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422Les négociations entre l’Union Européenne et le Maroc concernant le renouvellement des accords de pêche qui permettent aux entreprises européennes essentiellement espagnoles, françaises et portugaises d’exploiter industriellement la ressource halieutique au large du Maroc moyennant une compensation financière annuelle en euros ne semblent pas aboutir.
Le feuilleton en plusieurs épisodes a débuté fin 2011 lorsque le Parlement européen, instance consultative et sans pouvoir législatif aucun, a remis en cause la pertinence économique et la légalité sur le plan international de ce partenariat discuté depuis 2005 et entré en vigueur en 2007.
Le cinquième tour du marchandage s’est déroulé à Rabat les 11 et 12 février sans qu’un consensus n’ait été dégagé.
La partie marocaine avance des divergences sur l’appréciation de prix pour la concession qui justifierait cet échec.
L’Européenne dans sa version nordique menée par les pays scandinaves prétend qu’elle a défendu le droit des Sahraouis puisque la question de l’attribution de cette zone longtemps occupée par l’Espagne et revendiquée par un mouvement sécessionniste n’a pas été tranchée.
Il est à remarquer que la somme de la concession annuelle contestée par l’UE, 36 millions d’euros, est dérisoire comparée aux 3 milliards de dollars, prix provisoire de départ qui ne comprend pas les expropriations et la précarisation des familles vivant sur les terres qui seront soustraites à l’agriculture, que va coûter le TGV Casablanca Tanger qui seront empruntés au profit de l’industrie bancaire et ferroviaire française par exemple.
Elle semble importer cependant pour les gouvernements espagnols et français qui doivent assurer un certain niveau d’activité pour leurs industries de pêche, les ports et les chantiers navals attenants.
La location des eaux territoriales marocaines cédées à une exploitation étrangère conduit à une dévastation économique sans doute irréversible d’un capital halieutique national, elle concentre par ailleurs un nœud de questions où s’entrecroisent des contradictions multiples.
D’un côté, l’Union Européenne y est écartelée entre ses pôles sud et nord qui n’y ont pas le même profit, pas les mêmes intérêts, elle invoque les prétentions du droit international jamais respecté quand les avantages occidentaux en seraient endommagés. De l’autre, un pays du Sud, protégé jusqu’à un certain point par des parrains du bloc occidental, se trouve en position de contestation de certaines positions de ce même bloc.
Parmi les éléments de la mosaïque européenne ligotée par l’accumulation de décisions économiques prises par des commissions où la représentation ‘nationale’ tient compte du poids économique de chacun, il se trouvera toujours un État membre qui s’estimera lésé par la répartition de ses contributions. Le gouvernement concerné le fera savoir aux électeurs en temps voulu comme preuve de sa bonne foi et accessoirement de son impuissance consentie.
Le promoteur du rejet de la prolongation de l’accord, l’eurodéputé libéral finlandais Carl Haglund, a argué du faible rapport coût – bénéfice pour l’UE (1 euro pour 83 centimes selon le rapport d’Oceanic Developpement). Mais il avance aussi l’appauvrissement de la ressource par capture excessive des espèces démersales, l’inefficacité des ressources allouées à renforcer la pêche locale et d’aide à la population du Sahara occidental.
Or sur les 119 permis de pêche accordés aux armateurs européens, une centaine a été octroyée aux navires espagnols, lesquels ont bénéficié de privilèges exorbitants comme la pêche à la lumière interdite aux navires marocains. Les captures espagnoles étaient débarquées dans les ports espagnols contrairement à l’accord qui prévoyait qu’elles auraient dû l’être dans les ports marocains. Il est normal que l’Espagne contributeur bien plus important que la Norvège, la Finlande et le Danemark au budget de l’UE fasse mauvaise figure et tente de relancer la procédure. Le gouvernement espagnol s’est empressé de demander en compensation le manque à gagner pour ses pêcheurs qu’il a estimé à plus de 30 millions d’euros, là nous sommes très près du montant jusque là alloué au Maroc et désormais jugé surestimé.
Le gouvernement marocain dans cette circonstance a exposé ses ressources halieutiques au pillage pur et simple car il est dépourvu des moyens de contrôle pour faire respecter les clauses qui restreignent et encadrent les autorisations de pêche.
Une compensation à l’épuisement de cette ressource a été prévue à l’ordre du jour de la convention. Sur les 36 millions d’euros, près du tiers aurait dû être consacré à promouvoir le secteur de la pêche durable nationale de ses eaux. D’après le rapport d’Europaportalen, seulement 15% de cette somme a servi à développer la pêche marocaine.
