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19 décembre 2007 — La question de l’exportation des armements est aujourd’hui un des centres d'intérêt des relations internationale. Deux raisons à cela.
• L’apparition (la réapparition) de la Russie comme acteur majeur du domaine.
• Les agitations en France à ce propos, avec peut-être une petite “révolution” que serait une réactivation sérieuse de la politique française d’exportation des armements.
Dans le premier cas, la signature d’un important contrat entre la Russie et la Grèce pour 415 véhicules blindées a attiré l’attention sur la très forte expansion des exportations d’armes de la Russie. Nous revenons sur cette question de la vente à la Grèce en signalant à nouveau la série d’articles de Martin Sieff, d’UPI (le troisième est publié ce jour).
Sieff donne un aperçu classique des causes techniques et des circonstances qui favorisent cette expansion des exportations d’armes russes. Ces quelques remarques illustrent cette situation.
«Nevertheless, the Greek plan to buy the tough, durable and reliable BMP-3s is a part of a growing trend we have noted before in these columns: Indonesia has broken with 40 years of reliance on American weapons to buy four Russian Kilo-class submarines and a growing number of Sukhoi fighters.
»Malaysia, which used to be a British arms preserve, now relies on Russian Sukhois as its primary interceptor fighters. And for all India's growing ties to the United States, Washington has been unable to displace Russia from its dominance of the Indian heavy ground weapons and combat aircraft markets. Russian manufacturers remain confident they will get an enormous order for 300 T-90S main battle tanks – more than three times the number the Russian army itself is contemplating adding to its arsenal.
»Further, Saudi Arabia, one of the largest, most prosperous and hitherto most secure markets for U.S. weapons systems, is dipping its feet into the Russian arms pool: The Saudis have concluded another billion-dollar arms deal, primarily for helicopters.»
Le cas français est différent. La France a toujours tenu une place centrale et originale dans le domaine des exportations d’armement depuis les années 1960. Le cas est connu, il est éminemment politique puisque l'exportation des armements a été un des grands outils de la politique d’indépendance du général de Gaulle. Depuis la fin de la Guerre froide, le niveau des exportations françaises a été à peu près maintenu malgré une baisse relative mais la politique d’exportation a connu une dégradation accélérée. On peut tout aussi bien avancer qu’il n’y a plus de “politique d’exportation” en tant que telle en France.
La chose s’est cristallisée, depuis l’élection de Sarkozy, autour de l’affaire marocaine et de l’échec du Rafale dans des circonstances où ce marché était quasiment acquis. Cet échec est peut-être une expérience salutaire. Il a conduit à un mouvement général de refonte du système d’exportation des armes, la prise en main du problème par l’Elysée et ainsi de suite. On ne parle plus, aujourd’hui à Paris, que du processus de réforme de la politique de l’armement, avec l’illustration de l’un ou l’autre épisode exotique comme le passage de Kadhafi dans la capitale française.
Le 17 décembre, Defense News faisait rapport d’une conférence de presse du ministre français de la défense sur cette question.
«Seeking to boost arms sales, France will computerize requests for export licenses, cut delays in handling applications and ease restrictions on products and personnel moving within the European Union.
»The new measures are intended to “simplify, modernize and facilitate the current procedures,” French Defense Minister Hervé Morin said at a Dec. 13 press conference, flanked by top executives from DCNS, Dassault Aviation, Safran, Thales and the Délégation Générale pour l’Armement (DGA), the government’s arms procurement office. Morin said a relaunch of France’s arms-export efforts has been a top priority since he arrived in office seven months ago.
»France’s failure to sell the Rafale fighter jet to Morocco earlier this year highlighted a lack of coordination not only between government departments, but also with the prime contractor, Dassault.
»“This was a failure,” Morin said.
«The handling of the Morocco campaign showed the administration “did not speak the language,” he said. The dossier had to be restarted when he took up the defense portfolio, and the new administration needed time to review Rabat’s request for fighter jets. The response was not as rapid as it should have been, he said.»
