Le poste de “tsar des guerres perdues” n’intéresse personne

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Le poste de “tsar des guerres perdues” n’intéresse personne


12 avril 2007 — Un article du Washington Post du 11 avril 2007 détaille l’initiative de l’administration de créer un poste de “tsar” des guerres en cours (Irak, Afghanistan), avec l’autorité de conduire les guerres d’Afghanistan et d’Irak, autorité exercée sur le département de la défense, le département d’Etat et les diverses agences impliquées.

Voici les détails que donne l’article :

«The White House has not publicly disclosed its interest in creating the position, hoping to find someone President Bush can anoint and announce for the post all at once. Officials said they are still considering options for how to reorganize the White House's management of the two conflicts. If they cannot find a person suited for the sort of specially empowered office they envision, they said, they may have to retain the current structure.

»The administration's interest in the idea stems from long-standing concern over the coordination of civilian and military efforts in Iraq and Afghanistan by different parts of the U.S. government. The Defense and State departments have long struggled over their roles and responsibilities in Iraq, with the White House often forced to referee.

»The highest-ranking White House official responsible exclusively for the wars is deputy national security adviser Meghan O'Sullivan, who reports to national security adviser Stephen J. Hadley and does not have power to issue orders to agencies. O'Sullivan plans to step down soon, giving the White House the opportunity to rethink how it organizes the war effort.

»Unlike O'Sullivan, the new czar would report directly to Bush and to Hadley and would have the title of assistant to the president, just as Hadley and the other highest-ranking White House officials have, the sources said. The new czar would also have “tasking authority,” or the power to issue directions, over other agencies, they said.»

Le principal intérêt de l’article est de nous signaler que trois généraux à la retraite ont été contactés pour occuper ce poste et que tous trois ont refusé.

• Le général (USAF) Ralston, ancien président du comité des chefs d’état-major jusqu’en 2005. C’est lui qui assura l’essentiel du travail des militaires aux côtés de Rumsfeld depuis 9/11. Ralston fut considéré comme un général opportuniste, qui s’alignait sans état d’âme sur la politique officielle.

• Le général Jack Keane (US Army), qui avait proposé en décembre un plan d’où fut inspiré le “surge” (la soi-disant “nouvelle stratégie”) annoncé par Bush le 10 janvier. Keane avait ensuite estimé que le volume des forces envoyées en Irak était insuffisant. Il est proche des néo-conservateurs.

• Le général John J. ''Jack'' Sheehan (Marine Corps), qui fut commandant en chef des forces de l’OTAN (SHAPE) a la réputation d’un “réformiste”. Il s’est en général affirmé comme hostile à la guerre en Irak.

La recherche pour ce nouveau poste a commencé en janvier. Il semble que les trois généraux aient été contactés chronologiquement dans l’ordre où nous les avons présentés. Ils ont tous trois refusé. Ralston n’a pas fait de commentaire, Keane a confirmé son refus. C’est Sheehan, qui a confirmé son refus le 27 mars dans une note au directeur du NSC Headley, qui a été le plus volubile.

«“The very fundamental issue is, they don't know where the hell they're going,” said retired Marine Gen. John J. ‘Jack’ Sheehan, a former top NATO commander who was among those rejecting the job. Sheehan said he believes that Vice President Cheney and his hawkish allies remain more powerful within the administration than pragmatists looking for a way out of Iraq. “So rather than go over there, develop an ulcer and eventually leave, I said, ‘No, thanks,’” he said.

(…)

»In an interview yesterday, Sheehan said that Hadley contacted him and they discussed the job for two weeks but that he was dubious from the start. “I've never agreed on the basis of the war, and I'm still skeptical,” Sheehan said. “Not only did we not plan properly for the war, we grossly underestimated the effect of sanctions and Saddam Hussein on the Iraqi people.”

