Le Pentagone devant sa guillotine

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Le Pentagone devant sa guillotine

Comme l’observe Jason Ditz, de Antiwar.com, ce 18 septembre 2012, “vous pouvez être à la retraite de votre service du Pentagone, mais vous n’êtes jamais à la retraite pour défendre son budget”. Et Ditz rapporte les très récentes éructations de l’ancien secrétaire à la défense Gates et de l’ancien président du comité des chefs d’état-major, l’amiral Mullen, contre le manque de maturité manifeste du Congrès qui n’arrive pas à se dépêtrer de cette affreuse affaire de la séquestration, en route depuis août 2011. «[They] joined together today to angrily condemn Congress for not having yet exempted the military from the ongoing budget dispute. This has been an ongoing Congressional battle, with the most hawkish demanding that the “sequestration” scheme, which might put the continued growth of the military’s budget, already a record in the history of all mankind, at risk of slowing or even stalling…»

Cela écrit, il faut dire que la menace de séquestration qui pèse sur le Pentagone est particulièrement stupide et dévastatrice par son aveuglement, si l’on se place du point de vue du gestionnaire autant que de celui du planificateur. L’administration Obama a fait ses comptes, qu’elle a publiés le 14 septembre. Danger Room rapporte le résultat de cette comptabilité, le 15 septembre 2012 :

«Should automatic budget cuts to defense take place as planned on January 2, 2013, the White House calculates that the Pentagon will immediately lose $54.6 billion from its approximately $530 billion budget, every year for a decade. Those cuts will come from chopping approximately 9.4 percent out of almost everything the Pentagon does. It’s a fiscal reduction the White House considers “deeply destructive” to national security, and may not be able to avoid…»

Danger Room détaille effectivement les effets automatiques de la séquestration, qui s’applique d’une façon indiscriminée et totalement égalitaire, – démocratique, en un mot, – à tout ce qui est l’objet d’un budget ou d’une programmation budgétaire au Pentagone (les soldes et traitements des soldats et employés civils étant mis à part). C’est-à-dire que les programmes les plus importants, comme ceux qui sont en cours d’abandons, les commandes de production les plus vitales comme celles qui pourraient aisément subir un délai de plusieurs années sont traités exactement de la même façon, avec une réduction automatique 9,4%... Plus loin dans le texte, on a notamment une idée des caractères et de la spécificité de l’aspect politique de cette affaire, qui implique le blocage complet actuel d’une négociation, d’un compromis, etc., pour faire échapper le Pentagone à son sort funeste.

«“No amount of planning can mitigate the effect of these cuts,” reads the White House report, released a week after a congressional deadline for the White House to spell out how it’d implement the cuts. “Sequestration is a blunt and indiscriminate instrument. It is not the responsible way for our Nation to achieve deficit reduction.”

»Sequestration is the result of a gambit from 2011’s Budget Control Act. It was intended as a blunt instrument to force Congress into a wide-ranging compromise on reducing the deficit. Unless Congress found creative ways to trim $1.2 billion from the deficit over a decade — through a mix of tax hikes and program cuts — sequestration loomed as an automatic, 50/50 split, half of which took the cash out of the defense budget and the other half out of popular domestic programs. Since nobody wanted that, the Obama administration and congressional leaders reasoned, an enlightened compromise would result. Wrong.

»Now it’s a whole political thing. The Republicans want to lay the blame for sequestration on President Obama, whose White House came up with putting defense on the sequestration block last year. They want Obama to sign a bill they recently passed exempting defense from sequestration. The White House wants to lay the blame for sequestration on the Republicans, who came up with the Budget Control Act in the first place during a gamble over the debt ceiling and overwhelmingly voted for it. The White House opposes the GOP bill on the grounds that exempting defense from sequestration would put the burden of budget cuts on programs intended to help the sick, the old, the poor, and the schoolchildren. Expect to hear the dull buzzword “sequestration” frequently from Mitt Romney as he argues that Obama is out to slash defense. An actual solution to avert this disaster is MIA.»