On peut effectivement envisager une analyse technique ou commerciale de ces deux événements que nous signalons. On peut même s’offrir un commentaire moral sur l’immoralité de la chose. Nous préférons une analyse politique parce qu’il s’agit d’une question politique et que c’est le seul point de vue qui rende compte de sa substance.
Deux faits dominent la question de l’armement depuis la fin de la Guerre froide.
• L’armement est devenu un instrument de “conquête” et d’assurance d’une influence politique directe ou indirecte, partagée ou non. La chose existait durant la Guerre froide mais comme une conséquence d’une situation politique globale (monde coupé en deux, zones d’influence déjà établies, armement en conséquence des pays de ces zones par la puissance dominante). Seule la France avait voulu changer cette situation en lançant et en développant une politique indépendante d’exportation d’armement qui s’inscrivait dans une politique générale de même sens et participait à la construction d’une relation politique nouvelle avec des pays tiers. Comme en bien d’autres domaines, les Français anticipaient la situation de l’après-Guerre froide. (Comme en bien d’autres domaines, ils ont gâché cet avantage visionnaire en laissant péricliter leur politique d’exportation au moment où son principe triomphait.)
• Cette situation d’après-Guerre froide a été essentiellement annexée par la masse et la puissance US. Les moyens sont des classiques de la méthode américaniste et anglo-saxonne: influence, contrainte, corruption, monnayage d’une protection militaire, etc. Les Britanniques ont suivi, se montrant encore bien plus habiles, jusqu’à l’extravagance dans le domaine de la corruption avec BAE, jusqu’au point où les USA s’en inquiètent d’une manière qu’on irait presque jusqu’à décrire comme vertueuse… Quoi qu’il en soit, on peut parler d’une situation générale de domination anglo-saxonne de l'exportation des armements.
C’est impérativement dans ce cadre qu’il faut juger des situations russe et française.
• En Russie, dans les années 1990, il y a eu l’effondrement des exportations accompagnant l’effondrement des structures de l’industrie militaire comme de celles des forces armées. (Selon James Carroll, cette catastrophe des années 1990 fut un bien puisqu’il débarrassa la Russie de son complexe militaro-industriel en tant que force autonome dominante à l’intérieur du système. L’origine de cette démarche est évidemment à porter au crédit de Gorbatchev.) Le renouveau actuel des exportations d’armement suit absolument le renouveau de la puissance russe sous Poutine. On ne peut pas ne pas lui donner une interprétation politique. Les exportations d’armes russes ont donc une double signification, correspondant à la période et reflétant la nouvelle politique russe: d’une part, la réaffirmation de l’influence russe, d’autre part une politique d’opposition à l’hégémonie US (anglo-saxonne).
• Si la France veut régénérer sa politique d’exportation d’armes, elle le fera par les moyens classiques du vendeur, avec le soutien très actif du pouvoir politique. Dans ce cas, le dynamisme de Sarko doit être un grand avantage. Mais la France étant la France et la politique étant ce qu’elle est, ce renouveau se fera dans la concurrence des Anglo-Saxons et acquerra la dimension politique et d’influence s’exprimant par une concurrence politique de l’influence anglo-saxonne. La France retrouve sa position traditionnelle dans ce domaine, du temps de la Guerre froide, lorsqu’elle concurrençait les USA en justifiant ses ventes d’armes par l’argument de l’indépendance et de la souveraineté.
L’évidence guide la plume et il n’est nul besoin d’évoquer des intentions ou des plans quelconques. L’évidence est celle des situations politiques et historiques auxquelles, aujourd’hui, les hommes se soumettent. L’évidence est qu’il y a une convergence politique dans les mouvements russe et français. Elle est nécessairement hostile à l’influence anglo-saxonne. Elle retrouve les grandes cohérences et les grandes nécessités d’alliance ou de proximité politique. Cela n’implique rien au niveau commercial, Français et Russes restant concurrents (mais sur peu de marchés parce que leurs marchés et leurs produits sont différents); cela implique peut-être quelque chose au niveau de la coopération industrielle à dimension politique. Cela implique évidemment une position de suspicion politique commune à l’encontre des Anglo-Saxons. “Sarko l’Américain” devra s’y faire, – et il s’y fera, avec l'aide de Carla Bruni.