Le “political and moral compass” de TGA

Bloc-Notes

   Forum

Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 824

Timothy Garton-Ash (TGA) est un de ces intellectuels occidentaux, européens, britanniques, libéraux, presque de gauche et transatlantiques, dont les chroniques, les observations, les conférences et l’enseignement nous sont sans prix. De la Colonne Nelson à Harvard, de Davos à Saint-Germain des Prés, de Berlin à la Colonne Nelson, TGA est un homme de notre civilisation et un homme qui parle à notre civilisation. Entre deux publications, il parle aux autres civilisations. C’est une voix universaliste, britannique et “special relationships” parce qu’on ne peut pas faire autrement.

Cette fois, il parle à l’Europe, plus spécialement aux Allemands qui président l’UE, parce qu’il l’a mauvaise, TGA. Simplement parce qu’il est Britannique, comme vous et moi, et que, vous savez, “Right or Wrong…”. Il faut dire qu’aujourd’hui l’Angleterre se sent un peu seulette, et Tony Blair (TB) également, et que, comme l’écrit plaintivement Melanie Phillips «in yesterday's Daily Mail», selon TGA, «Admiral Lord Nelson must be revolving in his grave».

TGA nous donne une chronique, aujourd’hui même, où il se plaint plaintivement que l’Europe ne montre pas un peu plus de solidarité devant le malheur que rencontre l’Angleterre, accablée par le comportement barbare des Iraniens qui se sont saisis de 15 marins britanniques comme l’on sait, — non, «those 14 European men and one European woman».

Suit une plaidoirie avisée et un peu amère, qui nous ôte bien des arguments de la plume…

«Many continental Europeans, if they have registered that there is a crisis at all — and many will not have, since Europe's media are still mainly national in form and priorities — will probably think of it as yet another consequence of a foolish, illegitimate Anglo-American military action in Iraq. They will see it as a problem for “them” (Brits and Americans) rather than for “us” (right- thinking, peace-loving Europeans). Some may suspect the British sailors and marines did in fact stray into Iranian territorial waters, as the Iranians claim. A few may even privately mutter: “Well, you had it coming to you.”

»Those who follow these things more closely may wonder if the Revolutionary Guards were not making an indirect tit-for-tat response to American seizures of Iranians in Iraq, perhaps even hoping for a hostage swap. Or perhaps just an angry reaction to the latest UN security council resolution about Iran's nuclear programme — which was actually passed a day after the kidnapping, but its contents were well-known beforehand. That resolution extends targeted sanctions to companies controlled by the Revolutionary Guards and to individuals including the commander of the Revolutionary Guards navy. But I would bet my bottom euro that none of these continental Europeans' synapses will have fired spontaneously with this thought: ''Our fellow-Europeans have been kidnapped, so what can we, as Europe, do in response?”

»Even if you regard the Anglo-American presence in Iraq as foolish and illegitimate, and the American seizure of Iranians in Iraq as an escalation of this illegitimate folly, that would not for a moment excuse the Iranian action. The British forces were operating as part of a multinational force under an explicit UN mandate, to protect oil installations and prevent the smuggling of guns into Iraq — guns with which more Iraqis would otherwise be killed. According to the sophisticated GPS instruments which the British service personnel had with them, they were more than three kilometres inside Iraqi territorial waters when they went to search a suspect vessel.

»Reflecting the confusion inside the Iranian state, the first coordinates for the allegedly transgressing British boats given to the British by the Iranian government turned out to be within Iraqi territorial waters too. Not until three days later did the Iranians come up with a second “corrected” set of coordinates which conveniently put the British forces on the wrong side of the line. Only someone whose political and moral compass is totally disorientated by hostility to American and British policy could dare to suggest that this act of shameless, lying, cross-border piracy is justified or excusable.»

C’est vrai, TGA, qu’il faut avoir paumé son “political and moral compass” pour s’en foutre comme l’Europe s’en fout aujourd’hui, laissant Tony Blair désorienté avant son départ du pouvoir et Gordon Brown inquiet avant de reprendre le flambeau et de poursuivre la grande équipée anglo-saxonne. C’est vrai que c’est faire la partie belle aux dingues de Téhéran. Sérieusement, il n’y a pas de quoi être fier si l’on est Européen, de ne pas se précipiter au secours de ces braves 15 Européens illégalement détenus et ainsi de suite. D’ailleurs, tout le monde s’en fout, comme on s’en fout lorsque TB prend toutes ses précautions pour ne pas affoler notre “political and moral compass” par les décomptes hystériquement excessifs et qu’on sait pourtant rationnellement justifiés des tueries anglo-saxonnes en Irak.

Il est vrai que les Allemands, pas trop engagés et qui font du commerce avec les Iraniens, pourraient donner un coup de main, eux qui président l’UE et fêtent son demi-siècle. TB, par l’intermédiaire de TGA, obtiendra bien un petit paragraphe dans le communiqué de la prochaine réunion des ministres des affaires étrangères de l’Europe à 27 et solidaire. TGA demande en effet des pressions économiques des amis européens sur les Iraniens sinon la vengeance de TB sera terrible : «I gather that if such private pressure is not forthcoming, Britain might be tempted to raise the suggestion more formally at a meeting of European foreign ministers in Bremen this weekend.» (Preuve qu’au moins notre ami chroniqueur a pris des leçons des Iraniens en matière de pressions et de chantage.)

Personne ne doute plus des sentiments européens des chroniqueurs chic britanniques. Personne ne doute du “moral compass” de TB en Irak et en Afghanistan. Personne ne doute de rien. Tout le monde a autre chose à faire. Chacun a ses occupations. L’Angleterre, c’est le “political and moral compass”, l’Europe c’est de s’en foutre dans ce cas, du “political and moral compass”. TB nous a habitués à cette sorte de gymnastique, avec son “political and moral compass” aussi souple qu’une montre-gousset peinte par Dali. Désolé, TGA, “even if you regard the Europe apathy in the British sailor’s case as foolish and illegitimate”, c’est l’Europe telle qu’elle est dans le monde tel qu’il est. Les Anglo-Saxons se sont employés à lui donner la forme triomphante qu’on lui voit aujourd’hui, avec les sentiments et les solidarités qui vont avec.

TGA a-t-il essayé du côté de la solidarité anglo-saxonne ? Un article dans le Washington Post, que ne lit pas directement GW mais qu’on lui traduit en général ?


Mis en ligne le 29 mars 2007 à 05H30