Le plus bête de tous les virus du monde

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Le plus bête de tous les virus du monde

19 mars 2020 – N’installons pas un suspens artificiel et donnons aussitôt au chat la langue qu’il attend de nous : “le plus bête de tous les virus”, c’est la sottise humaine, particulièrement de nos époques et de nos contrées, surtout quand elle atteint le stade suprême et indépassable de la connerie postmoderne, et qu’elle occupe les places institutionnelles les plus influentes pour l’orientation de la recherche de l’information et de la communication dans notre domaine. Covid-19 nous donne l’occasion d’explorer un coin de cette immensité de la bêtise humaine qui était encore terra incognita.

La chaîne qui nous y conduit ne doit pourtant pas nous surprendre, et pourtant elle a tout de même réussi à me surprendre, moi, le vieil homme recru et revenu de tout, et qui se découvre ainsi encore vulnérable aux mauvaises surprises. Dans quel caniveau sont donc tombés ces brillants représentants de nos responsabilités civilisatrices, et pour le cas, l’un des plus purs joyaux d’entre eux dans le chef emplumé et saumoné du Financial Times (dit-FT pour les cocktails) ? Je parle d’une “fuite” bien organisé, provenant d’un service de l’Union Européenne, que nous nommerons StratCom (Strategic Communications), simplement parce que c’est son titre officiel. StratCom a donc accouché d’un “rapport interne” impliquant, comme agitateur sinon concepteur de ce qui peut être perçu de panique dans la crise Codiv-19, – qui donc ? Qui est impliqué, non accusé, non condamné ? Who else, je vous le demande, sinon la Russie, les Russes, diabolique-Mr.-Poutine & le reste ?

En date du 18 mars 2020, alors que je fêtais dans l’atmosphère festive qu’on imagine mon 76èmeanniversaire, messieurs Michael Peel et Sam Fleming, qui représentent avec une extrême assurance, type-Brexit, la référence-FT à Bruxelles, publiaient  un article digne des plus grandes alarmes, sous le titre impératif de (interprétation dans le sens de la compréhension pour tous) : « L’UE avertit qu’une campagne pro-Kremlin de désinformation sur le coronavirus est en cours. »

Tremblez dans vos chaumières, et priez que l’UE, qui fait déjà tant pour nous face à ce “fléau de Dieu” qu’est Covid-19, ait assez effrayé les Russes sur ce coup pour que tout rentre dans l’ordre et que nous puissions enfin ne plus paniquer qu’entre nous, entre civilisés veux-je dire. Car enfin, pour ne pas paniquer, il suffit de suivre les autorités et leurs sinuosités sans nombre, les babord-tribord, les “c’est horrible”-“ce n’est rien du tout”, les “quelques centaines de morts”-“des millions de morts”, les “plus personne ne travaille”-“qu’est-ce qu’ils attendent pour travailler”, – de nos dirigeants, de nos scientifiques, de nos journalistes, de nos commentateurs, de nos éditorialistes, de nos vedettes-MeToo d’Hollywood, de nos disc-jokeys, – et aussitôt le calme nous baigne à nouveau puisque tout s’éclaire et que l’on a enfin tout compris.

Poursuivons l’instruction du dossier... Voici quelques extraits de la prose-FT, et donc de la prose StratCom-UE :

« Russian pro-Kremlin media have mounted a “significant disinformation campaign” to aggravate the coronavirus pandemic crisis in western countries by destroying confidence in the emergency response, according to an internal EU report.
» The effort aims to stoke “confusion, panic and fear” and stop people obtaining good information about the contagion, as part of a broader strategy to “subvert European societies from within”, the European diplomatic service analysis says.
» The nine-page report — dated March 16 and seen by the Financial Times — outlines a wide range of attempts internationally to exploit the Covid-19 pandemic by spreading implausible narratives. It says the effectiveness of vetting put in place by social media companies for coronavirus content is still unclear. […]
» The EU has recorded almost 80 cases in its database of Covid-19-related disinformation efforts since January 22, the report says… […]
»  “The campaign is designed to exacerbate confusion, panic and fear, and to prevent people from accessing reliable information about the virus and public safety provisions,” the EU document says, noting there is evidence pro-Kremlin outlets often do not author disinformation themselves, but amplify false or unsubstantiated reports from other sources. “These efforts are in line with the Kremlin’s broader strategy of attempting to subvert European societies from within by exploiting their vulnerabilities and divisions.”
» The European External Action Service declined to comment on the document. It said it had intensified its monitoring and exposure of disinformation flows because of the pandemic and was working closely on this with international partners, including Nato and the G7 leading economies. »

L'un des premiers à s’aviser de l’initiative du StratCom-UE est Nabojsa Malic, journaliste serbo-américain collaborateur de RT.com, le 17 mars. Le début de son article, d’une ironie tellement désabusée tant la bêtise ne cesse de se répéter : « Quand tout le reste a échoué, il reste à blâmer la Russie. Telle semble être l’approche de l'UE pour détourner les reproches de [l’absence, voire l’inexistence de]sa réponse à la pandémie de coronavirus, sans doute parce que cette approche a si bien fonctionné pour les intérêts des démocrates aux États-Unis ou à Londres dans l’affaire Skripal... »

Depuis, d’autres s’y sont mis ; la plupart pour suivre la ligne RT-StratCom, quelques-uns, du clan des antiSystème, pour la moquer. Tout cela forme l’habituelle tambouille qu’on remet régulièrement à cuire depuis 2014, le Russiagate, etc. Le service StratCom, dit une source dont je suis sûr et qui a assisté à toute la mise en place du “machin”, explique que l’UE a suivi les US (bien entendu) autour de 2016-2017, suivant la campagne anti-Trump, c’est-à-dire le Russiagate dont il s’est avéré depuis qu’il ne reposait  sur rien du tout de tangible, de concret, de crédible, de matériel, – bref rien d’existant, simulacre complet. Le service StratCom, lui, avait été mis en place spécifiquement pour une autre dimension fameuse du même simulacre, la lutte contre les FakeNews, ce qu’on appelle parfois sur ce site le FakeNewsisme. (Le sérieux de l’affaire dont je parle ici est bien détaillé par Malic dans son article référencé.)

