Le paradoxe du “global warming

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Le paradoxe du global warming

25 septembre 2005 — George Monbiot, auteur (Captive State, The age of Consent) et commentateur britannique (The Guardian) est un combattant vigilant de l’environnement. Spécialiste notamment des questions liées à la crise climatique et au pouvoir grandissant des grands groupes multinationaux, Monbiot ne peut être soupçonné de faiblesses pour le big business. D’où l’intérêt de sa dernière chronique, dans The Guardian du 20 septembre.

Monbiot vient de faire une découverte extraordinaire. Lisons-le :

« A week ago, I would have said that if it is too late [to stop the climate change], then one factor above all others is to blame: the chokehold that big business has on economic policy. By forbidding governments to intervene effectively in the market, the corporations oblige us to do nothing but stand by and watch as the planet cooks. But last Wednesday I discovered that it isn't quite that simple. At a conference organised by the Building Research Establishment, I witnessed an extraordinary thing: companies demanding tougher regulations — and the government refusing to grant them.

» Environmental managers from BT and John Lewis (which owns Waitrose) complained that, without tighter standards that everyone has to conform to, their companies put themselves at a disadvantage if they try to go green. “All that counts,” the man from John Lewis said, “is cost, cost and cost.” If he's buying ecofriendly lighting and his competitors aren't, he loses. As a result, he said, “I welcome the EU's energy performance of buildings directive, as it will force retailers to take these issues seriously”. Yes, I heard the cry of the unicorn: a corporate executive welcoming a European directive.

» And from the government? Nothing. Elliot Morley, the minister for climate change, proposed to do as little as he could get away with. The officials from the Department of Trade and Industry, to a collective groan from the men in suits, insisted that the measures some of the companies wanted would be “an unwarranted intervention in the market”.

» It was unspeakably frustrating. The suits had come to unveil technologies of the kind that really could save the planet. The architects Atelier Ten had designed a cooling system based on the galleries of a termite mound. By installing a concrete labyrinth in the foundations, they could keep even a large building in a hot place — such as the arts centre that they had built in Melbourne — at a constant temperature without air conditioning. The only power they needed was to drive the fans pushing the cold air upwards, using 10% of the electricity required for normal cooling systems.

» The man from a company called PB Power explained how the four megawatts of waste heat poured into the Thames by the gas-fired power station at Barking could be used to warm the surrounding homes. A firm called XCO2 has designed a virtually silent wind turbine, which hangs, like a clothes hoist, from a vertical axis. It can be installed in the middle of a city without upsetting anyone.

» These three technologies alone could cut millions of tonnes of emissions without causing any decline in our quality of life. Like hundreds of others, they are ready to be deployed immediately and almost universally. But they won't be widely used until the government acts; it remains cheaper for companies to install the old technologies. And the government won't act, because to do so would be “an unwarranted intervention in the market”. »

Le constat de Monbiot peut paraître étonnant (suspect?) dans sa globalité mais il correspond effectivement à diverses déclarations déjà rencontrées, et à une logique commerciale et industrielle. Cela fait déjà des années que les groupements d’assureurs insistent pour une lutte sérieuse contre le réchauffement climatique (les assurances sont placées devant d’énormes dépenses dues aux dévastations naturelles venues des conditions climatiques catastrophiques qu’engendre le réchauffement climatique). Certains dirigeants de grands groupes sont également intervenus dans ce sens. Monbiot rappelle quelques faits à cet égard : « In January the chairman of Shell, Lord Oxburgh, insisted that “governments in developed countries need to introduce taxes, regulations or plans ... to increase the cost of emitting carbon dioxide”. He listed the technologies required to replace fossil fuels, and remarked that “none of this is going to happen if the market is left to itself”. In August the heads of United Utilities, British Gas, Scottish Power and the National Grid joined Friends of the Earth and Greenpeace in calling for “tougher regulations for the built environment”. »

Monbiot résume l’opposition à la mise en place d’un dispositif sérieux et radical de réduction des émissions des gaz à effet de serre au seul conformisme existant dans les cercles politiques de gouvernement. Ce conformisme concerne une vision faussée, et faussée au nom d’un radicalisme idéologique qui a aujourd’hui perverti de façon radicale la pensée politique, — la vision faussée selon laquelle il est impensable et sacrilège par rapport au dogme du “marché libre” d’édicter des réglementations à l’intérieur de ce marché. Le radicalisme est celui de la capitulation de la pensée tandis que l’idéologie est totalement primaire. (Quant à la réalité, n’en parlons pas… On sait que, lorsqu’il s’agit de comportements acquis, on n’hésite pas à laisser des régulations de facto en place, malgré le dogme du marché. Nous parlons donc ici d’une complète capitulation de l’esprit, d’un ébahissement de l’esprit devant la perspective d’une pensée qui ne se réfère pas en tous points au conformisme.)

