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5 août 2007 — Nous allons tenter de prolonger et d’approfondir la réflexion concernant cette affaire de Menwith Hill, qui a soulevé au Royaume-Uni fureur et accusations de “trahison”. Cette affaire soulève un aspect technique essentiel, mis en évidence par les Américains eux-mêmes, sur la question de savoir à quoi sert ce réseau anti-missiles actuellement en gestation.
Les officiels et les militaires britanniques sont eux-mêmes assez mal à l’aise, — sur deux points essentiellement : l’affirmation (la tentative d’affirmation) de la souveraineté britannique sur l’ensemble Menwith Hill-Fylingdales (des stations d’écoute qui sont théoriquement sous le contrôle de la RAF et du GCHQ, mais avec interventions massives de la NSA américaniste) ; l’affirmation que les nouvelles activités de Menwith Hill concerneront essentiellement, voire exclusivement les soi-disant “Etats-voyous” (Iran en premier).
On comprend tout cela dans cet extrait du Guardian du 2 août :
«…The RAF head of Fylingdales, Wing Commander Nicky Loveday, said that the new role, which would guide interceptors to destroy ballistic missiles, was a joint operation, but with 82 RAF personnel at the base compared with one US liaison officer.
»She said: “A lot of people think that this is just a token effort by the RAF but that is absolutely not the case.” The gaunt pyramid on a hilltop patrolled by armed police and dogs retains its separate, 44-year-old role of watching for missile attacks on the UK and Nato countries, with a radar shield which stretches into space above Europe. The base says that its motto, “We are watching”, is now aimed at rogue states and not “responsible states with established strategic nuclear forces” such as Russia and China. Simulated enemy rockets in the promotional video at Fylingdales, however, still have red stars on them and are launched from somewhere in the old USSR. This is likely to be altered shortly.»
La question de l’orientation de l’utilisation de Menwith Hill telle qu’elle est posée est évidemment politiquement essentielle. Le projet tel qu’il est envisagé est d’utiliser les capacités de base dans des missions de détection et dans le réseau anti-missiles. La question politiquequi se pose aussitôt concerne la sensibilité de cette localisation du Royaume-Uni. Si l’on peut argumenter que cette localisation peut effectivement servir au repérage et au contrôle d’hypothétiques missiles venus d’Iran, notamment en raison des capacités de Menwith Hill, on peut aussi noter des capacités équivalentes et peut-être meilleures lorsqu’il s’agit d’un pays comme la Russie.
• Ce que disait le général Obering, commandant la Missile Defense Agency du Pentagone, le 7 mars dernier au Financial Times, à propos des missiles d’interception anti-missiles, ne peut-il être compris également pour les missions de repérage des missiles à intercepter et de guidage des anti-missiles contre ces missiles? D’un point de vue politique, l’interprétation va dans ce sens.
«Russia would have legitimate cause for concern if the Pentagon placed missile interceptors in Britain as part of its missile defence shield, the head of the US Missile Defence Agency has told the FT.
»The Pentagon is negotiating with Poland over the possibility of installing 10 missile interceptors as part of its ground-based missile defence system. But UK officials recently said Tony Blair, the British prime minister, had lobbied the US to have his country host the interceptors.
»“If they [the Russians] are concerned about us targeting their intercontinental ballistic missiles, I think that would be problematic from the UK because I believe we probably could catch them from a UK launch site,” said Lieutenant General Trey Obering.
»Gen Obering said the missile defence system in Europe was aimed at protecting the US and Europe from Iranian missiles. He said the fact that the Pentagon wanted to place the interceptors in Poland reinforced the argument that the US was not trying to build a shield against Russian missiles.
»“We would not have chosen Poland or the Czech Republic if our criteria were to try to somehow offset the Russian ICBM advantage,” Gen Obering said. “We would have moved it farther west so that we could again give us more time to do that tracking and targeting.”»
• Il faut aussitôt rappeler que ces déclarations du général Obering suivaient d’autres déclarations, — évoquées d'ailleurs par le FT, — dont certaines autres de lui-même, qui, faites deux semaines auparavant, laissaient entendre à peu près le contraire. (De l’International Herald Tribune, du 23 février.)
«According to Prime Minister Tony Blair's spokeswoman, Britain has been secretly lobbying for inclusion in the system for some time. “It is our intention that whilst the United States are in the decision-making process, the U.K. should be considered as part of that,” the spokeswoman said on Friday, speaking on the condition of anonymity that prevails in the British civil service.
»“The prime minister thinks it is a good idea that we are part of the consideration by the United States. We believe it is an important step towards providing missile defense coverage for Europe, of which we are part.”
(…)
»Word of the missile defense negotiations followed remarks in Washington on Thursday [22 February] by Lieutenant General Henry Obering 3d, director of the U.S. Missile Defense Agency, who discussed deployment of missile defenses in Britain.
«“We are always looking for new ways to partner with the United Kingdom, whether that be co-development or a hosting, or any of the activities of that nature,” Obering said, adding that radar systems were already in final testing in Britain.»
Si le flou et la confusion purent paraître ainsi entretenues sur les véritables intentions britanniques, et sur les intentions US vis-à-vis des Britanniques, concernant le réseau anti-missiles, par contre la signification d’un éventuel déploiement de missiles anti-missiles US au Royaume-Uni, ou une participation britannique majeure dans ce réseau, purent être mesurées à leur vraie signification avec les déclarations d’Obering. Une implication importante du Royaume-Uni ne manquerait pas d'apparaître comme une orientation du système par rapport aux activités de la Russie, confirmant ainsi l’interprétation russe d’un réseau anti-missiles mis en place pour contrecarrer les capacités de frappe stratégique russe. C’est effectivement ce qui pourrait apparaître avec la “décision” britannique concernant Menwith Hill. Elle pourrait éventuellement apparaître comme un premier pas dans ce sens.
