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5599Il y a eu le 24 avril à la Brookings Institution une présentation par David Trachtenberg, sous-secrétaire adjoint à la défense des États-Unis chargé de la politique au Pentagone, sur la situation stratégique nucléaire actuelle des USA, notamment en fonction des nouveaux systèmes d’arme russes. Il faut noter le lieu de la conférence (voir vidéo), la Brookings Institution, un think tank de première importance à Washington, et donc relais habituel des conceptions et de la situation stratégiques selon la communauté de la défense nationale, s’adressant à ses membres principaux.
L’orateur n’est pas n’importe qui d’une part ; il dispose pourtant et d'autre part d’un crédit personnel limité. Il n’est pas “n’importe qui”, parce que l’adjoint pour la politique du sous-secrétaire à la défense est effectivement le chef civil en charge de la politique du Pentagone et qu’il est actuellement “faisant fonction” de N°2 du Pentagone puisque le “sous-secrétaire à la défense” est lui-même “faisant fonction” de secrétaire à la défense”. Justement, cette fonction désigné comme “faisant fonction”, c’est-à-dire artificiellement haussée, implique d’autre part que celui qui “bénéficie” de cette opération n’en reçoit pas une perception personnelle à mesure : la fonction est très importante, le personnage est plus perçu comme un porte-parole du fait de son absence d'autorité que comme un créateur du fait de l'autorité qu'il n'a pas.
RT-com a fait un texte sur cette intervention, texte non signé alors qu’il rend compte d’une démarche critique relevant d’un commentaire, qui semble indiquer qu’on y trouve pour une bonne part l’écho de la position du gouvernement russe. Le texte introduit donc l’intervention de Trachtenberg, de cette façon qui suggère que, oui, les Russes développent une nouvelle catégorie de systèmes stratégiques à très grandes capacités, mais que non, le Pentagone n’a pas l’intention de se laisser entraîner dans une “course” concernant ces mêmes systèmes, se reposant sur ses actuelles capacités nucléaires même si celles-ci sont faites de porteurs d’une génération antérieure et de catégories différentes (et beaucoup moins performantes) :
« David Trachtenberg, sous-secrétaire adjoint à la défense des États-Unis, a déclaré qu'il faut être “deux pour faire une course”, ajoutant que l'Amérique “n'est pas intéressée à développer des systèmes équivalents aux nouveaux systèmes russes”. Il fait en effet remarquer que “les Russes mettent au point une quantité incroyable de nouveaux systèmes d'armes nucléaires” et qu'en général, ”ils font un certain nombre de choses que nous ne faisons tout simplement pas”.
» S'exprimant à la Brookings Institution à Washington, un groupe de réflexion de premier plan, M. Trachtenberg a déclaré que la Russie a récemment lancé un “programme de modernisation militaire” en “redimensionnant et remplaçant complètement un grand nombre de ses systèmes nucléaires, tant au niveau stratégique que non stratégique”. »
Lors de la séance questions-réponses, Trachtenberg est revenu sur la question, en enfonçant le clou avec vigueur pour que nul ne s’y trompe, allant jusqu’à employer les mêmes phrases qu’il avait déjà dites dans son texte de conférence. Il répondait à un auditeur qui lui parlait d’une “course aux armements” et d’une “nouvelle guerre froide”. Sa réponse s’est à nouveau concentrée sur les systèmes d’armes russes hypersoniques dont l’existence avait été dévoilée par Poutine en mars 2018, – du Kinzai, au Zircon, à l’Avangard , – et qui n’ont cessé depuis de faire parler d’eux.
