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1287Dans Yedioth Ahronoth, Itamar Eichner consacre un article à la position d’Israël face aux initiatives arabes pour une zone dénucléarisée au Moyen-Orient, à débattre au sein de l’AIEA. Bien entendu, Israël est complètement opposé à cette initiative… Mais l’intérêt de l’article, à notre sens, réside dans les deux premiers paragraphes, qui concernent un problème tout à fait différent : les réactions des pays arabes, essentiellement l’Égypte et la Jordanie, en cas d’attaque de l’Iran par Israël. Il s’agit d’une évaluation des USA transmise à Israël à partir de la perception qu’ont les USA de la situation dans les pays arabes avec la nouvelle vague d’agitation depuis le 11 septembre. Eichner cite un officiel israélien, parlant de cette intervention US.
«…“Today the Arab leaders do not control their peoples, the street controls the leaders,” said a high-ranking Israeli political official who was privy to the American warnings, “an Israeli strike is just what the Iranians need: The entire Arab and Muslim street will take to the streets to demonstrate.” The high-ranking official linked the warning to the latest developments in the Muslim world, emphasizing that “what happened with the film against Mohammed is just a preview of what will happen in case of an Israeli strike.”
»The official said that the leaders of Egypt and Jordan would not be able to withstand the pressure of the masses and would have to take drastic measures such as the severing of diplomatic ties and annulling the peace agreements, despite the fact that they are personally opposed to a nuclear Iran and perhaps even hope for an Israeli strike. In addition to the risk of losing the relations with the neighboring countries, the official warned that the strike would have severe ramifications on the ties between Israel and additional Muslim countries around the world, which currently maintain ties with Israel but would be hard put to remain indifferent...»
Ces indications sont à prendre au sérieux. Elles expriment certainement une analyse acceptée dans des segments importants de la direction américaniste. Il faut mettre l’accent sur le fait que cette analyse implique, dans le chef des analystes US, que les directions jordanienne et égyptienne actuelles sont, en temps normal, acquises à une orientation pro-américaniste, qu’elles sont hostiles notamment à un Iran nucléaire comme sont les USA et Israël. Si cela est une appréciation en partie acceptable pour la Jordanie, c’est complètement contestable (et dans le meilleur des cas, tout à fait incertain) pour le président Morsi. Les arguments de ceux qui présentent cette thèse d’un alignement de Morsi sur les USA, notamment l’argument selon lequel Morsi est “redevable” aux USA d’avoir été soutenu par eux (en tant que membre des Frères Musulman) et d’avoir pu prendre le pouvoir, par neutralisation des militaires par eux (les USA), font jouer dans ce cas un argument de “fidélité” (en faveur des USA) impliquant une certaine correction dans les rapports qui n’existe certainement pas dans toute l’opération ainsi décrite, marquée par le cynisme, la manipulation, la corruption, etc. (L’argument de l’aide US pour “tenir” Morsi étant extrêmement discutable en fonction des alternatives existantes et d’ores et déjà explorées.) On retrouve surtout l’habituelle et puissante déformation psychologique (les caractères d’inculpabilité et d’indéfectibilité) des dirigeants américaniste, fondée sur la conviction faussaire et subversive pour leurs jugements d’une sorte d’influence à la fois objective et transcendante des USA chargés de vertus à mesure, aboutissant aux situation décrites notamment dans notre F&C du 17 septembre 2012, dans le chef d’Hillary Clinton à propos des événements à Benghazi le 11 septembre («How could this happen… ?»). A cet égard, le jugement de Hillary Leverett, également cité dans cet article référencé, a toute sa valeur : «“It a fantasy to think that [the United States] has cards to play,” with which it can leverage key local actors. “The President of Egypt, before he comes to the United States, his first trips were to China and Iran…The train has left the station in these countries, and unless [Washington] figures out how to adapt, [its] strategic position in the Middle East and, therefore, globally will continue to erode.”»
