Le Pentagone : à mutin, mutin et demi 

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Le Pentagone : à mutin, mutin et demi  

Il est vrai, comme le souligne WSWS.org dans sa présentation du jour, qu’il est rare d’entendre un candidat présomptif à la présidence parler en ces termes de son adversaire, président déjà installé et en course pour un second terme, ou plutôt des circonstances qui accompagneront le départ de son adversaire de la Maison-Blanche, – s’il gagne, et puisqu’il va gagner, évidemment. Le climat insurrectionnel, hors-Constitution, est partout dans les esprits, dans les paroles et dans la communication, aujourd’hui aux USA. 

Voici donc la dernière de Biden : « La crise politique sans précédent en Amérique a été soulignée par les commentaires faits mercredi soir par Joe Biden, l'adversaire démocrate de Trump à l'élection présidentielle, dans l'émission ‘Comedy Central’ animée par Trevor Noah. “Ce président va essayer de voler cette élection”, a déclaré Biden. En réponse à une question de Noah sur le fait de savoir s’il s’attendait à ce que Trump refuse de quitter ses fonctions s’il est battu le 3 novembre, l’ancien vice-président a déclaré “C’est ma plus grande crainte”.
» Biden a ensuite fait l'éloge des attaques publiques contre Trump par une série d’anciens chefs militaires la semaine dernière, après la menace de Trump de faire appel à l'armée contre ceux qui protestent contre le meurtre de George Floyd par la police. “J’étais tellement fier. Vous avez quatre chefs d'état-major qui sortent et écorchent vif Trump’, a-t-il déclaré, ajoutant qu’il comptait sur les militaires pour destituer Trump s’il ne respectait pas les résultats du vote. “Je vous le promets, je suis absolument convaincu qu’ils l’escorteront hors de la Maison Blanche “sans perdre de temps”, a conclu M. Biden.
» Cette déclaration est remarquable, d’abord parce que Biden concède que Trump n’a pas l’intention d’accepter le résultat de l’élection, et ensuite parce qu’il concède aux militaires le rôle décisif dans la révocation finale de Trump. Quant à savoir ce que Biden ferait si les militaires ne démettaient pas Trump, mais lui permettaient plutôt de rester, Noah ne l’a pas demandé, et Biden n’en a rien dit. »

Cette tournure absolument extraordinaire pour les us & coutumes, et les apparences démocratiques aux USA, est effectivement celle que l’on pouvait déduire du premier week-end de juin à Washington D.C., lorsqu’il fut question d’y déployer des troupes du service actif (la 82èmedivision aéroportée), que Trump finalement abandonna ce projet, et que l’on sut ensuite que le secrétaire à la défense Esper y était opposé (lors d’une déclaration publique clairement détaillée, devant la presse). Ainsi le colonel Lang, du site Sic Semper Tyrannis [SST],voyait-illa situation révéléepar ce week-end du 6-7 juin :

« Les hauts responsables civils du DoD et le haut commandement militaire américain semblent ne plus accepter leur subordination constitutionnelle au président des États-Unis.  Ils ont récemment annulé plusieurs de ses instructions et en ont simplement ignoré d'autres.  Selon moi, le Pentagone est désormais l'alliée de circonstance de  [la maire de Washington]  Muriel Bowser et [du groupe]  Antifa, pour contrecarrer la capacité du président Trump à gérer la situation dans la rue dans la capitale des États-Unis et pour le confiner sur le territoire de la Maison-Blanche à moins qu’il n’aille et vienne en hélicoptère. La Chambre des représentants souhaite que Esper et Milley témoignent cette semaine de leurs actions et de leurs attitudes.  Bien ! Je me réjouis d’entendre ce qu’ils vont raconter. »

Plus encore : au début de cette semaine, le Général Milley, président du Comité des Chefs d’état-major, déclarait qu’il regrettait sa présence pour une opération photographique de relations publiques, aux côtés du président Trump et de son ministre Esper. La chose s’était passée le 1erjuin, près de la Maison-Blanche, et tout le monde en avait déduit que Trump bénéficiait d’un soutien complet du Pentagone. Mais depuis la déclaration d’Esper trois jours plus tard, en même temps que l’intervention de plusieurs généraux à la retraite, dont les anciens présidents du JCS l’amiral Mullen et le général Dempsey, et du général Mattis, secrétaire à la défense de Trump jusqu’à sa démission de décembre 2018, on avait compris et conclu que la position du Pentagone était très éloignée de ce qu’on imaginait le 1er juin.

