Le “nouvel optimisme” US, – sans eux…

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…Pardon, ce n’est pas du “nouvel optimisme” que nous voulions parler, mais de la “nouvelle normalité” américaniste qui, justement, se fait sans beaucoup d’attention pour l’optimisme. Ainsi semble disparaître le fondement même de l’American Dream, – l’optimisme, ou l’idéologie de l’optimisme, – laissant ouverte cette question comme un abysse nous précipitant vers un trou noir : qu’est-ce donc que cette chose, l’Amérique, sans l’optimisme ?

Bernd Debusmann, chroniqueur à Reuters et commentateur en général dégagé de certains des plus lourds conformismes de la profession aux USA, analyse cette nouvelle situation psychologique aux USA (le 25 décembre 2010).

«Optimism is so deeply embedded in the American national psyche that it withstood the Great Depression in the 1930s and a string of recessions since then. But in the era some economists call “the new normal” in America, optimism is fading.

»A slew of studies, surveys and reports show that a growing number of Americans – some surveys say more than half – no longer believe that their country is a land of unlimited opportunity, where all it takes to rise to success is hard work and determination.So say public opinion polls that ask Americans how they see the future, theirs and their country’s. One recent survey, by the respected Pew Research Center, found that depression era Americans were more optimistic about economic recovery in the near future than people questioned in a Pew poll this October, when only 35 percent said they expected better economic conditions in a year’s time. In response to a similar question in 1936 and 1937, about half expected general business conditions to improve over the next six months.

»The phrase “new normal” was coined by PIMCO, one of the world’s biggest investment funds, and is shorthand for an American future that includes lowered living standards, slow growth and high unemployment. Joblessness now stands at 9.8 percent, up from 9.6 percent in October. Add workers who have given up looking for jobs and people forced to work part time and the rate climbs to 17 percent, a powerful reason for declining optimism.

»But it’s not the only one. A slew of studies, surveys and reports show that a growing number of Americans – some surveys say more than half – no longer believe that their country is a land of unlimited opportunity, where all it takes to rise to success is hard work and determination.

»“The end of American optimism,” as a headline over an opinion piece in the Wall Street Journal proclaimed this summer, has not quite arrived. But Americans increasingly believe that the rich just get richer and the poor just get poorer. They have good reason to think so. The rich-poor gap in the United States is wider than in any other developed country.

»That has rarely been a matter of concern for most Americans but the recession that began in December 2007 turned inequality into a topic of public debate, on occasion with peculiar twists.

»In November, a widely-read New York Times columnist, Nicholas Kristof, compared the United States to Latin American banana republics. To see countries where the richest one percent take home more than a fifth of the national income, he said, it was no longer necessary to leave the U.S.

»Two weeks later, he followed up with a column reporting that the comparison had drawn protests from readers who deemed it glib and unfair. Latin Americans thought it hurtful and invidious. After checking into the matter, he came to the conclusion that “I may have wronged the banana republics.”

»Unlike in the U.S., he said, Latin America had become more equal in recent decades.»

Un point intéressant que soulève Debusmann concerne l’enquête effectuée par le Pew Research Center, dont les résultats ont été publiés le 14 décembre 2010. Il concerne une comparaison des sentiments actuels de la population et ceux qui régnaient aux USA durant la Grande Dépression, exactement à partir de 1935, quand commencèrent les enquêtes Gallup.

• Pour ce qui concerne la perception du rôle du gouvernement aujourd'hui, en 2010… «As the Pew Research Center's analysis of exit poll data concluded, “the outcome of this year's election represented a repudiation of the political status quo.... Fully 74% said they were either angry or dissatisfied with the federal government, and 73% disapproved of the job Congress is doing”…»

En 1935, par contraste, la popularité du gouvernement et de l’interventionnisme était à un très haut degré, alors que les craintes de la poursuite, voire d’une nouvelle aggravation de la dépression étaient toujours très grandes. Ainsi, l’observation ci-après signifie que 54% des Américains, contre 34% font confiance au gouvernement pour résoudre leurs problèmes… «True, when asked to describe their political position, fewer than 2% of those surveyed were ready to describe themselves as “socialist” rather than as Republican, Democratic or independent. But by a lopsided margin of 54% to 34%, they expressed the opinion that if there were another depression (and fears of one were mounting), the government should follow the same spending pattern as FDR's administration had followed before.»

• Les espérances de redressement sont également extrêmement différentes entre les deux périodes. L’optimisme était beaucoup plus grand au sortir de la Grande Dépression (alors que le sentiment était alors que la rechute dans la dépression était probable) qu’il ne l’est aujourd’hui…

«Still, despite their far higher and longer-lasting record of unemployment, Depression-era Americans remained hopeful for the future. About half (50%) expected general business conditions to improve over the next six months, while only 29% expected a worsening. And fully 60% thought that opportunities for getting ahead were better (45%) or at least as good (15%) as in their father's day. Today's public is far gloomier about the economic outlook: Only 35% in an October Pew Research Center survey expected better economic conditions by October 2011, while 16% expected a still weaker economy.»