Cette explication est complètement acceptable. De même la politique extérieure américaine, perçue comme déstructurante, déstabilisante et ayant des effets de bouleversement considérable, est-elle une politique particulièrement faible : les esprits qui la conçoivent en réalité ne conçoivent rien du tout ; ils se laissent porter par l’ivresse d’une soi-disant puissance (laquelle s’est révélée entre temps-complètement factice), — ivresse de la puissance et vacuité du sens. Toute notre vie politique est aujourd’hui une capitulation devant le mécanisme d’un système, justifiée par le conformisme le plus médiocre. Il n’y a jamais eu d’exemple aussi convaincant de la capitulation de l’esprit par faiblesse, lâcheté, étroitesse. Il n’est nul besoin d’en appeler à des idéologies complexes, à des schémas de complots, à une complication quelconque, fût-elle maléfique.

Le cas extraordinaire de notre civilisation est le rapport monstrueusement déséquilibré entre la faiblesse extraordinaire de la pensée qui donne les impulsions, ou s’imagine les donner, et l’énormité incroyable des conséquences. Effectivement, l’absence de lutte contre l’effet de serre est la conséquence d’une absence complète de pensée et de volonté, d’une capitulation complète de l’esprit devant la pesanteur du conformisme. Il n’y a pas de complot du big business, celui-ci n’ayant d’autre but général que le gain et ce gain pouvant être aussi bien trouvé dans les technologies et les mécanismes de lutte contre la pollution.

Nous avons atteint l’extrémité du blocage d’une civilisation caractérisée par le déséquilibre entre sa puissance matérielle et sa vacuité de sens. Ce crépuscule d’une civilisation est celui du nihilisme, non par choix d’une pensée malade mais par inexistence d’une pensée. Nous rejoignons ici les outils de réflexion de l’historien des civilisations Arnold Toynbee, tels que nous essayions de les utiliser dans un texte publié il y a trois ans, pour conclure que le blocage de notre civilisation repose sur ce déséquilibre radical entre une énorme puissance technologique et une complète absence de sens.

Ci-dessous, nous reproduisons un extrait de ce texte résumant le propos qui nous semble convenir pour éclairer notre situation :

« Alors qu'ailleurs il fait l'apologie d'une civilisation technicienne et technologique dont on sait que, dès cette époque, elle est complètement anglo-saxonne, voilà que Toynbee met en garde, dans ce texte, contre le ‘racisme’ des Anglo-Saxons qui pourrait conduire à “une catastrophe générale”. (On comprend combien cette idée pourrait être acceptée et exploitée aujourd'hui.) Cette sorte de propos nous semble justifier la réticence qu'on manifeste à propos de certains enthousiasmes de Toynbee pour sa civilisation contemporaine, qui nous semble alors plutôt du convenu (se rappeler que ces textes furent dits, sous forme de conférences, devant des auditoires anglo-saxons, que Toynbee lui-même est Anglais). Au contraire, les diverses remarques de lui qu'on rapporte ici nous paraissent susceptibles de constituer un dossier intéressant, et particulièrement intéressant aujourd'hui, s'il s'agit d'avancer une appréciation sur la situation de notre civilisation dans une époque si propice à être interprétée comme un temps de rupture. Résumons les arguments que nous donne Toynbee :

» Son idée d'une approche en partie cyclique de l'évolution des civilisations nous paraît très intéressante. Elle implique qu'on ne peut envisager l'évolution des civilisations indépendamment les unes des autres, qu'il existe une certaine continuité de l'ordre du spirituel autant que de l'accidentel ; que toute civilisation, c'est l'essentiel, a une sorte de responsabilité par rapport à l'histoire, y compris dans son décadentisme, dans sa façon d'être décadente...

» Sa deuxième idée concernant notre civilisation est que, la disposition d'une telle puissance technique et technologique utilisable dans tous les recoins et dans une géographie terrestre totalement maîtrisée et contrôlée impose à notre “civilisation” (les guillemets deviennent nécessaires, par prudence) une ligne de développement même si ce développement s'avère vicié et qu'elle interdit tout développement d'une civilisation alternative et/ou successible.

» Une autre idée, implicite et qui nous semble renforcée de nombreux arguments aujourd'hui, voire du simple constat de bon sens, est ce constat, justement, que l'hypertrophie technologique de notre civilisation s'est accompagnée d'une atrophie des comportements et des valeurs intellectuelles et spirituelles de civilisation, que ce soit du domaine de la pensée, de la croyance, de la culture au sens le plus large. Toynbee nous le suggère, après tout, lorsqu'il dit ce qu'il dit des Anglo-Saxons, qui mènent cette civilisation, de leur racisme qui conduit éventuellement aux pires catastrophes par opposition aux musulmans et (c'est plus notable et intéressant) par opposition aux Français. »