Nabojsa Milic notait  le 11 juin :

« “Je n’aurais pas dû être là”[le 1erjuin], a déclaré Milley, dans un discours préenregistré aux diplômés de l'Université de la défense nationale. “Ma présence à ce moment et dans cet environnement a créé une perception de l'implication des militaires dans la politique intérieure”, a-t-il ajouté. “En tant qu’officier en uniforme, c’était une erreur dont j’ai tiré les leçons, et j’espère sincèrement que nous pourrons tous en tirer les leçons”.
» Il faudrait être à la fois aveugle et stupide pour ne pas voir que les excuses de Milley ont en fait créé une perception de l'implication des militaires dans la politique intérieure. La journaliste Yamiche Alcindor l’a présentée comme  la preuve que “les chefs militaires rompent rhétoriquement de la manière la plus publique possible avec leur commandant en chef”. »

La conviction a été si grande dans le sens de la signification d’une flagrante insubordination du Général Milley que  le colonel Lang suggérait sa mise à pied immédiate. D’autre part, il ne nuançait son propos que par le constat implicite que Trump n’avait plus l’autorité pour un tel acte, qu’il avait bel et bien « perdu le département de la défense » ; et Lang de suggérer à nouveau, cette fois concernant certaines dispositions pour reprendre le contrôle du Pentagone...

« Milley pense-t-il que ce discours fuité à CNN n’est pas une “implication des militaires dans la politique intérieure” ?
» Eh bien, Mark Milley ne sait pas quelle est sa place.  Il n’a pas l’autorisation de dénigrer son commandant-en-chef en public, et encore moins devant un groupe de diplômés de l'école de guerre à l’occasion de leur entrée en fonction.  Ces boursiers occuperont tous des postes à haute responsabilité au sein du gouvernement et Miley leur a parlé de manière à encourager l’insubordination dans la chaîne de commandement.  Il devrait être mis à pied immédiatement.  Il pourrait alors aller travailler pour CNN/MSNBC, où il attendrait que le président putatif Joe Biden le nomme secrétaire à la défense ou quelque chose du genre.
» Trump a perdu le contrôle du département de la défense. Il devrait prendre des mesures décisives pour reprendre ce contrôle. Esper ne peut pas être mis à pied si près de l’élection, mais lui et les autres mecs douteux du [Pentagone]doivent être contrôlés pour les empêcher d’accomplir leurs méfaits.
» On m’a fait comprendre qu’un général de brigade à la retraite, partisan de Trump, est placé à l’OSD [Office of the Secretary of Defense]en tant que responsable politique. Très bien. Dans la mesure où les “mutins” n’entravent pas ses pouvoirs, il peut informer Trump de l’évolution de la situation, mais il faut faire plus.
» Je suggère qu'un véritable intellectuel s’installe à la Maison-Blanche, d’où il pourrait contrôler TOUTES les actions du DoD AVANT qu’elles ne soient connues du public.
» Mon avis est que  Victor Davis Hanson est l’homme de la situation. »

On a vu plus haut, dans un de ses messages, que le colonel Lang attendait avec une grande impatience le passage “cette semaine” d’Esper et de Milley devant la Commission des forces armées de la Chambre des Représentants, comme cette Commission leur avait demandé. Lang n’a pas eu ce plaisir. Entretemps, Esper et Milley ont écrit une lettre commune au président de la Commission pour lui dire qu’ils ne se jugeaient pas autorisés, selon, les instructions du président, à répondre aux parlementaires. Cet épisode intervient pour nuancer de façon remarquable tout ce qui a été admis depuis la déclaration d’Esper prenant ses distance de Trump.

C’est un peu à l’exercice inverse que l’on assiste. Évoquant notamment la menace de Trump, qu’ils semblent juger fondée, d’envoyer des forces armées régulières à Seattle si les autorités de la ville et de l’État ne reprenaient pas le contrôle de la “Zone Autonome” CHAZ, les deux hommes semblent ainsi effectuer une courbe rentrante vis-à-vis de l’autorité présidentielle. C’est effectivement ce que semble pense WSWS.org, qui aborde cet épisode dans le texte déjà cité. Mais il le fait d’une façon ambiguë, en rappelant la déclaration de Biden selon laquelle l’armée est de son côté... Bref, l’ambiguïté règne, l’incertitude, le désordre et le reste.