« Pas du tout [il n’y a pas de course]. Il faut être deux pour renchérir et relancer la course. Comme je l'ai déjà dit, nous ne sommes pas intéressés par un développement symétrique système pour système. Les Russes ont développé une quantité incroyable de nouveaux systèmes d'armes, y compris les nouveaux systèmes que le président a dévoilés en grande pompe il y a quelques mois. Les Russes les font, nous ne les faisons pas... Les Russes font des choses que nous ne faisons pas. Nous essayons de prendre des mesures modestes afin de diminuer la confiance de la Russie dans le fait que ce qu'elle fait lui donne un avantage exploitable qui pourrait mener à une erreur de calcul de sa part que nous ne voulons absolument pas voir. »
Le même texte RT.com a précisé qu’en un seul domaine, l’orateur avait quitté sa posture modeste de refus de riposter à mesure, qui concerne la capacité nucléaire de dissuasion classique des USA : « Les États-Unis “ont à la fois la volonté et les moyens d'utiliser leurs armes nucléaires”, ’pour leur sécurité et également] pour que les alliés de Washington se sentent assurés “d’un soutien américain fort”. “Nous continuons de collaborer avec nos alliés et partenaires afin qu'ils comprennent notre engagement à leur offrir des moyens de dissuasion”, a expliqué M. Trachtenberg. »
Mais au milieu du texte rapportant quelques-uns des propos du “faisant fonction” d’adjoint au “faisant fonction” de “secrétaire à la défense”, un passage clairement ironique entend affirmer que, derrière cette posture de retenue (“nous ne voulons pas concourir avec les Russes dans les nouveaux systèmes qu’ils développent”) se manifeste un activisme militaire considérable et des déploiements budgétaires massifs qui font largement douter de ces intentions pleines d’une modestie très inhabituelle pour le Pentagone
« Les concepteurs d'armes russes seraient flattés d'apprendre qu'ils sont désormais installés si loin en avance sur les USA... mais le sont-ils vraiment ?
» Après tout, les États-Unis n'avaient pas prévu de développer leurs propres missiles à moyenne portée [qu’ils vont développer] pour contourner le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire depuis des années et ils n'avaient même pas envisagé de dépenser $2,6 milliards [effectivement programmés] pour développer leurs propres armes hypersoniques. L'Amérique est également loin de chercher à acquérir des technologies de pointe dans les domaines des systèmes autonomes et de l'intelligence artificielle et ne dépenserait jamais des milliards [d’ores et déjà programmés] pour cela !
» Les USA n'a certainement jamais voulu étendre davantage le domaine de la guerre en militarisant l'espace, sans parler de projets encore plus bizarres, comme les systèmes spatiaux du rayon de la mort, dont le Pentagone n’a jamais parlé. Et le Pentagone n'a jamais demandé $25 milliards pour moderniser la triade nucléaire, ni pour partager sa stratégie nucléaire et sa capacité de déploiement nucléaire avec ses partenaires de l'OTAN dans le cadre de son budget 2020.
» Et ce ne sont certainement pas des avions militaires américains et occidentaux qui évoluent de plus en plus près des frontières russes. Et toutes les manœuvres organisées par l'OTAN aux portes de la Russie ne visent, bien entendu, qu'à aider Moscou à renforcer sa sécurité. »
On comprend l’ironie du texte, qui rejoint certainement l’ironie d’observateurs officiels russes à entendre le discours de Trachtenberg qui annonce tout simplement que les USA baissent les bras pour ces nouveaux domaines de l’hypersonique et n’entendent pas relever ce que, en d’autres temps, ils auraient considéré comme un défi. D’où cette réaction, traduit par des remarques dans ce sens : “Trachtenberg essaie de nous enfumer, mais cela ne marche pas, et le vrai est que le Pentagone va tenter comme un fou de rattraper ce retard” ; car s’il y a bien une chose de vrai dans cette affaire et ambigu indirect, c'est bien le retard encaissé par les USA et le développement des nouveaux systèmes russes.
Mais cette ironie est-elle justifiée ? Est-il vrai que Trachtenberg essaie “d’enfumer les Russes” en leur faisant croire que le Pentagone ne tient pas à se lancer dans une course à l’hypersonique ? L’idée vat largement d’être explorée, avec plusieurs arguments qui vont dans le sens contraire de l’avis des Russes.
