Le pilote et La Boétie

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Le pilote et La Boétie

13 octobre 2021 – Un pilote de SouthWest Airlines, une compagnie intérieure US qui connaît depuis trois jours d’énormes perturbations de service (2 000 vols annulés ce week-end, plusieurs centaines par jour depuis), était interviewé par Tucker Carlson mardi soir. Il parlait d’une action de refus d’une part importante des pilotes de se faire vacciner selon l’ordre exécutif du président Joe Biden (l’ordre inique et tyrannique que toute entreprise de plus de cent employés doit exiger d’eux une vaccination, sous peine de mise à pied)...

L’action consiste donc, dans le chef de certains pilotes, à décider de ne pas voler pour quelque raison que ce soit (en France, on dit “faire grève”, mais bon...), tout en faisant savoir, en passant, qu’on ne trouve rien de bon dans cette contrainte.

« “Tout d'abord, nous avons tout le contrôle, et le contrôle vient d'un simple mot, et c’est ‘non’”, a-t-il dit. “Nous n’avons tout simplement pas besoin de nous conformer”.

» “En ce qui me concerne, je ne promouvrai jamais une exemption de travail pour raison de santé ou une action de grève illégale. Avec la U.S. Freedom Flyers, l’organisation dont je fais partie, nous ne ferons jamais la promotion d'une telle chose. Ceci étant dit, nous ne pouvons pas non plus contrôler les actions des individus. Et je pense que vous verrez des perturbations massives dans la chaîne d’approvisionnement et dans vos voyages si nous nous levons et disons simplement ‘non. »

Cet échange me ramène directement à un texte où l’on faisait intervenir La Boétie et son interprète (‘Le Précepteur’), alors qu’il m’apparaît assez probable que ce pilote n’avait pas lu La Boétie ni écouté ‘Le Précepteur’... Il ne s’agissait pas d’un encouragement à des insurrections inutiles ni à une plainte geignarde de l’absence d’insurrection de foules moutonnières de la part d’un “conseilleur” qui s’abstiendrait d’être “payeur”, mais d’une pédagogie de résolution aussi simple d’instruction que ferme de caractère :

« Ce que prône La Boétie, c’est la réappropriation par le peuple de la force. Non pas de la force comme violence, non pas de la force comme agressivité, [mais] de la force comme résolution, de la force comme fermeté de l’âme, de la force comme capacité à simplement dire : “Non”. Pas à s’énerver, pas à crier et à gesticuler dans tous les sens, juste dire : “Non”. »

Malgré les diverses interventions un peu alambiquées de la hiérarchie de la société, il ne fait aucun doute que les pilotes qui animent ce mouvement le font par rapport, et contre le principe de l’obligation de vaccination. L’ancien parlementaire et ancien candidat à la présidence Ron Paul parle de « rébellion ». Parallèlement, le gouverneur du Texas Abbott a signé un décret annulant le caractère contraignant de la directive du président et ainsi donnant indirectement une assise officielle aux pilotes de SouthWest (même si le décret concerne une position générale du Texas contre Biden, et Abbott prenant soin de préciser qu’il est pour le vaccin, mais selon une décision individuelle volontaire seulement). On dit aussi que ce mouvement d’une sorte de “résistance passive” par le seul maniement du “non” tranchant et décisif pourrait toucher American Airlines.

C’est ainsi aux USA, où la crise-Covid est de loin la plus “politisée” et où de très nombreux autres mouvements de résistance existent, que cette résistance apparaît la plus la plus sérieuse et la plus avancée. “Résistance” contre quoi, d’ailleurs ? Moins contre le vaccin, – on laisse cela aux innombrables et passionnants “complots” mis à jour par les spécialistes du genre, – que contre des décisions de contrainte prises sans consultation ni mesure. Ces décisions établissent effectivement un climat de dégradation des libertés entraînant une évolution approximativement tyrannicide au motif d’une “sécurité collective” de type sanitaire, par ailleurs marquée par le désordre et l’incohérence. Il n’y a rien de vraiment organisé dans tout cela, dans le chef de directions politiques montrant dans d’autres domaines un effrayant laxismes à l’égard d’actes illégaux et d’influences subversives mettant en péril la “sécurité collective” tout court, et même la structure même de la civilisation elle-même et déjà si mal en point.