« Mercredi, le secrétaire Esper et le général Milley ont répondu par une lettre à la demande de la Commission des services armés de la Chambre des Représentants de témoigner sur l’utilisation prévue de l'armée contre les protestations de masse après la mort de George Floyd. Les deux hommes ont refusé de témoigner, se conformant aux instructions anticonstitutionnelles de la Maison Blanche qui interdisent toute coopération avec la Chambre des Représentants contrôlée par les démocrates.
» Dans leur lettre, Esper et Milley ont déclaré que les forces militaires en service actif “n’ont jamais été dans le district [de Washington D.C.] pour des raisons de maintien de l’ordre civil”. Mais ils ont déclaré que Trump conservait l’autorité d’invoquer la Loi sur l’Insurrection de 1807 et d'envoyer des troupes fédérales partout aux États-Unis pour réprimer les troubles. “Si un président prend une telle décision, il peut le faire sans l'approbation du gouvernement de l'État dans lequel les forces doivent être utilisées”, ont-ils déclaré. Cela s'appliquerait directement à l'État de Washington [Seattle], la cible actuelle des menaces de Trump.
» Comme l’avait affirmé une déclaration du SEP, “les conspirateurs à la Maison Blanche n'ont pas cessé de comploter. L’armée attend son heure et examine ses options. La police reste armée jusqu’aux dents”.
» Comme les commentaires de Biden l'indiquent clairement, les démocrates considèrent l’armée comme l’arbitre ultime de la politique aux États-Unis.
» Ni le Congrès ni le Parti démocrate n’ont levé le petit doigt contre les [récentes]déclarations présidentielles du type d’un pouvoir autoritaire. Ce n’est qu’en raison de l’opposition des hauts gradés du Pentagone, qui estimaient qu’une action militaire[à Washington] aurait été à la fois mal préparée et pas encore nécessaire, que Trump y a finalement renoncé. »

On voit bien l’ambiguïté du texte de WSWS.org, passant d’un commentaire d’une lettre d’Esper-Milley qui semble reconnaître l’autorité de Trump pour faire intervenir les forces militaires, au rappel des déclarations de Biden affirmant que l’armée est “avec lui”. De quelles mœurs s’agit-il, d’ailleurs, de voir deux candidats à la présidence se disputer les faveurs des militaires, comme si un processus démocratique normal n’existait pas, avec élection présidentielle et tout le reste. Mais non, les USA se trouvent aujourd’hui dans une situation d’équilibre instable au bord du précipice de l’affrontement armé, éventuellement d’une guerre civile, exactement comme une de ces républiques bananières du bon vieux “temps des colonies” (du type : “Ce type est un fils de pute mais c’est notre fils de pute”, pour désigner dans ces temps heureux les hommes de Washington à la tête des colonies bananières).

Pour l’instant, les militaires jouent serrés pour ne pas trop donner l’impression de l’insubordination, tout en tentant de désamorcer les diverses bombes qu’allume Trump. Les perspectives étant ce qu’elles sont, les positions durcies comme elles sont, – car en fait, aucun des deux candidats ne semble prêt à accepter sa défaite, et plus les choses avancent moins cette sorte d’attitude paraît devenir impensable, – il reste que la nature de cette terrible situation finirait bien par désigner effectivement l’armée comme arbitre entre les deux hommes.

Cela signifierait-il que le DeepState reprend le pouvoir ? Mais a-t-il vraiment le pouvoir ? L’a-t-il vraiment perdu ? Sait-on encore ce qu’est le DeepState, s’il existe encore en tant que tel, s’il n’est pas éparpillé en plusieurs DeepStates, dans une telle situation ? Sait-on si le pouvoir existe toujours, à Washington D.C., alias “D.C.-la-folle” ?

Il est évident que les militaires et toute la communauté de sécurité nationale souhaitent d’abord et avant tout, si l’armée devait intervenir, que cette intervention ait le plus possible l’apparence de la légalité et de la constitutionnalité. Mais bien peu de responsables peuvent encore penser qu’il ne se passera rien de décisif pour l’avenir des USA le 3 novembre prochain, si seulement l’on parvient à peu près indemne et approximativement en état de marche  à cette date. Plus la crise avance, plus les enjeux se multiplient et pèsent lourd ; qu’il s’agisse du pouvoir lui-même, de la structure des USA (voir les problèmes d’antagonismes entre Trump et les États), de l’idéologie, de la place et de l’importance des forces armées, de la démocratie elle-même bien entendu...

Pour l’instant, les généraux et les ambassadeurs, chacun dans leurs domaines, travaillent à rassurer leurs interlocuteurs étrangers. Il s’agit notamment de les convaincre que les armes nucléaires US dépendent encore d’une chaîne de commandement solide, stable et légitime...

 

Mis enb ligne le 12 juin 2020 à 16H50