C’est dans ce cadre que cette analyse d’origine américaniste ne peut en aucun cas être soupçonnée de s’appuyer, elle, sur une évaluation prêtant à Morsi des intentions anti-américanistes et anti-israéliennes ; pourtant, elle aboutit à la conclusion que Morsi, et le roi de Jordanie dans le même sens, seraient conduits à affirmer des positions fortement anti-US et anti-Israël en cas d’attaque de l’Iran ; il y aurait alors l’abrogation de facto du traité de paix de Camp David (et des liens Israël-Jordanie), dans des conditions d’extrême tension qui constitueraient objectivement un acte de déclaration d’hostilité contre Israël. Au contraire des illusions concernant Morsi qu’on a vues plus haut, la première citation rapportée sur la situation des dirigeants arabes après l’affaire du film Innocence of Muslims comprend certainement une très grande part de vérité objective : «Today the Arab leaders do not control their peoples, the street controls the leaders.» Il est manifeste qu’il s’agit du premier effet et de l’effet principal de la vague de protestation qui a touché les pays arabes et musulmans depuis le 11 septembre 2012, qui modifie d’une façon importante la situation dans la zone. L’appréciation citée ci-dessus sur “la puissance de la rue” dans les pays arabes et musulmans est largement substantivée par le fait que les pays du bloc BAO (surtout les USA) et le système de la communication en général, en réagissant avec une extrême puissance (dans diverses directions, peu importe, c’est la puissance de la réaction qui compte), ont effectivement favorisé et entériné à la fois cette “puissance de la rue” et largement contribué à installer la situation où les dirigeants arabes sont “contrôlés” par la rue bien plus qu’ils ne contrôlent la rue.
L’actuelle séquence a installé effectivement un phénomène important qui est de faire (re)prendre conscience à “la rue arabe” de sa puissance, et de l’usage qu’elle peut faire de cette puissance pour orienter la politique des dirigeants. Le cas égyptien est exemplaire. Il s’agit d’une sorte de résurrection du phénomène de la place Tahrir en Égypte au début 2011, première phase du “printemps arabe” où la rue avait pu exercer une puissance nouvelle pour elle contre le système Moubarak. (Peu importe pour le cas actuel que les circonstances soient différentes, la mobilisation de la rue également différente, éventuellement avec des manipulations qui existent de toutes les façons dans tous les sens, etc. : seule compte la perception de “la puissance de la rue”.) Cette “puissance de la rue” de la période Tahrir s’était peu à peu érodée depuis janvier 2011, d’autant que de nouvelles institutions se sont mises en place avec l’élection de Morsi. A nouveau avec la phase actuelle de désordre, on retrouve, jouant à plein, cette situation du début 2011. Morsi s’en arrange sans doute beaucoup plus que le roi de Jordanie pour le cas cité (et que Moubarak pour l’épisode Tahrir, cela va sans dire), si effectivement la situation lui apporte un élément tactique pour faire évoluer sa politique dans le sens qu’il voudrait en s’appuyant sur cet argument de la “puissance de la rue”, c’est-à-dire en minimisant les risques de pression et d’interférences du bloc BAO.
De ce point de vue, et en élargissant le cas, on peut admettre que le véritable constat à faire, c’est que “le bloc BAO ne contrôle plus la rue arabe (par l’intermédiaire supposé des dirigeants arabes), c’est la rue arabe qui contrôle le bloc BAO”. Le sens de la démarche mentionnée dans la citation va d'ailleurs exactement dans ce sens, – quelles que soient les arrière-pensées et les manoeuvres des uns et des autres, – puisqu’elle fait dépendre la pression de ne pas déclencher l’attaque contre l’Iran du comportement supposé des dirigeants égyptiens et jordaniens, lequel comportement est décrit comme dicté par “la puissance de la rue” ; ce qui conduit à la conclusion que la “puissance de la rue arabe” constitue un facteur objectif pesant sur les conditions d’une position ou d’une décision concernant une attaque de l’Iran. Là aussi, il s’agit du facteur essentiel de la perception, telle qu’elle semble exister chez de nombreux dirigeants des pays du bloc BAO. Dès le moment où l’argument à propos de l’attaque contre l’Iran est avancé entre USA et Israël et qu’il est entendu, on peut effectivement conclure que cet état de contrôle en partie du bloc BAO par la rue arabe est un fait avéré. Dans cette nouvelle situation, il n’y a pas besoin de faits ou d’évènements nouveaux pour substantiver cette analyse, la perception des évènements de la dernière décade suffit. C’est bien entendu le système de la communication, dont le phénomène de la perception est dépendant, qui mène le jeu.
Mis en ligne le 21 septembre 2012 à 07H35