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1382On pourrait dire que l’opération Geronimo (la liquidation de ben Laden) se poursuit, dans sa partie la plus consistante, la plus fondamentale, qui est l’antagonisme larvé et furieux entre les USA et le Pakistan. Le Premier ministre pakistanais Yousuf Raza Gilani, qui avait prévu un voyage en Chine avant que l’opération Geronimo n’ait lieu, a transformé cette visite en une attaque “de communication” contre les USA.
Gilani a donné une interview à l’agence officielle chinoise Xinhua, avant son arrivé en Chine. AFP, par l’intermédiaire de Spacewar.com, en fait rapport ce 17 mai 2011. Gilani ne cesse de tarir d’éloges sur les liens qui unissent la Chine et le Pakistan, la Chine baptisée de “meilleur ami” du Pakistan, d’“ami par tous les temps”, etc. «We appreciate that in all difficult circumstances, China stood with Pakistan. Therefore we call China a true friend and a time-tested and all-weather friend. We are proud to have China as our best and most trusted friend, and China will always find Pakistan standing beside it at all times.»
Le voyage du Premier ministre pakistanais commençait ce mercredi, avec des rencontres avec les dirigeants chinois, des signatures d’accords de coopération, etc. La réaffirmation des liens entre les deux pays est soulignée également par le fait que la Chine est devenue le principal fournisseur d’armement du Pakistan. Tout cela se perçoit, se présente et s’explicite sur un arrière-plan nettement confrontationnel, entre Pakistan et USA. Tel ou tel, dans l’establishment washingtonien n’a évidemment pas manqué de commenter le voyage dans ce sens. Le commentaire est du standard habituel, le sénateur concerné (c’est le cas) est désigné comme un “key U.S. Senator”, sans qu’on nous dise dans quelle serrure cette clef se manipule. Ainsi parle le sénateur James Risch qui, “franchement”, “en a marre”, – et il vous explique pourquoi.
«“Frankly, I'm getting tired of it, and I think Americans are getting tired of it as far as shoveling money in there at people who just flat don't like us,”„ said Republican Senator James Risch. “Continued aid to Pakistan,” Risch argued, was “a hard sell to the American people” when cash-strapped Washington sends assistance to Islamabad, only to see “the head of Pakistan go to China and... stand up and say ‘you're our best friend.’”»
Autre voix US de marque, celle du sénateur John Kerry, président de la commission des affaires étrangères du Sénat, qui est allé visiter le Pakistan après l’opération Geronimo. Visite classique d’inspection, après une affaire qui a fait naître le soupçon non moins classique des tuteurs américanistes sur la bonne foi et le zèle contre les fameux ennemis des USA du pays vassal et qui devrait se souvenir qu'il l'est. Déclarations classiques de Kerry, un peu menaçante, sans le moindre intérêt sur le fond, sans le moindre souci des réalités par ailleurs…
«On Monday, US Senator John Kerry demanded Pakistan make progress against terrorism through “actions, not by words” in a visit to the country. […] After his return, Kerry said Tuesday that Pakistan had made specific promises on co-operation -- which he did not detail -- and that “we will know precisely what is happening with them in very short order”.»
Le 18 mai 2011, le site WSWS.org publie une analyse générale des tensions entre les USA et le Pakistan, auxquelles s’ajoute un incident de frontière avec des soldats pakistanais blessés par un tir d’un hélicoptère de l’OTAN. Ce texte rapporte notamment d’intéressantes indications, qui ont été publiées dans la presse pakistanaise, sur une audition parlementaire du général Ahmed Shuja Pasha, directeur des services de renseignement ISI, sur la question de l’opération Geronimo.
«Parliamentarians who attended the closed-door session said Pasha reported he recently had had a “shouting match” with CIA boss Leon Panetta. Pasha denied that there is, or ever has been, any formal agreement between Pakistan’s military and the US allowing the CIA to carry out Predator drone strikes in Pakistan. However, he is said to have conceded that most of the strikes are launched from a CIA-controlled Pakistani air base. Under questioning, he also said that Pakistan’s US-supplied F-16 jets could shoot down the drones.
»Pasha reportedly bitterly attacked the US, with which the Pakistani elite has a six decades long military-strategic partnership, for repeatedly and invariably betraying Pakistan. As for the illegal mission that led to the killing of Bin Laden, Pasha characterized it as a “sting operation,” aimed at discrediting and humiliating Pakistan.
»He made clear that the raid had raised the risks of a military confrontation with India. He took note of the Indian military’s boasts that it can mount an Abbottabad-type raid in Pakistan. According to Dawn, Pakistan’s most influential daily, Pasha then said that “a contingency plan was in place and targets inside India had already been identified. ‘We have also carried out rehearsal for it’.”»
Deux autres interventions récentes, du côté US, sont à signaler. Elles montrent des aspects extrêmes de la position US, d’une part une certaine attitude irresponsables de mépris du Pakistan, d’autre part des inquiétudes très sérieuses d’un engagement maximal US au Pakistan.