Les 85% de différence ont disparu dans des poches insondables pour une comptabilité à peu près normalisée.
Une liste des principaux bénéficiaires marocains de licence de pêche est connue depuis sa publication par un journal marocain Akhbar Al Youm. Les deux premiers et les plus importants sont d’abord le Lieutenant Général Abdelaziz Bennani, actuel Commandant de la zone Sud, les généraux Hosni Benslimane et Kadiri ne semblent pas être de reste dans la distribution de la manne. L’ancien ambassadeur étasunien au Maroc, Thomas Riley faisait état de l’usage immodéré du Général Bennani de sa position pour accroître sa fortune personnelle, comme le révèle le contenu du câble Wikileaks 727 08. Ces licences accordées à des Marocains seraient aussitôt concédées à des exploitants étrangers.
Les pêcheurs traditionnels sont désormais condamnés à des prises dérisoires (revenu de 100dh/jour soit moins de 10 euros par sortie) et adoptent des métiers complémentaires.
Cet apport très appréciable en protéines est devenu rare et coûteux, l’autosuffisance alimentaire de cette partie de l’Afrique est compromise.
Une autre réalité pointe sous les revendications de la confédération de la pêche côtière marocaine qui s’oppose à toute reconduction de ce protocole qui a généré une surexploitation des pêcheries et une baisse constante des ressources halieutiques.
Le tonnage débarqué au cours de l’année 2011 a connu un repli de 24%.
Actuellement, les cinq dernières années ont été marquées par une baisse constante des captures. Continuées à ce rythme, dans moins de dix ans, elles deviendront nulles.
Au total, le Parlement européen par sa décision du 14 décembre 2011 n’a fait qu’acter le constat de la baisse de la rentabilité du protocole à 36 millions d’euros. Nous n’achetons plus puisqu’il est avéré qu’il y a de moins en moins à prendre.
Il froisse les intérêts personnels de quelques puissants notables marocains tout en offrant la parade droidelomiste d’une défense du droit des Sahraouis à s’autodéterminer et s’autogouverner.
Parce que litige il y a sur les limites territoriales du Maroc.
Mais avant d’aller plus avant dans ce prochain nœud, il faut signaler que pour une pêche perdue, la nasse n’est pas percée pour autant pour l’Europe, ici la France dans ces eaux territoriales. Total réalise depuis un an, le contrat vient d’être renouvelé en janvier 2013, des études basées sur des techniques sismiques à la recherche de poches d’hydrocarbures dans la zone. La multinationale Total exécute l’exploration des fonds marins avec le concours de la compagnie nationale chinoise CNPC.
Lors de la proclamation de l’indépendance du Maroc en mars et avril 1956 la partie sous domination de l’Espagne dans le Sud depuis 1884 a été omise.
La notion de souveraineté et de territoire national ici n’a pas l’acception telle que déterminée par l’occident qui a fini par la forger au travers des multiples guerres intra-européennes achevées en 1945. Les zones lointaines du pouvoir central s’auto-administraient mais prêtaient allégeance au sultan du Maroc, payaient tribut et participaient à la défense de la nation. L’autorité du sultan n’était parfois matérialisée que par un ou deux représentants comme dans le Rif dont les tribus avaient eu la charge pendant des siècles de la protection contre les ambitions espagnoles et portugaises. Elles étaient dispensées pour cette raison de payer l’impôt.
La monarchie ibérique a pris pied sur les côtes du Sahara occidental, préoccupée de conserver des comptoirs face aux îles Canaries en sa possession depuis 1479, étape importante pour les routes maritimes vers l’Amérique, l’Afrique australe et l’Asie.
Il avait fallu la remontée de l’armée française en Mauritanie après la conquête de l’Algérie et de la Tunisie pour que s’organise une véritable résistance à l’occupation de la zone intérieure. L’histoire de la résistance de cette partie du Sahara ne diffère pas de celles des autres régions du Maroc, qui ont dû s’organiser au nom d’une guerre sainte contre le colon indépendamment d’un pouvoir central failli. (*) La résistance du Sahara ne s’éteindra qu’en 1934 quand les Français s’emparent de Tindouf et que les Espagnols occupent Smara et Ifni avec l’appui d’auxiliaires recrutés parmi les nomades.
Le Maroc conduit cependant une guerre en octobre 1957 pour libérer l’enclave d’Ifni et Rio de Oro, tentative vite terminée par la destruction de l’armée de libération du sud sous l’action conjuguée de la France et de l’Espagne en février 1958. Cet épisode mal documenté encore a permis l’élimination d’une Armée de Libération patriote, séquelle indésirable d’un mouvement de résistance indépendant du pouvoir central installé par la France avant son départ symbolique.
