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499119 juillet 2020 – Par “la crise” dans le titre, j’entends le sens le plus vague et le plus général possible. Il s’agit du phénomène absolument crisique caractérisant ce temps ; que ce soit la GCES, Covid19 et la menace d’extinction des dinosaures de l’industrie avancée, USA2020 et la Grande-Émeute2020, le Moyen-Orient avec la Syrie, l’Iran, Israël, la Russie diabolique et la Chine insatiable-insaisissable, la financiarisation du monde et les dettes stratosphériques, la surveillance policée et la violence policière, le terrorisme pseudo, manufacturé et explosif, l’environnement saccagé jusqu’à l’extinction du monde et la zombification des esprits comme alternative à une angoisse suicidaire, la folie “genriste” et le tourbillon des identités incertaines, la subversion et l’inversion partout... Liste crisique sans fin, certes, mais on comprend de quoi je veux parler.
Dans mon métier, mon sacerdoce de l’écriture et de la communication suivant les événements du monde au jour le jour en leur cherchant leur dimension métahistorique, – dans ce métier, il y a 15 ans, 20 ans ou un quart de siècle, chacune de ces sous-crises, et sous-sous-crises aurait justifié une mobilisation extraordinaire des vigilances et des analyses, suscité un quadrille diplomatique intense et dans l’urgence, engendré des rencontres sur un fond d’alarme anxieuse, des conférences, des motions, des compromis et des accords hâtivement ficelés ; et, enfin rassurés, l’on soupirerait “Le monde n’est pas passé bien loin d’une conflagration générale”.
Aujourd’hui, tout cela va et vient dans un bruit de tonnerre à terroriser un Kissinger, et nous sommes incapables de saisir une miette de ce temps crisique pour l’observer avec sérieux et en donner une explication. Les crises vont et ne s’expliquent pas ; elles ne daignent pas ; elles ne s’arrêtent pas, elles ne laissent rien à voir, elles agissent...
“Chez ces crises-là, monsieur, on ne s’explique pas, on tonne”, dirait-on, paraphrasant le poète-chanteur.
Cela est pour faire mesurer la colossale difficulté, l’écrasante ambition de tenter seulement d’arrêter le temps, quelques secondes pas plus, pour exiger de lui quelques bribes d’explication, sur quelque bribe d’un seul incident crisique. Rien du tout, il passe son chemin et vous laisse, groggy, stupéfait, dans une poussière impénétrable, “the fog of the crisis” ; pourtant, il faut se relever, et remettre son ouvrage sur le métier. Vous mesurez la difficulté de cette tâche, de cette mission dirais-je car il faut être un missionnaire, et sans jamais capituler, reprendre sa plume d’explorateur pour tenter de déchirer le rideau opaque, d’extraire une poussière plus aimable pour la colorer d’un frôlement de cette intuition qui consent à vous effleurer.
Je ne suis pas de ce genre qui fait florès, surtout chez ceux des campements multiples des antiSystème qui ressemblent parfois à des camps de réfugiés au bord d’une frontière bardée de barbelés, israélienne ou américaniste ; ou bien est-ce un refuge qui semble comme une cabane isolée perdue dans les neiges sans fin du Grand Nord. Je suis plutôt du genre du Grand Nord. Je n’ai rien à voir avec ceux qui observent les frontières et vous assurent péremptoirement qu’ils ont tout compris, que cette crise-là qui manipule toutes les autres doit être comprise dans un ensemble inextricable de cabales et de forces dissimulées, dont eux-mêmes seuls connaissent l’identité et les ambitions ; je ne suis pas de ceux qui, n’y comprenant rien comme tout un chacun, affirment avoir tout compris puisqu’ils ont identifié le complot qui va bien, comme une chaussure à la bonne taille disponible parce que sortie d’un stock abondamment fourni de toutes les tailles et de toutes les formes de complots qui importent.
Je suis de ceux qui observent, incertain, incrédule, improbable, indécis, incroyable mais toujours croyant ; j’hésite à m’arrêter à ceci, à commenter cela, je perds tant de temps à contempler ce chaos divin pour tenter de m’accrocher à un débris du Ciel ; une fois de plus, je ne sais plus rien et décrète qu’il y a une vanité fautive à vouloir expliquer l’inexplicable.
