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431Les changements de l’Amérique se mesurent aujourd’hui au poids des mots, – notamment dans les enquêtes sur l’opinion publique. Deux sites notamment font grand cas d’un sondage PEW Research Center du 21-27 avril, ThinkProgress le 5 mai 2010 et RAW Story le même 5 mai 2010. Il s’agit de donner la mesure des réactions de l’échantillonnage à l ‘égard de certains mots, évidemment avec un fort poids politique, – des mots qui sont des concepts et dont certains constituent de facto des opinions politiques tranchées.
Voici les résultats, dans le sens décroissant, d’une majorité positive à une majorité négative :
• Les “valeurs de la famille” : 89% de réponses positives, 9% de réponses négatives.
• Les “droits civiques” : 87% de réponses positives, 10% de réponses négatives.
• Les “libertés civiques” : 78% de réponses positives, 14% de réponses négatives.
• Les “droits des Etats” : 77% de réponses positives, 15% de réponses négatives.
• Le “progressisme” : 68% de réponses positives, 23% de réponses négatives.
• Le “capitalisme” : 52% de réponses positives, 37% de réponses négatives.
• Les conceptions (économiques) “libertariennes” : 38% de réponses positives, 37% de réponses négatives.
• Le “socialisme” : 29% de réponses positives, 59% de réponses négatives.
• Les “milices” : 21% de réponses positives, 65% de réponses négatives.
Bien entendu, les deux sites mentionnés, qui sont de tendance libérale (progressiste) mettent en évidence ce facteur sans aucun doute remarquable pour les Américains de leur préférence pour le progressisme, par rapport au capitalisme. RAW Story écrit :
«Americans have a more positive response to the word “progressive” than they do “capitalism,” according to a new Pew research poll. The poll, conducted Apr. 21-26 attempted to gauge Americans' honest responses to various concepts. Strikingly – perhaps due to the recent financial crisis, repeated bank bailouts and ire at Wall Street firms like Goldman Sachs – more Americans have positive views of liberals than they do of capitalists.
»“There is a substantial partisan divide in views of the word ‘progressive,’” Pew researchers note. “However, majorities of Democrats (81%), independents (64%) and Republicans (56%) have a positive reaction to ‘progressive.’”»
(A noter que, dans ce commentaire, “liberals” désigne bien le sens américain, politique, de “progressiste”, et non le sens français, souvent économique, assez proche des pro-capitalistes.)
@PAYANT Cette sorte d’enquête est intéressante parce qu’elle nous restitue des réactions primales, beaucoup plus proches de ce qui s’inscrit dans la psychologie que du jugement réfléchi, ce dernier avec toutes les interférences de l’autocensure et du conformisme que fait peser le système sur les esprits. A cette lumière, les résultats sont extrêmement significatifs.
• Effectivement, le capitalisme a perdu sa valeur de référence absolue pour la psychologie américaine (dans ce cas, nous employons intentionnellement le qualificatif “américaine” et non “américaniste” puisque nous avons posé que l’interférence du système de l’américanisme dans les réponses est minime). Le mot “progressisme” le remplace, ce qui signifie moins une opinion politique idéologique qu’une vision fondamentale de la façon de vivre, avec l’accent mis sur la situation sociale aux dépens de l’accent mise sur un système producteur de profits, jusqu’alors (disons, jusqu’au 15 septembre 2008) perçu comme la référence quasiment absolue, aussi bien du fonctionnement de l’organisation sociale que de la vertu individualiste aux USA. Allant dans le même sens, on doit mettre en évidence l’importance des 29% de réponses positives concernant le mot “socialisme”, qui est aux USA un concept anti-capitaliste extrême, quasiment insurrectionnel (ce qui confirme et même renforce un autre résultat, rapporté ici le 15 avril 2009 et donne à cette appréciation une notion de durée significative); et les 38% de réponses positives pour les conceptions du mouvement libertartien, auquel appartient Ron Paul. Tout cela mélangé conduit à la conclusion d’un phénomène extrêmement important, qui est le recul très important et désormais marqué profondément du concept de capitalisme dans la psychologie US, et cela, désormais, sur le long terme. Il s’agit d’une “dé-légitimation” de ce concept, dans le sens classique, notamment le sens où l’entend Friedman que nous citions hier.
• Le résultat important, presque plus essentiel que celui qui concerne le capitalisme et dans tous les cas complémentaire, est, pour nous, la considérable majorité favorable aux “droits des Etats”, qui se répartit d’une façon assez équilibré entre les trois familles (85% de résultats positifs chez les républicains, 71% chez les démocrates, 78% chez les indépendants). C’est la première position politique significative en importance dans l’enquête, les trois autres concepts placés avant les “droits des Etats” étant des concepts traditionnels de l’organisation sociale US, plutôt théoriques qu’avec une signification politique active. Ce résultat signifie que la notion de souveraineté des Etats est aujourd’hui un fait politique majeur dans la psychologie américaine. Nous nous trouvons tout à fait justifiés d’avancer l’hypothèse que ce surgissement exceptionnel va de pair avec le discrédit accompagnant la notion de capitalisme, qui est naturellement identifiée avec le “centre” washingtonien, qui est massivement intervenu pour sauver Wall Street, symbole même du capitalisme. Le fait que la souveraineté des Etats soit perçue avec tant de faveur alors que l’idée de “milices”, souvent représentée comme une réaction violente contre le “centre”, est perçue avec une complète défaveur montre que, désormais, l’idée de souveraineté des Etats n’est plus perçue comme une révolte illégale et condamnable, mais comme un droit souverain absolument et fondamentalement justifié. La route du mouvement néo-sécessionniste est largement ouverte, et elle s’avère effectivement être une route de plus en plus perçue, comme le mouvement lui-même, comme une option légale sinon légitime, contre un “centre” qui perd très rapidement sa légitimité (voir Friedman à nouveau) et, dans cette logique, et cette fois contre l’espoir de Friedman, qu’il n’a guère de chance de ne jamais retrouver.
Les deux idées conduisent à avancer la conclusion que, dans la psychologie américaniste, l’idée de la souveraineté des Etats de l’Union est complémentaire de la lutte contre un concept (le capitalisme) dont les aspects prédateurs et nihilistes par rapport à l’organisation sociale sont distingués de plus en plus clairement. Il s’agit d’une évolution d’une révolte psychologique contre le système, sans qu’il faille nécessairement évoquer la violence que nous avons l’habitude d’associer au mot “révolte”. Si la dé-légitimation du “centre” se poursuit alors que la légitimité de la souveraineté des Etats s’affirme avec tant de vigueur, le “centre” se trouvera très rapidement trop affaibli pour lutter contre les mouvements centrifuges de dévolution qui ne vont pas manquer de se manifester de plus en plus fortement à l’occasion des crises successives qui ne cessent de frapper le système.
Ajoutons que ce mouvement général est perçu par le système de la communication, ce qui implique qu’il est extrêmement vivace et que le système de la communication est sensible à cette évolution-là des psychologies, qu'il a distinguée. Il est en effet significatif que, dans une telle enquête sur les attitudes fondamentales des Américains, on ait songé à placer une question sur les “droits des Etats”. Cela signifie bien que, même pour la voie politique courante de l’establishment et malgré le black out de la “presse officielle”sur la question, cette question de la dévolution, ou néo-sécessionnisme, est bien un sujet majeur de débat aux USA.
Mis en ligne le 6 mai 2010 à 06H35