»In the course of the discussions, Sheehan said, he called around to get a better feel for the administration landscape. “There's the residue of the Cheney view — ‘We're going to win, al-Qaeda's there’ — that justifies anything we did,” he said. “And then there's the pragmatist view — how the hell do we get out of Dodge and survive? Unfortunately, the people with the former view are still in the positions of most influence.” Sheehan said he wrote a note March 27 declining interest.»

Plutôt qu'une voie catastrophique nouvelle, on continue dans la voie catastrophique actuelle

C’est encore un des signes de la situation extraordinaire qui règne à Washington, que cette réunion de trois généraux de tendances “politiques” très différentes dans un refus d’une mission qui devrait évidemment être considérée comme un impératif de sécurité nationale. Jusqu’à la période washingtonienne actuelle, évidemment commencée avec 9/11, la définition de la fameuse bipartisan issue (“bipartisane” puisqu’en principe concernant les deux partis du système) avait une allure évidemment impérative. Elle concerne des questions jugées vitales pour le système, devant lesquelles les intérêts politiciens doivent s’effacer. On oublie les différences et les différends pour se retrouver sur un jugement commun. C’est une sorte d’équivalent de l’“unité nationale” française.

Ici, la chose est renversée. La bipartisan issue (ou tripartisan issue, puisque nos généraux sont trois?) se fait sur un jugement commun, certes, mais c’est le refus d’une mission essentielle pour la sécurité nationale du pays, selon les conceptions de l’administration. L’unanimité se fait, pour des raisons différentes sans doute, sur le refus de répondre à une sollicitation essentielle du système. Cela implique un doute général, tant sur la demande elle-même, — le poste à créer, — que sur la mission de gestion et de direction des deux guerres. L’importance du refus est à la mesure de l’importance de ces deux éléments : une fonction qui place celui qui l’accepte comme conseiller direct du président et lui donne la haute main sur la stratégie fondamentale de la nation.

La remarque à laquelle on est aussitôt conduit est celle-ci : l’administration qui dirige le pays dispose-t-elle encore de la moindre légitimité? Poser la question, certes, c’est y répondre. Il s’agit d’un fait extraordinaire que trois anciens officiers de cette importance, d’une place aussi élevée dans la hiérarchie, refusent une mission de cette importance. On peut dire qu’il n’y a plus aujourd’hui de direction politique aux USA qui soit considérée comme telle, c’est-à-dire comme “digne” d’être obéie, par les personnalités les plus éminentes du système. Il n’y a plus refus d’obéissance ou mise en cause de l’autorité, il y a ignorance de ou mépris pour cette autorité. (Et dans des termes peu amènes, proches d’être insultants. Les explications de Sheehan, son “plutôt que d’aller là-bas, de faire un ulcère et de repartir, je préfère dire ‘Non merci’” en disent long sur l’état d’esprit.)

Cet état d’esprit est une chose remarquable. Il indique une sorte de phénomène de dissolution des solidarités fondamentales du système. L’absence de légitimité de l’administration, par la façon dont ceux qui la ressentent le signalent autant que par les circonstances de leur refus, est la marque de la crise du système autant que de celle de l’administration. C’est le principe de l’autorité qui est en train d’être érodé.

Quant à l’initiative elle-même, — la recherche d’un “tsar des guerres perdues”, — elle montre dans quel état lamentable se trouve l’actuelle stratégie, avec notamment des conflits et des impasses bureaucratiques sans nombre entre les différents centres du pouvoir. Bien entendu, la création d’un tel poste n’aurait aucune chance de changer quoi que ce soit, ajoutant un pouvoir supplémentaire aux pouvoirs existants, avec des conflits et des concurrences supplémentaires. (Quel serait par exemple l’effet de la nomination d’un tel “tsar” sur le directeur de tous les services de renseignement récemment nommé pour coordonner ces services, et qui se plaint d’ores et déjà de n’avoir pas assez de pouvoirs?) L’alternative à l’échec essuyé auprès des trois généraux, — une voie catastrophique nouvelle, — est de continuer dans la voie catastrophique actuelle. Il semble que personne, à Washington, ne veuille se saisir de la patate chaude.