D’une façon générale, les vieux guerriers du Pentagone, des affaires bureaucratiques et des combines du Congrès ne croient pas à la séquestration qui attaquerait de front le Pentagone, comme il est prévu ici. On imagine toujours et on attend fermement qu’un arrangement interviendra, exonérant le Pentagone de cette réduction imposée ou la compensant par d’autres voies. Il faut observer que, jusqu’ici, les auspices ne sont pas favorables. Les antagonismes sont d’une puissance terrible entre les deux ailes du “parti unique”, d’autant plus qu’ils ne portent pas sur des questions rationnelles de fond (une politique-Système unique est imposée à tous) mais sur les arrangements de pouvoir, les jalousies de privilège et la maîtrise des mécanismes d’exercice du pouvoir, et sur des domaines idéologiques extrémistes de type culturel et sociétal où les oppositions de conception sont radicales et les haines à mesure. Il y a bien entendu unanimité pour dire la nécessité d’épargner au Pentagone les affres de la séquestration, et même pour augmenter son budget déjà colossal ; mais il y a complète mésentente sur la façon de le faire, en fonction de la loi dite de la séquestration. Dans le climat actuel d’antagonisme, on voit difficilement comment un accord pourrait se faire après l’élection présidentielle et avant le 2 janvier 2013 parce qu’on voit difficilement comment cette élection, quel qu’en soit le résultat, puisse amener l’apaisement et une atmosphère d’“union nationale” (bipartisan) dans une direction politique complètement subvertie et déstructurée, et soumise à des tensions internes chaotiques (surtout dans le parti républicain, principale force partisane d’un renforcement du Pentagone). Tout cela vaut d’autant plus que le problème de la séquestration se place au cœur du problème général de la dette du gouvernement (qui vient de dépasser les $16.000 milliards), pour laquelle décembre 2012 est considéré comme une échéance explosive dans le cadre de la situation générale.

Dans tous les cas, le schéma de la réduction imposée dans le cadre de la séquestration, tel qu’il est envisagé par l’administration Obama, montre effectivement une intervention de type automatique et aveugle propre à accélérer le chaos régnant déjà d’une façon systématique au Pentagone. Lequel Pentagone est dans un tel état de chaos et de paralysie budgétaire que les mesures de réduction, en touchant d’une façon égalitaire tous les programmes et tous les postes, va constituer un accélérateur remarquable de ce chaos, par l’aggravation des faiblesses et des impasses de planification. Cela est d’autant plus évident à cet égard que le Pentagone, adoptant une politique de rejet absolu de la séquestration, comme mesure de type “impensable”, a refusé de préparer une planification budgétaire spéciale pour le cas de l’intervention de cette loi avec ses réductions arbitraires. Il menace donc de laisser faire l’automatisme des réductions éventuelles, sans aucune mesure préparatoire d’accompagnement et d’aménagement, rejetant en bloc toute la responsabilité de la situation ainsi créée vers les directions politiques, – le Congrès, l’administration, les partis, etc. On peut d’ailleurs observer que cette politique extrémiste, du type “terre brûlée”, peut aussi bien servir le Pentagone à transférer massivement la responsabilité de sa spirale d’effondrement et de sa faillite gestionnaire aux autorités politiques ; il peut espérer alors être en position de force pour dicter des mesures de redressement, s’il est possible d’envisager un redressement… La paralysie et l’impuissance de la direction politique washingtonienne se mesurent d’ailleurs à l’impuissance de cette direction à imposer au Pentagone une démarche de préparation “en cas de malheur”. On peut même avancer que certaines forces, notamment dans l’administration Obama, ont sans doute encouragé le Pentagone en sous-main pour qu’il tienne cette position, dans le but purement politicien de mettre les républicains du Congrès en accusation pour cette évolution.


Mis en ligne le 19 septembre 2012 à 09H06