Le Pentagone les dévore tous

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On a déjà cité, ici et là, des propos du Dr. Daniel Goure, notamment encore le 15 février 2010. Directeur du Lexington Institute, Goure fait cette fois, pour notre avantage, une analyse (ce 11 mai 2010) de l’intervention de Robert Gates dont nous parlons ce même 11 mai 2010. Le propos de Daniel Goure est moqueur et critique et il nous dit : voyez tout ce chemin pour en arriver là, – Robert Gates s’est métamorphosé en Donald Rumsfeld…

Voici le premier paragraphe et les deux derniers paragraphes du texte de Goure. Entre les deux, du bla bla pseudo technique, pseudo stratégique, etc., toutes choses sans intérêt. Observons-le aussitôt : ces citations ne sont pas là, ni pour comprendre qui était le secrétaire à la défense Rumsfeld, ni qui est le secrétaire à la défense Gates, mais plutôt pour nous voir confirmés dans l’observation de “qu’est-ce que c’est que le Pentagone?”

«There are all kinds of stories told about the Pentagon. But until now it has never been said that the building was haunted. It has been three and a half years since Robert Gates became Secretary of Defense. Last week, something amazing happened. He became his predecessor, Donald Rumsfeld. This is a particularly incredible metamorphosis since, as we all remember, Gates was brought into office as the anti-Rumsfeld. […]

»Admittedly, the metamorphosis of Robert Gates into Donald Rumsfeld is not yet complete. Gates is allowing an out of control orgy of insourcing of private sector jobs into government positions. Sadly, he has allowed a carefully crafted policy intended to provide his department with the skilled manpower to manage its programs to be transformed by the bureaucracy into the almost mindless destruction of private sector jobs in the interest of phantom budget savings. If the public sector were cheaper and better than the private sector the Soviet Union would still be with us.

»But otherwise, the metamorphosis is complete. In last Saturday’s speech Gates made the same argument for investing in new weapons systems able to counter the growing anti-access/area denial threats that Rumsfeld had made regarding transformation. By extension, the logic behind Gates’ speech will force him or his successor to de-emphasize irregular warfare and stability operations. They are simply too costly and manpower intensive (and ultimately inconclusive). But Secretary Rumsfeld knew that back in 2001.»

Notre commentaire

@PAYANT Ce qui nous intéresse dans ce commentaire de l’honorable Dr. Goure, c’est bien de tirer une toute autre conclusion que cet esprit de système (Goure) tire lui-même. Que dit Goure ? Que Gates n’a rien inventé, qu’il redit ce que Rumsfeld disait dix ans avant lui. Il aurait pu ajouter que Rumsfeld disait le 10 septembre 2001, après avoir longuement plaidé la “transformation” nécessaire, ce que Les Aspin disait huit ans avant lui, lequel disait ce que Harold Brown disait quinze ans plus tôt, lequel parlait comme Robert McNamara parlait en 1961 et ainsi de suite. (Le premier du lot, premier secrétaire à la défense, lui, en est devenu fou et s’est suicidé en se jetant du septième étage de la clinique psychiatrique où il était soigné. On parle de James Forrestal et son destin est, dès le début, la morale de cette histoire.)

Voilà donc que, de tout cela, Goure tire la conclusion que les mesures que préconise Gates mettent en danger la sécurité nationale. Il discute stratégie, il chicane sur la quincaillerie (avec un œil sur les sponsors du Lexington Institute, les plantureuses corporates du complexe militaro-industriel). De l’essentiel, Goure ne voit rien, strictement rien, alors qu’il vient d’énoncer une vérité première.

Goure vient tout simplement de mettre en évidence que le Pentagone, notre cher Moby Dick, est effectivement un système anthropotechnique qui soumet ceux qui sont censés le diriger à des missions absolument impossibles et les conduit à répéter, comme des perroquets neurasthéniques, les mêmes ordres, les mêmes propositions, les mêmes incantations, les mêmes avertissements, tandis que la situation ne cesse de s’aggraver, et Moby Dick de devenir de plus en plus lourd, de plus en plus coûteux, de plus en plus impératif, de plus en plus envahissant, – et de plus en plus inefficace, et de plus en plus impuissant. Face à cette situation, les “experts” semblent équipés de prodigieuses connaissances et de diplômes exceptionnels (lisez donc le CV de Goure, on doit l’apprécier en nombre de tonnes) pour énoncer avec une incontestable autorité des platitudes d’une stupidité d’autant plus extraordinaire qu’elles sont la stricte répétition de tout ce que disent les mêmes “experts” depuis plus d’un demi-siècle.

Il nous apparaît évident qu’il est absolument inutile de perdre son temps à discuter les arguments des experts, non plus d’ailleurs que les chances que Gates soit entendu d’une façon ou l’autre par la bureaucratie. Nous-mêmes, dans notre récent texte sur le discours de Robert Gates (voir ce 11 mai 2010) mettions en évidence les similitudes de son intervention avec celle, notamment et justement, de Donald Rumsfeld le 10 septembre 2001. Ce n’est pas une découverte et il n’y a nulle matière à s’exclamer comme le fait Goure. La seule approche acceptable est en effet de travailler sur cette hypothèse du système anthropotechnique dont l’influence, sinon le poids directif, est d’une telle force qu’il réduit à néant tout effort de réforme et, d’autre part, provoque chez le même individu (le secrétaire à la défense en l’occurrence) la démarche classique du soutien général à la politique voulue, voire énoncée par ce système anthropotechnique comme s’il était un être autonome, – provoquant ainsi, dans un même élan, chez un même être, l’affirmation de la nécessité d’une réforme et la nécessité de poursuivre la politique qui interdit toute réforme. Il n’est même plus question, dans les diverses considérations des secrétaires à la défense de la période disons depuis la fin de la Guerre froide, de désengagements structurels de force, comme c’était le cas dans les années 1970 et 1980, lorsque l’engagement US en Europe était parfois reconsidéré en fonction de la situation économique US et des efforts militaires demandés aux alliés. Certes, on ponctionne ici et là selon les besoins, puisque Moby Dick n’a plus les moyens de ses ambitions considérables, mais le principe même de la politique d’engagement universel est maintenu comme le credo fondamental.

Effectivement, Gates est devenu un nouveau Rumsfeld (celui de 9/10), comme Rumsfeld était un nouveau McNamara, parce que tous ces hommes sont totalement pervertis non dans leurs pensées mais dans leurs psychologies, donc avec la pensée paralysée à mesure. Ce que découvre Goure ressemble à l’œuf de Colomb, ou bien à une image de Goure se regardant dans la glace pour voir le visage de Goure en train d'énoncer des vérités que le Dr. Goure approuve avec gravité en regardant le visage de Goure reflété dans la glace, en train... Nous sommes à un point où le véritable et seul dilemme orwellien que nous affrontons ne concernent ni nos “valeurs”, ni nos “engagements”, ni “la guerre c’est la paix” ou “le bien c’est le mal”, etc., qui sont hors d’atteinte de quelque décision politique que ce soit, mais simplement le fait que, dans la situation actuelle, le savoir et l’intelligence sont directement producteurs d’une stupidité dont il est difficile de mesurer le poids et l’importance tant l’un et l’autre nous dépassent. Goure et sa critique en quelques lignes de Gates-Rumsfeld en sont un bon exemple.


Mis en ligne le 13 mai 2010 à 12H26