Le pouvoir politique, essentiellement dans les pays du bloc-BAO qui ne cessent de se repaître jusqu’à la nausée de leur vertu démocratique, montre une terrible absence de caractère et une incohérence complète dans son action contre les effets des multiples crises dont il est le principal responsable. La tyrannie qui le tente est à la fois injuste et inique, et donc paradoxalement pleine de faiblesses insupportables, plutôt une pseudo-tyrannie, disons une ‘tyranocratie’ avec les effets détestables de la chose sans aucune des promesses auxquelles elle prétend. C’est une tyrannie des faibles, des lâches et des menteurs, exactement ce qui convient à des fauteurs d’incivisme, des faiseurs de collabos, des gouvernements illégitimes par leurs actes, accrochés à des simulacres construits sur leurs mensonges, – leur tyranocratie grotesque et improbable, et dès lors absolument insupportable. Ils méritent bien une Résistance, par conséquent ils l’auront s’ils ne l’ont déjà.

Bien entendu, il n’y a pas que le Covid puisqu’il y a tout le reste. Il n’y a rien pour rattraper tout ce qui tombe et ce qui ne tombe pas est déjà à terre, c’est-à-dire dans les souterrains où les résistants songent à résister. Le problème des résistants, finalement, c’est de parvenir à bien comprendre, à embrasser l’incohérence, la fluidité, la néantisation de ce contre quoi il leur faut résister, et par conséquent l’inutilité d’espérer que cette chose cède lorsqu’on la mettrait devant une alternative constructive. Il ne faut pas trop s’inquiéter de résister sans n’avoir rien de précis, de rationnellement structuré à présenter pour les remplacer. On ne s’interroge pas sur le destin social et politique d’un noyé en train de se noyer, comme l’est notre collectivité prise dans leurs rets ; on lui tend la main pour le sortir de l’eau et après l’on verra.

Là aussi, le La Boétie qui nous est présenté a raison :

» “Or, ce tyran seul [écrit La Boétie], il n’est pas besoin de le combattra, ni de l’abattre. Il est défait de lui-même. Il ne s’agit pas de lui ôter quelque chose, mais de ne rien lui donner. ... C’est le peuple qui s’asservit et qui se coupe la gorge ; qui, pouvant choisir d’être soumis ou libre, repousse la liberté et prend le joug ; qui consent à son mal, ou plutôt qui le recherche. ... Mais si on ne leur fournit rien, si on ne leur obéit pas, sans les combattre, sans les frapper, ils restent nus et défaits et ne sont plus rien, de même que la branche, n’ayant plus de suc ni d’aliment à sa racine, devient sèche et morte”. [...]

» Le problème du peuple qui se plaint de sa servitude, c’est son absence de réalisme, son absence de pragmatisme. C’est cet idéalisme qui fait croire qu’il suffirait d’informer les dirigeants qu’ils asservissent le peuple pour qu’aussitôt ils cessent de l’asservir. Ou qu’il faudrait théoriser un modèle politique vertueux pour qu’aussitôt les dirigeants se mettent à l’appliquer. Mais enfin, vous pouvez dessiner le plus beau modèle politique sur un tableau noir, tant que vous n’avez pas le pouvoir, ce n’est qu’un dessin... »

Voyez comme, en quelques mois, en quelques toutes petites années, toutes les crises jusqu’alors impératives ont cédé le pas à l’essentiel, je veux dire l’essentiel de notre Grande Crise... Qui parle aujourd’hui du terrorisme et des aventures extérieures, comme si la déroute afghane avait soldé tous les comptes et épuisé tragiquement et bouffonnement le sujet ? Alors, vous comprenez bien, les voir avec leurs masques grotesques, toutes ces éminences flottantes et communicantes, ces masques qui sont comme un symbole de l’incapacité de se voir et de regarder, conclusion décisive sur leur aveuglement ....

“Non !”... Je ne sais s’il suffit de dire “non ” mais il importe par-dessus tout de dire “non”. Comme avec le noyé : après, on verra.