• Pour le premier cas, c’est l’attitude partagée de Robert Gates et de l’amiral Mullen, secrétaire à la défense et président du comité des chefs d’état-major respectivement, lors d’une conférence de presse conjointe. Il y était question du Pakistan mais les deux hommes n’ont pas résisté à dire un mot sur le raid de l’opération Geronimo, avec liquidation de ben Laden, et ils montrent un cynisme et une irresponsabilité extraordinaires, – et assez inhabituels chez ces deux hommes, le plus souvent prudents et pleins de retenue. Mais l’américanisme-Système semble parfois comme une drogue qui monte vite à la tête… Jason Ditz, de Antiwar.com, rapporté l’épisode, le 18 mai 2010 :
«…Though the order of the day was primarily making accusations about the Pakistani government (which Gates conceded were “pure supposition on our part”), the issue inevitably turned to the two top US defense officials triumphantly cheering the bin Laden raid and mocking Pakistan’s inability to do anything about it.
»“If I were in Pakistani shoes, I would say I’ve already paid a price. I’ve been humiliated. I’ve been shown that the Americans can come in here and do this with impunity,” Gates declared when asked about the prospect of punishing Pakistan for the discovery of bin Laden. Mullen later elaborated on this point, telling reporters that the US raid was a “humbling experience” for Pakistan’s normally proud military and that “their image has been tarnished” by the US raid.
»The declarations about the ability of the US to attack Pakistani soil “with impunity” will likely be regarded particularly gravely within Pakistan…»
• Le deuxième point est mis en évidence par Ron Paul, désormais candidat à la désignation du parti républicain pour les présidentielles de 2012 et plus que jamais ennemi de toute intervention extérieure. C’était lors de l’émission Morning Joe, sur MSNBC, lorsqu’on lui demanda son appréciation de la situation pakistanaise… «I see the whole thing as a mess, and I think that we are going to be in Pakistan. I think that’s the next occupation and I fear it. I think it’s ridiculous, and I think our foreign policy is such that we don’t need to be doing this. […] …It will probably be very unsuccessful.»
• Comme dernière citation et citation de conclusion pour cette revue de quelques appréciations sur la situation pakistanaise, nous revenons à l’analyse de WSWS.org. Sans nécessairement souscrire aux termes de la phraséologie trotskyste, on appréciera cette perception d’une situation de tension considérable entre USA et Pakistan), qui ne devrait pas pour autant conduire à une rupture, mais où les évènements peuvent réserver des surprises, notamment à cause des interférences avec les autres puissances de la zone (Chine et Inde). «Neither Washington nor Islamabad is seeking to break the reactionary partnership between US imperialism and the Pakistani military. However, as the US recklessly presses forward with its war to subjugate Afghanistan and establish a beachhead in oil-rich Central Asia, and to counter a rising China by courting India, events can easily spin out of control.»
Regroupant ces différents commentaires et appréciations, on observe une grande diversité et un élargissement considérable des propos prospectifs, des tons nouveaux allant jusqu’aux commentaires méprisants et choquants venant d’un homme d’habitude aussi réservé que Gates, etc. L’avertissement de Ron Paul, estimant que les USA peuvent aller jusqu’à une invasion du Pakistan n’est pas non plus à prendre à la légère, parce que Ron Paul ne lance pas de telles possibles prospectives à la légère, justement, et qu’il est évidemment idéalement placé pour recevoir des confidences à ce sujet.
Ce qu’on constate avec le tableau assez confus proposé avec ces diverses citations et réflexions, c’est essentiellement que la préoccupation stratégique centrale, avec sa diversité, ses complications et contradictions, est passée de l’Afghanistan au Pakistan. La raison de ce changement est à chercher, et à trouver, dans la liquidation de ben Laden, beaucoup plus comme symbole puissant que comme fait militaire ou politique, dont on sait toutes les incertitudes et les contestations qui s’y attachent. Le symbolisme de la chose, c’est que ben Laden n’existant plus officiellement, c’est toute la symbolique très puissante de la guerre contre la terreur, et, essentiellement, de sa composante afghane, qui vacille et perd de sa substance très rapidement. Nous parlons ici de l’effet psychologique et nullement des analyses de la CIA ou des rapports satisfaits du général Petraeus.
La conséquence de ce choc psychologique immense, conséquence souterraine mais qui va influer fortement sur les réactions, puis les appréciations et les perceptions, puis sur les analyses, c’est que l’importance du théâtre afghan décroît à mesure. Dans la même mesure, l’importance du théâtre pakistanais augmente, dans un sens agressif et accusatoire du côté US. Le problème est que le Pakistan, tout corrompu qu’il est (mais qui ne l’est pas du côté de Washington ?), est tout de même moins malléable comme adversaire ou commodités dont on peut user et abuser du territoire que ne l’est l’Afghanistan. Comme les personnalités et analystes US ne cessent d’affirmer que les USA vont faire du Pakistan ce qui leur plaira, y compris renvoyer telle ou telle zone à l’âge du pierre grâce aux bombardements, les Pakistanais en viennent à se trouver obligés de riposter. Le pouvoir politique devient un adepte très zélé de l’alliance chinoise ; les experts US ont beau affirmer que c’est sans importance, tout, chez les uns et les autres, montrent au contraire que les USA considèrent cela comme très important. Le résultat est que l’antagonisme actuel avec le Pakistan pourrait bien s’élargit à d’autres puissances de la région et devenir extrêmement sérieux.
Si, entretemps, les USA décident de faire ce que le candidat aux présidentielles Ron Paul annonce qu’ils pourraient bien faire, la crise déjà devenue conflit larvé, pourrait monter d’un cran supérieur, peut-être un cran décisif… Obama aurait vraiment “sa” guerre, il ferait diablement présidentiel.
Mis en ligne le 19 mai 2011 à
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