• Les us & coutume de la communauté de sécurité nationale, du DeepState si vous voulez (devenu “État peu-profond” pour Tom Engelhardt). Lorsqu’on s’adresse à la Brookings Institution, on ne lui débite pas des canards complètement bidons. S’il y a un sujet qui gêne, où l’on se trouve incertain, ou que l’on veut dissimuler, eh bien l’on n’en dit mot, mais l’on n’induit pas en erreurtout un auditoire qui est partie prenante et a besoin d’avoir des informations justes, ou bien de n’en pas avoir sur tel et tel sujet si la sécurité l’exige.
• La profusion des “faisant fonction” aux postes ministériels et de direction, déjà signaléeici et là, si elle évite à Trump des auditions de confirmation de nouveaux ministres au Congrès, laisse de plus en plus de ministères et d’agences aux mains de hauts fonctionnaires ou de personnalités qui n’ont guère de légitimité, et donc d’autorité, par le fait. C’est le cas de la direction du Pentagone, qui est bien mal placée, bien mal imaginative et bien mal caractérisée pour lancer un effort concerté permettant de produire toute une catégorie nouvelle d’engins de très haute performance et de très haute sophistication. L’affirmation de Trachtenberg (“nous en restons à ce que nous avons”) est typique d’une direction sans autorité et donc sans prestige ni impact psychologique, et qui, littéralement, “gère les affaires courantes” parce qu’elle n’a pas les moyens de faire autrement.
• Par ailleurs, si le Pentagone avait une direction normale, pourrait-il faire quelque chose d’aussi grandiose que “lancer toute une catégorie nouvelle d’engins de très haute performance et de très haute sophistication” ? Notre chroniqueur russe a beau jeu de citer les budgets qui continuent à s’accumuler, comme si cet effort de lancement se faisait tout seul, par la seule grâce des milliards, de la bureaucratie retranchée dans ses privilèges et du technologisme laissé à ses aventures les plus folles et les plus coûteuses. Les Russes y croient-ils vraiment ? Pourtant, ils connaissent… N’ont-ils pas encore compris que le Pentagone, c’est le complexe militaro-industriel soviétique des années 1970-1980 multiplié par dix, aussi improductif, aussi gaspilleur et corrompu, et donc incapable d’enfanter de la machinerie qui marche, qui soit efficace et efficiente, alors qu’on développe des F-35, des USS Gerald R. Fordet ainsi de suite ?
… C’est ce que nous répétons régulièrement depuis des années, au grand dam de cette civilisation du fric et de la financiarisation, et que pourtant toute l’histoire militaire récente montre à profusion : « D’une façon plus générale, l’alerte russe peut, non doit conduire à demander plus d’argent pour le Pentagone, parce que c’’est le réflexe pavlovien à Washington dans cette sorte de situation. On se demande bien dans quel but, alors que le budget réel annuel actuel approche les $1.200 milliards. L’afflux d’argent ne fera qu’accentuer la paralysie du monstre et pérenniser les structures, ou “hyper-structures” si l’on veut, qui font des forces armées US à la fois un dinosaure aux trois-quarts hémiplégique et un tonneau des Danaïdes terminé par un trou noir où plus d’un secrétaire à la défense s’est perdu. Rumsfeld l’avait dit le 10 septembre 2001, Winslow Wheeler l’avait précisé quelques années plus tard : “Certains prétendent que la réponse est de donner encore plus d'argent pour un budget de la défense qui a déjà atteint des sommets historiques et qui correspond à peu près à ce que le reste du monde dépense pour les forces militaires. Nous devons arrêter de couvrir le Pentagone de $milliards. Bien que contre l’apparence rationnelle, l’évidence montre irréfutablement que l’afflux d’encore plus d'argent aggrave nos problèmes. ‘A mesure que les budgets de l'armée, de la marine et de l'armée de l'air ont augmenté, leurs forces sont devenues plus petites, plus vieilles et moins préparées à intervenir.’” »
• Pour le reste, il est entendu que le Pentagone, Moby Dick, The House of War est la plus formidable puissance que le monde, l’esprit humain et l’américanisme aient jamais conçue, et donc indépassable à jamais, inculpabilité et indéfectabilité assurées… Par conséquent, si les Russes veulent fabriquer de nouveaux joujoux, grand bien leur fasse.
Mis en ligne le 26 avril 2019 à 10H45
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