La situation de Menwith Hill à la lumière de la “décision” annoncée par Browne n’a, pour nous, guère d’intérêt sur le plan technique mais énormément sur le plan politique. La question est de savoir s’il s’agit d’une décision technique ou politique, et dans quel sens il faut l’interpréter.
Les Anglo-Saxons nous ayant habitués depuis longtemps à jouer avec dextérité avec les réalités selon les nécessités du moment, et notamment depuis l’invasion de l’Irak, on s’étonne qu’ils ne l’aient pas fait avec Menwith Hill. On s’en étonne d’autant plus qu’il ne se passe rien de décisivement nouveau à Menwith Hill. La station est certes un maillon central du réseau Echelon mais elle assure de nombreuses autres missions. Elle joua déjà son rôle durant la Guerre du Golfe de 1990-91, notamment dans le repérage et le suivi de missiles (c’est-à-dire déjà un rôle anti-missiles). Depuis la fin 1998, comme le précisait Duncan Campbell (spécialiste de la question Echelon) dans le Guardian du 2 décembre 1998, Menwith Hill est intégré dans un effort anti-missile US en relation avec les réseaux satellitaires.
Peu nous importe les détails techniques, à nouveau. L’essentiel est bien sûr de constater que l’activité anti-missiles dans un cadre d’une coopération étroite USA-UK est une des missions essentielles de Menwith Hill. Il est normal que la station ait un rôle à jouer dans le système US en gestation en Europe, on dirait même que cela va de soi. On se demanderait, de la même façon, s’il s’imposait d’en faire l’annonce officielle, d’autant qu’on connaît évidemment les conditions de controverse qui accompagnent aujourd’hui toute décision importante concernant le réseau anti-missiles US en Europe. La décision britannique est effectivement une décision de la plus haute importance, toujours considérée de ce point de vue politique qui nous intéresse. Pourquoi l’avoir annoncée, alors que les Britanniques ont, ces dernières années, dissimulé bien des choses de bien plus d’importance, — alors que Grordon Brown a manifestement l'intention d'améliorer ses rapports avec l'Europe et qu'il serait judicieux dans ce cas d'éviter une prise de position qui n'est pas impérative dans un domaine si polémique?
Les conditions de l’“annonce” de Des Browne apparaissent comme une tentative de dissimulation maladroite d’une “décision” qu'il n'était pas écessaire de présenter publiquement apparaît; à cause de cette annonce publique très critiquable, l'affaire devient aussitôt une controverse. Son premier résultat est d’impliquer le gouvernement Gordon Brown dans un des projets US les plus controversés en Europe au moment où ce même gouvernement voudrait prendre ces distances des USA et où quelques voix US bien intentionnées conseillent, parfois sur un ton menaçant, à ce même gouvernement de se garder de tout rapprochement avec l’Europe. La proximité entre l’annonce de Des Browne et les deux prises positions concertées de Bolton et de Stelzer peut apparaître, dans ce contexte, très significative.
Ces diverses conditions font qu’on pourrait accorder éventuellement accorder quelque crédit à une version intéressante de cette affaire. Des sources européennes envisagent l’explication que les Britanniques de Gordon Brown ont été conduits à présenter comme ils l’ont fait le rôle de Menwith Hill parce que des pressions US (de la partie la plus extrémiste de l’administration US, Cheney relayé par Bolton) les y ont conduits. D’une certaine façon, il valait mieux que ce soit les Britanniques qui annoncent le rôle de Menwith Hill que les Américains eux-mêmes, — comme les extrémistes de l’administration auraient averti que cela serait fait dans le cas contraire. Le but de la manœuvre US serait évident : “mouiller” Gordon Brown dans un projet US controversé pour freiner ses velléités de distanciement vis-à-vis des USA, et ses vélléités de rapprochement avec l'Europe. La même interprétation poursuit en précisant que cette opération aurait été préparée du temps de Blair, avec la complicité active de Blair, voire sur la suggestion de Blair lui-même. Si l'on veut, un dernier cadeau de Blair à Gordon Brown.
Quoi qu’il en soit, le résultat net de cette évolution est double.
• D’une part, elle nous renforce d’une façon non négligeable l'interprétation du réseau anti-missiles US en Europe comme d’un système destiné à limiter les capacités stratégiques de la Russie. C’est-à-dire une évolution propre à aggraver considérablement la crise.
• D’autre part, il se pourrait bien qu’à très court terme, le réseau anti-missiles ait trouvé son terrain d’affrontement idéal entre l’Europe et les USA. S’il s’avère que la thèse que nous présentons est fondée, cela signifie que les USA vont effectuer le maximum de pression sur les Britanniques par l’intermédiaire de ce système, pour influer sur les relations des Britanniques avec l’Europe. On ferait de ce réseau et de la position où le Royaume-Uni se trouverait de plus en plus enfermé un moyen pour les USA de maintenir fermement le Royaume–Uni dans une dépendance des USA en la mettant dans une position de mésentente avec certains Européens (les Allemands notamment) et dans une position de confrontation avec la Russie.