Putin “will make it harder for the two sides to find common ground and harder to cooperate even when they do,” said the report. The other co-chair of the report, former Senator John Edwards, told NBC that “the reason our relationship with Russia matters is we want them working with us, not against us, to solve the world's problems.” The Democratic candidate for vice president in 2004 added that, “at least for now, we believe it's better to have” Russia as a member of the G-8. Release of the report on Sunday was timed to coincide with the Washington visit of Russian Foreign Minister Sergei Lavrov. He arrives Monday and will meet the next day with President Bush and Secretary of State Condoleezza Rice.
» The report urged that the United States preserve and expand cooperation on dealing with the threat posed by Iran's nuclear program and on coping with the risk of Russian nuclear materials falling into the wrong hands. On the whole, though, the report said relations are headed in the wrong direction. “In particular, Russia's relations with other post-Soviet states have become a source of significantly heightened U.S.-Russian friction,” it said. It urged that Washington counter Russian pressures that undermine the “stability and independence” of its neighbors by helping to secure the success of those states that “want to make the leap into the European mainstream.”
» The report was especially critical of the Kremlin's energy export policy, accusing it of turning “a prized asset of economic relations into a potential tool of political intimidation.” The report recommended that Washington step up support for organizations committed to free and fair parliamentary and presidential elections in 2007-2008. Among many setbacks to Russian democracy in recent years, the subordination of the judiciary to executive power received particular importance in the study. “Under President Putin, power has been centralized and pluralism reduced in every single area of politics. As a result, Russia is left only with the trappings of democratic rule — their form, but not their content,” the report said. »
Le document du CFR est intéressant, d’une part par sa fermeté de ton, d’autre part par son origine, et les deux facteurs appréciés l’un en fonction de l’autre. Plutôt que parler de démocrates et de républicains dans le champ politique américain, parlons de libéraux et de conservateurs, de modérés et de radicaux (tous ces épithètes ne renvoyant pas de façon cohérente à l’une ou l’autre étiquette, et pour cette raison nous nous gardons de ces dernières : un républicain peut être libéral et radical, un démocrate peut être conservateur et modéré et ainsi de suite). Selon cette approche on dira que le CFR est libéral et modéré. Ses engagements ont toujours soutenu le multilatéralisme et l’internationalisme. Il représente, dans la perception européenne conformiste, l’alternative désirable à GW Bush. Au terme d’une discussion animée avec un diplomate, il y eut cette conclusion de notre interlocuteur : « Nous attendons la fin de la détestable administration Bush pour retrouver l’Amérique raisonnable que nous aimons. » Cette prévision en forme de fervente prière (c’est comme cela qu’il faut l’entendre) s’adressait notamment à un organisme comme le CFR.
A la lumière de ce document, nous pouvons faire plusieurs constats qui serviront pour la prévision qu’on peut faire de l’évolution des USA.
• L’alternative que nous offre cette soi-disant “Amérique raisonnable” est dans la même illusion que celle qu’entretenait l’administration Bush après 9/11, et que certains de ses membres continuent à entretenir (notamment Cheney, GW étant hors compétition). Elle est dans l’illusion de la toute-puissance américaine, cette puissance étant d’ailleurs fondée et morale, et décrite par cet étrange paradoxe que les multilatéralistes modérés US ont la même configuration psychologique unilatéraliste qu’on trouve chez les autres, en plus de leur politique. Pour commenter le choix politique du moment de la publication de l’étude tel qu’il nous est présenté (« Release of the report on Sunday was timed to coincide with the Washington visit of Russian Foreign Minister Sergei Lavrov »), nous citerons un extrait de l’article de Martin Walker, de UPI (“Multipolar World”) du 7 mars :
« America may still be first among equals, but the Chinese, Russian, Indian and European powers now all think of themselves of equals, or at least demand to be treated that way. And the United States has to grin and bear it; witness the way that Russian foreign minister Sergei Lavrov was given a private dinner with Secretary of State Condoleezza Rice Monday evening, and an unusual meeting with President George W. Bush in the Oval Office Tuesday. »
• La dureté du document, dans ses intentions autant que dans les mesures qu’il recommande, montre des “modérés multilatéralistes” bien plus durs à l’encontre de la Russie que les soi-disant “radicaux unilatéralistes” que seraient les gens de l’administration GW Bush. L’extrait du texte de Walker, avec le contraste entre ce document et l’accueil fait à Lavrov, servira à nouveau de démonstration. Cet extrémisme des libéraux internationalistes n’a rien pour surprendre. Il renvoie au wilsonisme (Woodrow Wilson, président de 1912 à 1920), rebaptisé “néo-wilsonisme” ou “turbo-wilsonisme”, qui est exceptionnaliste, interventionniste, promoteur de l’expansion de la démocratie et (surtout) du marché libre, avec des moyens expéditifs (militaires) s’il le faut, etc. ; l’intervention contre la Serbie en 1999 du gentil Clinton en fut l’illustration avant 9/11. On comprend à énoncer tout cela qu’on énonce une politique qui sied parfaitement aux néo-conservateurs (lesquels sont démocrates d’origine, voire trotskistes, et certainement libéraux) ; et qui va aussi bien à GW Bush, qui est encore dénoncé avec juste raison aujourd’hui, par les conservateurs isolationnistes qui n’ont aucune représentation dans le système washingtonien, comme un “néo-wilsonien”.
• En d’autres mots : blanc bonnet et bonnet blanc. Ce qui a changé l’Amérique, — ce qui l’a précipité dans l’extrême de tendances qu’elle avait déjà, — c’est l’effet produit par 9/11, pas l’administration GW Bush. Le successeur de GW Bush sera nécessairement aussi dur que lui, sinon plus que lui (ce qui est le cas du républicain “libéral” McCain et de la “progressiste” Hillary Clinton).
• Le document CFR nous dit encore ceci d’intéressant : l’état de la pensée stratégique US. En prenant comme objectif central la Russie, le document nous décrit l’état de désordre actuel de la stratégie US, écartelée entre des ambitions éclatées, confuses et disproportionnées, et des moyens en constante dégradation. Qui est l’Ennemi aujourd’hui ? La Russie ? Mais pourquoi pas la Chine ? Ou l’Iran ? Et le terrorisme international ? Et ainsi de suite. L’extrémisme qui affecte toutes les tendances politiques, modérés comme radicaux, libéraux comme conservateurs, est le véritable caractère de l’Amérique aujourd’hui. Il nous en dit plus long sur la psychologie américaniste que sur les menaces qui rôdent dans le monde. D’ici 2008, cela ne s’arrangera pas ; après, non plus.
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