La question du Sahara occidental était régulièrement posée devant l’ONU par le Maroc depuis 1963. La France s’abstenait, les USA, le RU et l’Espagne votaient contre régulièrement.
Hassan affrontait une situation intérieure périlleuse même s’il emprisonnait et faisait disparaître toute opposition organisée ou suspectée. La fin du franquisme lui a offert l’idée de créer un show télévisuel, sans doute la première entreprise de spectacle politique d’une dimension inouïe qui a concerné des millions de figurants. Le peuple marocain était invité à participer à une grande marche. Sur des milliers de kilomètres, les Marocains ont rejoint leur Sud.
Le mouvement autonomiste sahraoui, né essentiellement parmi des étudiants de gauche à Rabat dans les années dites de plomb du début des années soixante-dix. Il a trouvé une aide diplomatique, financière et militaire auprès de l’Algérie et de la Libye.
La persistance de ce conflit coûte très cher à l’État marocain qui y écoule la plus grande part de ses efforts militaires depuis maintenant trente ans.
Quand des tentatives de négociations sont entamées, elles se font entre les gouvernements algérien et marocain, comme s’il s’agissait d’un territoire disputé entre eux. Il est l’une des raisons majeures qui empêchent la réalisation d’un Maghreb uni, avec libre circulation des hommes et des biens. Un dosage savant des appuis des puissances tutélaires enkyste le problème. Le dernier voyage de Hollande donne à la France la prospection et l’exploitation des gaz de schiste, cette bulle qui absorbera et fera fondre les réserves de devises de l’État algérien. Les banques françaises drainent les économies des Marocains, elles y font des profits qu’elles ne réalisent pas en métropole. Il va sans dire, la dette de l’État marocain s’aggrave, l’armement est franco-américain. Une nouvelle ère de l’emprisonnement politique est ouverte au Maroc, comme une nouvelle saison de chasse
Avec la pêche au thon et à la sardine s’exhibe le processus des relations entre dominés et dominants, chacun adoptant une position alternative de corrompu - corrupteur.
Il reste ceux que l’on spolie.
Le peuple marocain est assujetti au paiement des intérêts d’une dette odieuse pour une guerre qui ne dit pas son nom et l’achat d’équipements inutiles.
Le peuple du Sahara qui en dehors de ses élites tournées vers l’Algérie ou ralliées au pouvoir marocain est séquestré dans des camps de réfugiés à Tindouf avec des ressources amoindries par l’assèchement de l’aide internationale ou exposé à la précarité du chômage.
Que peuvent faire des hommes autrefois libres sédentarisés dépendant d’un travail salarié inexistant ?
Fin 2010, des Sahraouis avaient organisé un campement de protestation à Gdim Izik près de Laayoune, l’une des villes administrées par Rabat. Trois mille tentes abritaient 15 000 personnes. Son démantèlement par la gendarmerie a donné lieu à un affrontement qui aurait fait onze morts et plusieurs blessés parmi les forces de l’ordre et deux tués et quelques blessés parmi les protestataires.
Le 25 février 2013, les 25 prisonniers Sahraouis détenus à l’occasion de cette Intifada pour des droits sociaux ont été jugés par un tribunal d’exception militaire. 9 ont été condamnés à la perpétuité, 4 à trente ans, sept à 25 ans, trois à 20ans et les deux derniers à deux ans.
Une deuxième version de l’emprisonnement politique est ouverte au Maroc depuis quelques années.
La résorption des tensions est tentée au travers de festivals de world musique sans doute mis en scène par une succursale de Richard Attias ou assimilée. Ces spectacles où des cachets faramineux sont payés à des Elton John drainent des foules qui ne rêvent plus patrie mais comment s’en extraire en gagnant la mer par pateras.
Frontex veille aux grain, et les candidats à l’émigration nourrissent les poissons, eux-mêmes menacés de disparition.
Badia Benjelloun
(*) Dès 1895 un chef religieux Maa Al Aïnine lance un appel à la guerre et demande l’aide militaire et financière au sultan du Maroc. En 1908, il va à la rencontre du sultan Moulay AbdelHafid, lui prête allégeance et obtient son concours à la défense du territoire du Sud. L’un des fils de ce chef à la fois religieux et militaire, Ahmed al Hiba se proclame mahdi et sultan de Tiznit en 1912, refusant le principe de la reddition. Il se fait acclamer à Marrakech.