Je le répète, je connais bien ma source, et je l’ai rarement vue aussi furieuse, presque honteuse que l’institution où elle a travaillé si longtemps accouche de monstres aussi chargés d’une si grandiose bêtise, aussi nullissime, et sortant ce monstre-là (StratCom) sortant lui-même un monstre de son tiroir (rapport Russiagate-Covid19), sans aucun sens, sans aucune preuve ni le moindre signe, sans rien du tout, c’est-à-dire exactement ce qu’il faut pour mériter un article dans le prestigieux et saumoné FT (“Ici Londres, ici Londres, des crétins parlent aux crétins”).

“Je les connais bien, dit ma source, déchaînée, ils ont été recrutés n’importe comment pour former ce service complètement de circonstance, PR ou pub comme on veut, ils ne représentent rien sinon la propagande la plus vulgaire et la plus conformiste ! Et ils vous sortent un rapport de huit pages mettant en cause la Russie à partir de ‘80 cas’, c’est-à-dire autant de tweets, de nouvelles repiquées ou un truc du genre, sur des milliers et des millions d’élucubrations et d’affirmations dans tous les sens que provoque l’affaire du Coronavirus ; et ces gens-là ont ainsi l’impression d’exister et d’intéresser les autres, – et en avant pour un nouveau chapitre du Russiagate, commençant par un article du FT !”

Un passage de l’article du FT (traduit pour l’occasion), citant abondamment le rapport, laisse effectivement percer la technique des Pieds-Nickelés de la communication, puisqu’il parle de la méchanceté des Russes à partir de l’utilisation qu’ils feraient sûrement, ça-ne-fait-aucun-doute, – d’ailleurs, il n’y a aucune preuve, alors-hein ! – de multitudes d’informations contradictoires de toutes provenances dans le bloc-BAO qui bourdonne de réseaux sociaux, notamment informations officielles et officiellement contradictoires de chez nous, qu’ils relaient et exploitent comme de pauvres prisonniers de l’opposition libérale et anti-poutinienne dans les mines de sel. L’accusation lancée contre les Russes revient, au fond, à les accuser de se faire le reflet de notre désordre, et nous empêcher ainsi de découvrir le vrai dans ce bordel-Système régnant absolument chez nous, c’est-à-dire le vrai bordel, tel qu’il est, bordélique veux-je dire, – et voilà nos Pieds-Nickelés tout fiérots, eux qui sont les fiers représentants du monstre-UE dont les capacités en matière de bordel sont infinies à nous laisser béats...

« La stratégie pro-Kremlin en matière de[communication sur la] pandémie consiste à “déployer des dizaines de récits[narrativedifférents et souvent contradictoires, qui sont diffusés par les canaux officiels, ainsi qu'en ligne et par les médias sociaux”, affirme l'analyse européenne.
» “La campagne est conçue pour exacerber la confusion, la panique et la peur, et pour empêcher les gens d'avoir accès à des informations fiables sur le virus et les dispositions de sécurité publique”, indique le document de l'UE, notant qu'il est prouvé que les médias pro-Kremlin ne sont pas eux-mêmes les auteurs de la désinformation, mais amplifient les rapports faux ou non fondés provenant d'autres sources. »

... Formidable ! Les Russes ne font qu’utiliser nos propres conneries, ils ne sont pas les auteurs de la désinformation qu’ils répandent prétendument, ils piochent dans notre désordre pour le réutiliser, et il paraît que cela nous empêche “d’avoir accès à des informations fiables”, – c’est-à-dire à la vérité, – la “vérité de notre bordel”, – “le vrai bordel, tel qu’il est, bordélique veux-je dire”.

Moi, j’ai envie de demander quelque chose à StratCom : pourquoi ils ne nous disent pas ce qu’est la vérité de ce fabuleux bordel qu’est la communication autour de Covid-19, puisque j’imagine qu’ils doivent la connaître, non ? La vérité sur le bordel, StratCom ! Ma parole, ça coupera l’herbe déjà coupée sous les pieds des Russes.

Et voilà comment l’UE, finalement, et contre toute attente et toutes les mauvaises langues du bloc-BAO qu’utilise le Kremlin à son avantage, se montre d’une formidable utilité, 
1) pour mener jusqu’à la victoire la “guerre” (« Nous sommes en guerre ») contre Covid-19, et
2) pour montrer la puissance et l’intérêt de son existence pour tous les pays qu’elle (l’UE) regroupe et qui soupirent en-dedans eux “Ah, si l’UE, et surtout StratCom n’étaient pas là, nous ne saurions plus où nous en sommes avec Covid-19”.

Allez, la récréation est finie, passons aux choses sérieuses. Quand est-ce qu’on attaque la Russie pour nous débarrasser de Covid-19 ?