Je bénis le surréaliste humoriste Israël Shamir, ce drôle de bonhomme, qui vous expose un complot par texte, que dis-je, un chapelet de complots, comme dans celui (de texte) du 3 juillet 2020 :
« Même s’ils décident que le Covid-19 a été éradiqué, ils ont déjà le prochain virus en ligne. Il existe un candidat digne de ce nom, une nouvelle souche de grippe porcine appelée G4, et ils ont bon espoir qu'elle puisse déclencher une pandémie. Si elle échoue au test (comme tous ses prédécesseurs), ils en trouveront une autre, ne vous inquiétez pas. La loi de l’offre et de la demande est de leur côté. Il y a tant de virus, et tant de personnes crédules qui sont pathologiquement incapables de douter de ce que dit le New York Times, que cette musique ne s’arrêtera jamais. »
Je l’aime bien, Shamir, car je sais bien qu’il a effectivement l’ironie surréaliste, puisque avant ce texte et après tant d’autres, et en attendant le prochain, il en avait écrit un (le 22 mai 2020 sur UNZ.News, avec son titre très parlant de « Coronavirus Conspiracies ») où il offrait cette introduction admirable et au moins au second degré :
« J’aime bien les théories de la conspiration ; elles tentent d’injecter un sens à des ensembles de faits divers qui, autrement, n’auraient aucun sens. Elles font entrer le Logos dans notre vie, comme le dirait notre ami E. Michael Jones. »
... Et ce n’est pas pour discréditer Shamir, bien au contraire, complètement au contraire : c’est pour saluer sa lucidité et son clin d’œil chaleureux pour tous les complotés-du-monde-entier.
Je veux dire aussi, en faisant cet aparté shamiresque, qu’au fond, pour ceux qui ont pris conscience de la colossale et écrasante tension que la crise fait peser sur notre perception et sur notre jugement, il s’agit de se trouver, de se fabriquer, de s’élaborer une cuirasse à toute épreuve, à l’abri de laquelle vous pourrez, non pas vous boucher la vue, l’audition et la parole, mais au contraire à partir de laquelle vous pourrez tenir droitement et sans faiblesse votre poste de sentinelle du déluge en cours. Shamir a trouvé sa formule et grand bien lui fasse ; moi j’ai la mienne : je vous dis que je ne comprends pas, que peut-être il n’y a rien à comprendre (“rien d’‘humain, trop humain’”), et que chercher à comprendre c’est courir le risque terrible d’irréparablement endommager ce qu’il pourrait y avoir de fécond à sortir de cette inconnaissance.
C’est le mot, voilà le mot... “Inconnaissance”, certes, vous attendiez cela et moi également, donc on connaît mon “truc”. Cela vaut pour l’objet de mon observation, tandis que je me repose sur quelques principes fermes, des principes qui sont comme autant de poutres-maîtresses dans ma charpente et ma chapelle, enfin une ligne générale qui ne m’a jamais trahi et à laquelle j’accorde ma confiance tant qu’elle suit sa rectitude sans failles. Ainsi, chaque observation que je fais, chaque acte d’inconnaissance dont j’arrive à tirer quelque chose, cela est pour moi un examen de conscience de plus.
Je suis là pour observer ce qui nous semble, à nous “humain, trop humain”, la folie du monde lancée dans une tension formidable, bien au-dessus de nous. Je suis là pour vous dire qu’il n’y a rien qui puisse nourrir chez nous notre prétention à comprendre, à moins que vous ne soyez la prétention même. Je suis là pour vous dire qu’il se passe tout de même quelque chose, et que c’est gigantesque, et que c’est sans précédent.
Ce n’est pas facile, car chaque fois il faut trouver les mots et se trouver ainsi justifié d’à nouveau présenter ce qui ne peut être présenté selon les termes humains habituels, appuyés sur des arguments dits-rationnels, pompeux référants appuyés sur la déesse-Raison qui s’imagine encore dominer le monde. Jamais je n’ai eu affaire à un labeur si complexe, si colossal et pesant, et pourtant insaisissable comme une plume qui se soulève au moindre souffle, – alors, vous imaginez quand c’est la tempête qui gronde ! Jamais aussi, l’enjeu n’a été aussi grandiose, aussi essentiel, aussi nécessaire.
J’avais l’habitude, déjà complexe, d’avoir affaire à un monde au bord du précipice, ces abysses où “tout peut arriver”. Désormais, il s’agit d’un monde, – ‘abysses’ ou pas, je ne sais, – “où tout est en train d’arriver”... Et cela n’est pas pour me déplaire, croyez-le bien, malgré la somme de toutes les angoisses
Voyez-vous comme je retrouve, renforcée, confirmée, plus vivante et exigeante que jamais, une conclusion que j’avais proposée pour un texte d’il y a un peu moins de deux mois (comme le temps passe-vite) :
« Je me réfère à Chestov, décidément bien présent à mon esprit en ce moment, lorsqu’il décrit Pascal dans ses ‘Pensées’, comme cheminant au bord de l’abîme pour mieux le décrire (“Un grand miracle se produit sous nos yeux. Pascal s’accoutume à l’abîme, il commence à l’aimer...”) Chestov décrit Pascal qui “commence à aimer l’abîme”, exactement comme il faudrait à un être d’aujourd’hui en arriver à aimer l’inconnu où nous nous abîmons, qui nous présente sa béance dans les événements qui s’accumulent et nous contraignent absolument :
» “En effet, quelque chose vient de finir mais autre chose vient de commencer. Des forces nouvelles et incompréhensibles se sont manifestées, des révélations nouvelles ont surgi. Les appuis solides se sont évanouis, marcher comme on marchait naguère est impossible, – il ne faut donc plus marcher, il faut voler.” »
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