Notre commentaire

@PAYANT Le plus remarquable dans ces différentes approches, c’est l’installation d’une sorte de “pessimisme structurel” dans l’esprit du public, par complet contraste avec le virtualisme officiel, qui continue à clamer la puissance invincible de l’Amérique. (Voir «Even in Hard Times, America Is Blessed», de Gordon Scarborough, du Washington Times, sur Politico.com le 23 décembre 2010 ; texte qu’on croirait écrit par un robot répondant aux impulsions pavloviennes qui semblent dicter les phrases comme on enfile des perles sur un collier.) Il est en effet caractéristique que le virtualisme officiel soit aujourd’hui complètement en échec sinon quasi inexistant dans ses effets (voir notre F&C du 19 décembre 2010) alors que ce qui n’était encore que de la propagande américaniste (essentiellement la radio et les films optimistes des grands studios d’Hollywood) avait un formidable impact dans les années 1933-1935. Il est vrai que Franklin Delano Roosevelt représentait, de ce point de vue d’initiateur et de propagateur de l’optimisme américaniste, un véritable génie de l’art oratoire adapté notamment à la technique radiophonique. Aujourd’hui, cet “art oratoire” (un Obama, si l’on veut, puisqu’il est doué à cet égard) ne semble plus marquer les psychologies en profondeur, mais produire de simples effets passagers du type de la communication, sans la moindre durée.

L’enquête PEW que nous citons plus haut est d’autant plus intéressante qu’elle prend involontairement les mêmes références chronologiques (involontairement, puisque les enquêtes Gallup débutèrent en 1935, deux ans après le pire de la Grande Dépression). Ainsi, 2010 correspond bien à deux années après 2008, comme 1935 correspond bien à deux années après 1933, les deux événements s’équivalant comme catastrophe dans la mémoire historique. (Les deux événements sont 2008 et 1933… En effet, 1933 beaucoup plus que 1929 qui n’est que le début de la période catastrophique conduisant au fond de la Grande Dépression, comme le 11 septembre 2001 serait également le début de la période d’effondrement conduisant à la catastrophe de 2008.) Le cas remarquable est donc que, deux ans après ce que les psychologies perçoivent comme des catastrophes fondamentales, le pessimisme de 2008 n’a fait que s’aggraver alors que le pessimisme de 1933 s’était fortement redressé jusqu’à retrouver un état d’esprit optimiste.

Bien évidemment, les citoyens américains étaient, en 1935, plus malheureux qu’ils ne sont en 2010, notamment au niveau de l’emploi. C’est là qu’intervient le phénomène signalé par Debusman, qui est ce qui semble être la fin de l’optimisme américain. Il est manifeste que cet événement, – car c’en est uns, sans le moindre doute, – est d’une importance colossale. On a rapidement dit plus haut qu’il s’agissait de la fin de l’American Dream, la fin de la philosophie du système de l’américanisme sans aucun doute. La question qu’on peut alors se poser, qui concerne l’avenir de l’Amérique, est double. Elle s’énonce de ces deux façons…

• L’Amérique peut-elle vivre sans optimisme ? L’idée nous paraît profondément incongrue. Il nous semble impossible d’envisager une quelconque stabilité de ce pays si l’optimisme disparaît de la psychologie américaine ou, dans tous les cas, y prend une place accessoire lui permettant de ne plus se manifester d'une façon majoritaire. (Insistons bien sur le fait que nous parlons de la “psychologie américaine” ; le système de l’américanisme, qui produit effectivement une psychologie américaniste, a, dans ce cas, pour mission d’alimenter en optimisme général la psychologie américaine.) En fait, l’optimisme n’est pas un trait de la psychologie américaine, il est en soi, à la suite de l'activité de communication sous toutes ses formes depuis l'origine du pays, la psychologie américaine à lui tout seul.

• L’absence d’optimisme, et l’échec du virtualisme à rétablir cet optimisme perdu n’est-il pas, plus encore, l’annonce inconsciente de catastrophes à venir concernant la solidité structurelle du pays ? A ce moment, on comparerait ce pessimisme qui a envahi cette psychologie et qui est en train de la transformer radicalement, en un événement politique d’essence psychologique, une sorte de signal d’alarme annonçant la possibilité, sinon la probabilité de l’effondrement américaniste, “à tout moment”, exactement comme Chris Hedges parle de la possibilité de l’effondrement de l’Empire “at any time” (voir notre Bloc-Notes du 21 décembre 2010).

Il nous paraît donc impossible d’accepter l’idée que l’Amérique puisse continuer à exister sans optimisme. De ce point de vue, le Système (le système de l’américanisme) est placé devant le plus grand défi de toute son histoire, c’est-à-dire depuis un peu plus de deux siècles. S’il ne parvient pas à changer, à stopper cette évolution de la psychologie américaine, il se trouvera placé effectivement devant la mise en cause de l’existence même de l’Amérique en tant qu’entité nationale, ou prétendument nationale, et il se trouvera lui-même menacé dans son existence. Son plus formidable handicap, notamment par rapport aux années 1930 et à la Grande Dépression, c’est que le Système est entièrement tourné vers l’extérieur (guerres, expansionnisme, bellicisme, influence, etc.) et ne réalise pas que l’enjeu fondamental est dans la situation intérieure du pays. De cette façon, le pessimisme désormais en passe de devenir structurel peut effectivement avoir le champ libre pour préparer la psychologie américaine à une évolution catastrophique et, au-delà, précipiter cette évolution.


Mis en ligne le 27 décembre 2010 à 00H26

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