Le New York Times chancelle...

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Le New York Times chancelle...

Le New York Observer publie le 5 février 2014, un article d’analyse et d’enquête de Ken Kurson, sur «The Tyranny and Lethargy of the Times Editorial Page, – Reporters in ‘semi-open revolt’ against Andrew Rosenthal». Kurson a fait une enquête approfondie, notamment sur l’état d’esprit des journalistes du New York Times (NYT) par rapport à la page éditoriale du journal, qui donne l’orientation-Système du “journal global de référence”, le représentant archétypique et universellement consulté, la véritable Pravda du Système et du bloc BAO.

L’article est long et documenté, à partir d’interview de plus d’une vingtaine de journalistes du NYT. Bien entendu, la “crise” est présentée dans des termes plutôt professionnels qui ne mettent pas en cause le fondement du système du NYT, ni bien entendu sa fonction dans le Système. Tous les journalistes consultés mettent en accusation la “page des éditos” du NYT et celui qui la dirige, Andrew Rosenthal, qui ne rend même pas compte à la nouvelle directrice de la rédaction Jill Abramson mais directement aux propriétaires, les Sulzberger. (Le comité de la page éditoriale, dirigée par Rosenthal, est composé de Andrew Rosenthal lui-même, Joe Nocera, Thomas L. Friedman, Arthur Sulzberger Jr., Paul Krugman et Carmen Reinhart.)

Ces mêmes journalistes “révoltés” (ou “semi-révoltés »], qui se définissent eux-mêmes en «semi-open revolt», affirment que le contenu journalistique lui-même du journal est en pleine rénovation et en grand progrès, pour reporter toutes leurs critique sur la “page des éditos” qui donnent les grandes lignes, les véritables “consignes” du journal. L’explication, qui fait de cette page et de celui du la dirige (Andrew Andy Rosenthal) le bouc-émissaire de ce qui est désormais en train de devenir une “crise du NYT”, est évidemment parcellaire et largement contestable : l’orientation et la fonction générales du journal restent ce qu’elles sont, et les soubresauts que restitue cette enquête de Kurson ne font que restituer les soubresauts du Système, et exprimer finalement la crise du Système (“crise d’effondrement”, qui pourrait peut-être s’appliquer au NYT).

Voici un extrait de l’article de Kurson, qui s’en prend, au travers de ses divers interviews, à la page éditoriale mais aussi aux collaborateurs d’opinion réguliers du journal (dont Krugman et Friedman, qui font partie de l’editorial board), l’ensemble constituant la structure éditorialiste et idéologique du journal, – c’est-à-dire sa structure-Système la plus évidente. Comme on voit, Tom Friedman n’est pas à la fête, ce qui devrait mettre toute personne de bonne compagnie complètement à la fête ... (Le souligné en gras est de nous, en fin de citation.)

«Another Times reporter brought up Mr. Friedman, unsolicited, toward the end of a conversation that was generally positive about the editorial page: “I never got a note from Andy or anything like that. But I will say, regarding Friedman, there’s the sense that he’s on cruise control now that he’s his own brand. And no one is saying, ‘Hey, did you see the latest Friedman column?’ in the way they’ll talk about ‘Hey, Gail [Collins] was really funny today.’”

»Asked if this stirring resentment toward the editorial page might not just be garden variety news vs. edit stuff or even the leanings of a conservative news reporter toward a liberal editorial page, one current Times staffer said, “It really isn’t about politics, because I land more to the left than I do to the right. I just find it …” He paused for a long time before continuing and then, unprompted, returned to Mr. Friedman. “I just think it’s bad, and nobody is acknowledging that they suck, but everybody in the newsroom knows it, and we really are embarrassed by what goes on with Friedman. I mean anybody who knows anything about most of what he’s writing about understands that he’s, like, literally mailing it in from wherever he is on the globe. He’s a travel reporter. A joke. The guy gets $75,000 for speeches and probably charges the paper for his first-class airfare.”

»Another former Times writer, someone who has gone on to great success elsewhere, expressed similar contempt (and even used the word “embarrass”) and says it’s longstanding. “I think the editorials are viewed by most reporters as largely irrelevant, and there’s not a lot of respect for the editorial page. The editorials are dull, and that’s a cardinal sin. They aren’t getting any less dull. As for the columnists, Friedman is the worst. He hasn’t had an original thought in 20 years; he’s an embarrassment. He’s perceived as an idiot who has been wrong about every major issue for 20 years, from favoring the invasion of Iraq to the notion that green energy is the most important topic in the world even as the financial markets were imploding. Then there’s Maureen Dowd, who has been writing the same column since George H. W. Bush was president.”

»Yet another former Times writer concurred. “Andy is a wrecking ball, a lot like his father but without the gravitas. What strikes me about the editorial and op-ed pages is that they have become relentlessly grim. With very few exceptions, there’s almost nothing light-hearted or whimsical or sprightly about them, nothing to gladden the soul. They’re horribly doctrinaire, down the line, and that goes for the couple of conservatives in the bunch. It wasn’t always like that on those pages.»

Il est vrai que cet article de Kurson a été porté à notre attention par un article de Paul Joseph Watson, de Infowars.com, le 6 février 2014. Watson l’interprète, fort justement de notre point de vue certes, comme un signe du déclin accéléré de la presse-Système.

«This is yet another consequence of the fact that more and more people are turning away from mainstream media as a result of its habitual efforts to twist the truth and deceive the public in order to serve the interests of the state. The corporate press is in a blind panic because it is quickly losing its ability to dictate reality and shape narratives, which is why people like Hillary Clinton have bemoaned the fact that the establishment is “losing the Infowar” to newly emerging media sources.

