Le oil spill et la “censure” des impuissants

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Il s’avère de plus en plus évident que l’administration Obama a mis en place un réseau serré de contrôle des opérations autour de la catastrophe du oil spill du Golfe du Mexique. Nombre des mesures prises concernent les restrictions de l’accès de la presse à l’information des opérations en cours et de la situation et le développement de la catastrophe sous tous ses aspects (environnemental, économique, sanitaire, etc.). Le site WSWS.org, qui suit avec une extrême attention les suites de la catastrophe du Golfe du Mexique, a un texte fort bien documenté ce 6 juillet 2010: «Censorship and cover-up in the Gulf oil disaster, de Tom Eley.

@PAYANT L’attitude de l’administration Obama est extrêmement caractéristique et mérite un commentaire. Effectivement, dans ce cas on ne parle plus de BP, dont on sait qu’il a lancé diverses opérations de cover up, de restrictions d’accès pour la presse, etc., pour tenter de dissimuler l’étendue de la catastrophe. L’attitude de BP s’expliquait aisément par le simple fait des intérêts de la société, de sa réputation, des menaces d’amendes et de demandes d’indemnités, etc. D’un tel membre de la “corporatocratie” (selon le terme proposé par Jean-Paul Baquiast), il n’y a strictement rien d’autre à attendre et aucune surprise ni indignation particulières à manifester ; BP est égal au monde dans lequel il évolue, avec tout son aveuglement, son intelligence réduite au profit et à la brutalité de l’acte de l’“économie de force” et ainsi de suite. L’attitude de l’administration Obama est, elle, bien plus complexe et intéressante à analyser.

Sur le fond des choses et sur le front de la catastrophe, de deux choses l’une… Ou bien la catastrophe est contenue, la fuite sur la voie d’être maîtrisé, l’entièreté de l’événement sous contrôle, alors qu’on en connaît à peu près les dégâts, et l’attitude de l’administration n’est guère compréhensible et encore moins judicieuse. Jusqu’ici, les diverses manœuvres des uns et des autres ont réussi à maintenir, dans l’esprit du public, l’essentiel de la responsabilité sur BP. Ne mettre en place aucune restriction au contraire de ce qu’elle fait reviendrait, pour l’administration Obama, à entériner ce que tout le monde connaît, à confirmer la responsabilité de BP, à apparaître comme jouant à fond son rôle de gouvernement loyal et responsable, conscient de l’importance de la catastrophe, anxieux de faire connaître aux citoyens cette réalité et d’en assurer la gestion au mieux des intérêts du pays.

Ou bien, – hypothèse bien plus plausible évidemment, – la catastrophe n’est pas contenue et l’on ne sait pas où l’on va. Cela paraît être le cas, d’une façon très marquée, avec une multitude d’indices dans ce sens. BP continue d’affirmer qu’il aura maîtrisé le problème à la fin août, mais l’on sait comment il faut accueillir les déclarations de BP. En attendant, la fuite est toujours aussi puissante. Dans ce cas, l’attitude du gouvernement Obama, compréhensible à très, très court terme et selon une si courte vue qu’il faut parler d’aveuglement, est au moins aussi incompréhensible que dans le cas précédent. Si la situation est ce qu’elle semble être, la censure et le cover up n’empêcheront rien de la perception grandissante d’une catastrophe en pleine extension et en plein déchaînement, avec des risques de surprises désagréables et catastrophiques, et cette fois la responsabilité de l’administration Obama sera de plus en plus engagée, et très contre-productive avec la politique suivie, – soit que l’administration sera perçue comme complice de BP en l’occurrence, soit qu’elle sera perçue comme impuissante et trompeuse dans une affaire qui rend de plus en plus insupportables l’impuissance et la tromperie.

Voilà donc un précédent en train d’être établi, sur l’attitude des autorités politiques face aux “nouvelles crises”, – les catastrophe environnementales directement liées à l’action du système du technologisme, et notamment dans ses phases d’action les plus brutales et les plus déstructurantes (le forage à grande profondeur) pour la perpétuation de ce que le système a de plus destructeur (exploitation du pétrole), et ces catastrophes directement politisées (direction politique et corporatocratie) avec une forte intervention, en général “fratricide”, du système de la communication. Le cas, très complexe, n’a plus rien de commun avec les catastrophes de ce type traitées selon l’ancien mode, “classique”, où n’existait que la nécessité d’une lutte contre leurs effets par l’action des autorités légales, avec adhésion de la population. Nous sommes aujourd’hui dans le cas, – et, ici, le premier du genre, – des grandes crises eschatologiques confrontées avec le système dans toutes ses composantes (système du technologisme et système de la communication), tant dans sa dimension politique que dans celui de la corporatocratie à la fois incontrôlable et en pleine crise. La démonstration est effrayante de l’impuissance et de la maladresse du côté des autorités du système et, dans ce cas, des autorités politiques. Tenter de contenir les dimensions de toutes les façons irrésistibles d’une crise qui échappe par définition à la maîtrise humaine (définition de l’eschatologie) par des mesures restrictives et de contrainte qui sont évidemment le produit de l’imagination débordante et de l’esprit original de la bureaucratie du système, cela constitue une recette absolument certaine pour conduire à des confrontations avec divers autres centres de pouvoir, que ce soit le système de la communication ou l’opinion publique.

Face à ces crises nouvelles, d’une époque nouvelle, qui sont moins les manifestations de la seule crise générale de l’environnement (dimension eschatologique pure) que les manifestations de la confrontation entre la crise générale du système et la crise générale de l’environnement (dimension eschatologique s’ajoutant à la dimensions systémique), le pouvoir politique du système est pulvérisée dans une situation d’une fiévreuse schizophrénie. Il est écartelé entre ce qu'il juge être la nécessité de protéger les activités du système dans ses dimensions les plus extrêmes de sa crise finale, et la nécessité politique (pour le système de la communication et l'opinion publique dont il dépend) de dénoncer les conséquences eschatologiques des “activités du système dans les dimensions les plus extrêmes de sa crise finale”. Il choisit la solution la plus stupide, la plus aveugle, au terme le plus court imaginable, génératrice de toutes les tensions et toutes les frustrations.

Bien entendu, il nous paraît inapproprié de sauter à la conclusion : eh bien, le pouvoir politique va devenir encore pire, se transformer en état policier, avec censure totale, etc. Pas du tout, car il aura aussitôt le système de la communication en mode fratricide accentué contre lui et il a lui-même ses normes “morales” qui tiennent le conformisme désespéré auquel il s’accroche comme à son ultime légitimité, et dont s’encombre sa bureaucratie impuissante. Au bout du compte, et pour trancher le cas, ce pouvoir est si psychologiquement corrompu, si prisonnier de toutes ses nécessités contradictoires, qu’il est d’une impuissance quasi-totale à se transformer en véritable “Etat policier”. Il s’agit d’une impuissance devenue presque d’ordre biologique, comme l’on dit d’une impuissance sexuelle passée du psychologique au biologique. Ce n’est plus un pouvoir politique, c’est un débris ou un déchet de pouvoir, de ce qui fut le pouvoir politique au service du système.


Mis en ligne le 6 juillet 2010 à 09H43

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