Le Pentagone : alerte à la crise climatique

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Le Pentagone : alerte à la crise climatique

22 février 2004 — Le journal londonien The Observer divulgue un rapport secret du Pentagone très alarmiste sur les perspectives de la crise climatique. C’est un facteur fondamental pour la situation de la sécurité nationale aux États-Unis (et dans le monde en général, bien sûr) qui apparaît, et pour le débat autour de cette situation, débat qui ne manquera pas de se politiser. Les deux points essentiels du rapport sont les suivants :

• La crise climatique est sur le point d’éclater, elle est extrêmement grave et rend complètement risible la politique actuelle de sécurité nationale désignant le terrorisme comme “Ennemi” n°1 des USA.

• Les USA doivent de toute urgence élever la question de la crise climatique du débat scientifique au niveau de première préoccupation de la sécurité nationale des USA.

« Climate change “should be elevated beyond a scientific debate to a US national security concern”, say the authors, Peter Schwartz, CIA consultant and former head of planning at Royal Dutch/Shell Group, and Doug Randall of the California-based Global Business Network.

» An imminent scenario of catastrophic climate change is “plausible and would challenge United States national security in ways that should be considered immediately”, they conclude. As early as next year widespread flooding by a rise in sea levels will create major upheaval for millions. »

Ce rapport, détaillé par The Observer de ce jour, pourrait constituer un facteur complètement fondamental, aussi bien pour la politique de sécurité nationale que pour l’équilibre du système occidental (capitaliste). Il tend à “officialiser” les craintes les plus alarmistes sur la crise climatique, d’autant qu’il dispose d’un crédit considérable puisqu’il a été réalisé à la demande de l’Office of Net Assesment (un service du Pentagone) de Andrew Marshall, un des hommes choisis par Rumsfeld en 2001 pour développer des analyses de réforme fondamentale du Pentagone.

L’article de The Observer suggère ou montre plusieurs choses :

• L’équipe politique de la Maison-Blanche semble violemment opposée à ce rapport qui contredit toutes ses appréciations sur la crise du climat, orientées pour satisfaire les grandes sociétés pétrolières. Il semble qu’il y ait eu des tentatives pour l’étouffer, ou le refuser. Un tel rapport implique par conséquent la possibilité d’affrontements d’une férocité inouïe à la tête de la direction du système américaniste. Il est impensable d’imaginer qu’un tel affrontement n’aboutisse pas à des déstabilisations politiques majeures.

• Il semble que les Britanniques aient joué un rôle considérable dans la divulgation de ce document. Des déclarations quasiment officielles, rapportées par l’article, semblent le montrer de façon catégorique. Il semble également que les Américains aient été rendus furieux par des réflexions du conseiller de Tony Blair, Sir David King, écrites pour Nature et reprises par la presse britannique, qui avertissent de la catastrophe climatique et mettent le gouvernement US directement en accusation. Il apparaît au grand jour que la question de l’évaluation de la gravité de la crise climatique va devenir un point central de mésentente entre Londres et Washington si les Américains ne changent pas d’attitude.

« A group of eminent UK scientists recently visited the White House to voice their fears over global warming, part of an intensifying drive to get the US to treat the issue seriously. Sources have told The Observer that American officials appeared extremely sensitive about the issue when faced with complaints that America's public stance appeared increasingly out of touch.

» One even alleged that the White House had written to complain about some of the comments attributed to Professor Sir David King, Tony Blair's chief scientific adviser, after he branded the President's position on the issue as indefensible. »

• Il apparaît probable jusqu’à la certitude que cette question va s’avérer un énorme facteur de division au sein de la direction du système américaniste, — entre le Pentagone (si le Pentagone prend le rapport à son compte) et les soutiens financiers de l’administration GW Bush. Mais aussi, elle pourrait l’être éventuellement dans la bataille électorale, puisqu’il apparaît également que des groupes auraient dirigé vers le futur candidat Kerry le dossier complet de cette crise, pour qu’il s’en fasse l’avocat. (« So dramatic are the report’s scenarios, [Bob Watson, chief scientist for the World Bank and former chair of the Intergovernmental Panel on Climate Change] said, that they may prove vital in the US elections. Democratic frontrunner John Kerry is known to accept climate change as a real problem. Scientists disillusioned with Bush’s stance are threatening to make sure Kerry uses the Pentagon report in his campaign. »

• Un autre point fondamental est la position du public américain, qui est au premier rang des préoccupations de tous dans cette année électorale, sur la question de la crise climatique. Le public US est saturé d’une propagande virtualiste de la part de l’équipe GW, qui a fondé toute sa légitimité sur la question de la guerre contre la terreur, et qui a ridiculisé toutes les alarmes sur la crise climatique. Pour tenter d’alerter le public, si l’administration acceptait le rapport, il lui faudrait renverser toute sa machinerie de propagande. (« The findings will prove humiliating to the Bush administration, which has repeatedly denied that climate change even exists. Experts said that they will also make unsettling reading for a President who has insisted national defence is a priority. ») A contrario, l’administration pourrait-elle ignorer un avertissement de cette importance venant du Pentagone, magnifié depuis quatre ans comme étant la source et le fondement de la puissance US ?

• Justement, un article du 19 février dernier apporte quelque lumière sur l’état d’esprit du public US et ses éventuelles réactions. L’article est de Diana Liverman, directrice de l’Environmental Change Institute et professeur de science environnementale à la School of Geography and Environment (tout cela à l’université d’Oxford), après plus de 20 ans aux USA comme chercheuse dans les questions climatiques. L’image qu’elle donne du “climat” du public américain sur cette question de la crise centrale de notre système n’est pas vraiment rassurante.

« Recent surveys suggest the average American is far less worried about global warming than the typical Briton. The percentage of Americans concerned about global warming has fallen from 72% in 2000 to 58% in 2003. And while 83% of British respondents disapprove of the US government's position on the Kyoto protocol, only 44% of Americans do — and only 15% of them associate the global warming problem with fossil fuel consumption. Why is this so? My feeling is that it ranges from denial or resentment about being criticised to a sense that adaptation will be relatively easy.

» A discussion with a neighbour when I moved from colder Pennsylvania to the deserts of Arizona illustrates the attitude. “How can you say that global warming is a problem when you deliberately move to the sort of warm, dry climate that you are warning will come to the northern United States? It just shows that with enough air conditioning and imported irrigation water you can easily adapt to climate change!” Almost everything in Arizona, from the buildings to health systems and agriculture, is engineered for a hot, dry climate. Even the dairy cows live in air conditioning and are fed on irrigated clover. But you only have to cross the border into Mexico to see what happens when people don't have money and technology to adapt to climate extremes — where summer brings water shortages and mosquito-borne diseases, and where crops and cattle die from increasingly frequent droughts and heat waves. »

La conclusion à ce point de cette question est qu’elle est aussi explosive politiquement, et à très court terme, qu’elle l’est du point de vue général de l’équilibre du monde. Avant même d’éclater au niveau climatique, la crise climatique pourrait éclater au niveau politique.