»In 2012, the New York Times reported a net loss of 85% on earnings as a result of lost advertising revenue due to dwindling readership figures, but they are actually not doing too badly in comparison to other mainstream news outlets. From November 2012 to November 2013, MSNBC lost almost half its viewers over the course of just 12 months, shedding 45 per cent of its audience. CNN also lost 48 per cent of its viewers over the same time period.

»The corporate press’ refusal to challenge authority and cover real issues has also led to record high levels of distrust in media. Last year, a Gallup poll found that just 23 per cent of Americans trust the institution of television news.»

Cette affaire est considérablement instructive. D’abord, il y a les grands coupables, ceux dont la culpabilité est avérée, de Andy Rosenthal au gros Friedman. Ce que les journalistes du NYT disent de Friedman, commentateur du NYT et donc pilier symbolique de son orientations-Système, est extrêmement encourageant et rafraîchissant. Le gros Friedman, qui prend $75.000 pour deux heures de conférences sans le moindre intérêt, – c’est sa vertu même, cette absence d’intérêt intellectuel, – est un océan de vide intellectuel, ou bien un Himalaya de connerie c’est selon. C’est-à-dire qu’il est extraordinairement ennuyeux, que personne ne le lit, comme d’ailleurs la plupart des éditos du NYT. Ceux-ci sont “horriblement doctrinaire, d’un bout à l’autre...”, c’est-à-dire absolument conformes au Système. Si le gros Friedman subsiste à $75.000 la conférence, c’est qu’il est suffisamment stupide pour être continuellement, d’un bout à l’autre, “horriblement doctrinaire”, c’est-à-dire, dirions-nous pour utiliser une formue un peu leste, irrésistiblement chiant-Système. Nous pensons qu’on ne mesure pas assez l’impact de l’ennui qui exsude de ces pensums-Système dans la désaffection extraordinaire qui frappe la presse-Système du bloc BAO, – exactement comme la Pravda, in illo tempore, à part qu’à l’époque de la Pravda même les caciques du Système d’alors, en URSS, ne cachaient pas une seconde le caractère chiant-Système de la chose. Le Système n’a pas assez mesuré l’impasse dans lequel il met les psychologies de ses serviteurs, tous avantages et privilèges acquis par ailleurs, en leur imposant le dilemme du choix entre l’épuisante hystérie et l’ennui sans fin et sans fond.

Cela dit et fortement proclamé, si l’on passe de la phalange des premiers responsables, de Andy Rosenthal au gros Friedman, on arrive à la masse des journalistes du NYT, les dénonciateurs de ces chefs iniques et si ennuyeux, et qui nous la jouent dans le mode réformiste-moderniste alors que le fond de leur démarche est extrêmement similaire à celle de ces chefs qu’ils vomissent désormais. Cette dénonciation leur permet d’argumenter dans le genre “ah, si nous étions libres de nous exprimer à mesure de notre brio professionnel”, – terrain sur lequel nous les attendons, pour voir de quel bois ils se chaufferaient. (Cette affirmation des journalistes du NYR en “semi-révolte” est exprimé par la phrase, en début de texte : «...a commitment to excellence that has lifted the rest of the Times, which is viewed by every staffer The Observer spoke to as rapidly and dramatically improving.»)

On ne s’en tiendra donc pas à la seule logique de cette “semi-révolte” utilisant la tactique du bouc-émissaire. D’ailleurs, on doit ajouter que, malgré ce torrent de critiques justifiées contre la phalange-Système du NYT, on a pu remarquer ces dernières semaines dans sa production des prises de position intéressantes, essentiellement celles qui caractérisent la crise Snowden/NSA (voir le 4 janvier 2014). Cela montre que même au sein de cette entité caractérisée par la nullité et la servilité au Système, des nuances sont possibles, sinon nécessités par la pression des événements ; cela montre qu’effectivement la “crise” ne se situe pas entre “anciens” et “modernes”, entre caciques et jeunes réformistes au sein du NYT, mais qu’elle touche l’ensemble de l’institution.

On voit donc que cette “crise” au New York Times présente de nombreuses nuances, mais qu’elle s’impose néanmoins comme caractéristique des effets et des conséquences de la crise du Système lui-même. Le commentaire de Paul Joseph Watson devient alors complètement justifié, en faisant de cette affaire une des manifestations de la crise générale de la presse-Système, enfermée dans les nécessités de suivre la ligne du Système qui conduit à une perte de crédibilité et une délégitimation accélérées, dans ce cas aux yeux des lecteurs qui la désertent de plus en plus pour les réseaux et les instruments de communication hors-Système ou antiSystème. On notera que la vigueur de cette crise du NYT, par son exposition publique, par la mise en cause de personnalités du journalisme officiel, de structures de direction et d’orientation à l’intérieur du journal, témoigne de la gravité de la crise du Système. Le poids des narrative qu’impose le Système est de plus en plus lourd à porter, de plus en plus contre-productif, et même le New York Times chancelle sous ce poids...

Il s’agit d’un épisode de plus dans la transmutation générale de la dynamique de surpuissance en dynamique d’autodestruction du Système. Évidemment, on lui accordera plus d’importance et plus d’éclat à la mesure de l’importance et de l’éclat de l’institution qu’il touche, – la Old Great Lady comme le NYT est surnommé, l’institution journalistique fondamentale du bloc BAO et du Système, la référence absolue, le miroir sophistiqué et pompeux de la ligne du Système, le symbole même de nos certitudes et de nos “valeurs”...


Mis en ligne le 6 février 2014 à 11H46