Le président Calderon deviendra-t-il un nouveau Karzaï ?

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Puisque nous sommes en démocratie, il faut bien que le peuple joue son rôle. C’est ce qu’indique en substance le président mexicain Calderon, dans un appel télévisé et solennel à une mobilisation générale du peuple contre la puissance et l’impunité des cartels de la drogue qui menacent de transformer Calderon en une autorité accessoire et sans grand effet sur la vie mexicaine. (Cela, accompagné d’un long article publié dans la presse.) Bien entendu, cette adresse télévisée, qui marque une aggravation de plus de la situation dans ce “narco-pays” comme l’on dit, est, si l’on veut, l’autre face, extérieure celle-là, de l’affaire de l’Arizona, et singulièrement paradoxale en regard des développements du jour. L’Arizona est mis en accusation pour sa loi contre l’immigration clandestine tandis que le président mexicain nous confie que le pays sombre dans une anarchie qui nourrit évidemment cette immigration clandestine. En supplément, le président mexicain précise que les USA sont en bonne partie responsable de cette situation à cause (entre autres) de leur législation très libérale sur les armes à feu.

Du Washington Times du 16 juin 2010...

«In the face of an increasingly bloody and desperate battle with illegal-drug traffickers, Mexican President Felipe Calderon has launched a full-scale defense of his government's policies and called on his countrymen to step up their own efforts to defeat the powerful cartels.

»In a lengthy essay and a nationally televised address this week, Mr. Calderon called for a full-scale assault on the cartels, denying that his administration's own tough policies had provoked the violence to unprecedented levels. “This is a battle that is worth fighting because our future is at stake,” he said in the 10-minute national address. “It's a battle that, with all Mexicans united, we will win.”

»He said the problem had grown worse when drug cartels focused on supplying the U.S. market began seeking to dominate markets inside Mexico and when, in 2004, the U.S. government eased restrictions on assault-weapons sales. “Since then, it has become very easy for the criminal groups to acquire very powerful arms in the United States and to bring them to Mexico for criminal purposes,” Mr. Calderon said.

«The speech and the essay came at the height of one of the bloodiest periods since Mr. Calderon took office in 2006, amid growing public skepticism of the government's policies.

»Five police officers were abducted and killed in the Apodaca district of Monterrey in northern Mexico on Wednesday. Fifteen suspected drug gang members were killed in a shootout just hours before the president's address, while 10 police officers were killed in an ambush by gunmen on Monday. With at least 160 deaths altogether in only six days, June is quickly becoming the deadliest month of Mr. Calderon's presidency. Nearly 23,000 people have died in the drug war so far, the product of warring cartels and retaliation against an administration that is bearing down hard on the traffickers.»

• Avis de Robert Bonner, ancien dirigeant de l’agence de protection des frontières et actuel administrateur de la DEA (Drug Enforcement Administration)… «“We need to get away from the blame game. We need to recognize that there is shared responsibility.” Mr. Bonner noted that, though U.S. gun sales contribute to the level of violence, Mexico as a population is already much more heavily armed than the United States. “The problem lies somewhere else,” he said. “That somewhere else is corruption in the government of Mexico that allows this violence to go on unabated.”»

Notre commentaire

@PAYANT La situation mexicaine ne cesse de s’aggraver. C’est une litote, ou une rengaine, mais elle finit par avoir des effets impressionnants… Et elle nourrirait, pour un peu, des hypothèses intéressantes.

Le président Calderon, élu en 2006 lors d’une campagne agitée et fortement contestée qui faillit conduire à une explosion intérieure, était le candidat favori de l’establishment américaniste et des milieux hyper-libéraux du bloc américaniste-occidentaliste. Il présentait toutes les garanties d’honorabilité aux yeux des références du système et l’on attendait qu’il mît bon ordre dans le pays, notamment avec une politique économique conforme au modèle hyper-libéral dont la réussite nous est chaque jour démontrée par les événements financiers et économiques. Aujourd’hui, Calderon est dans une situation classiquement désespéré, puisqu'il a effectivement appliqué son programme.

Calderon est sur le point de mettre totalement en accusation les USA pour avoir favorisé le développement des cartels avec les ventes d’armes, en plus d’être le foyer évident de leur développement puisqu’ils sont des consommateurs considérables de drogue, et les consommateurs quasi-exclusifs de la drogue des cartels. A cela, les USA répondent que le gouvernement mexicain est corrompu, – ce qui est le cas, puisque Calderon se trouve à la tête d’un Etat complètement pénétré par les cartels et leur puissance financière évidemment corruptrice. Les spécialistes US qui dénoncent cette corruption ne s’intéressent guère à la démarche consistant à remonter à la cause première des choses, qui est dans ce cas le formidable apport d’argent US vers les cartels puisque les USA sont quasiment leur seul marché de consommation de la drogue. (On observera que ces rapports, et ces différentes accusations entre les deux “amis” rappellent étrangement les échanges entre les USA et Karzaï, en Afghanistan. Poursuivons…)

L’on n’en est même plus vraiment là, à la mesure de la pénétration de la corruption. Aujourd’hui, Calderon est une sorte de poupée installée à la tête d’un “narco-Etat”, privé de quasiment tous les pouvoirs régaliens, ou simplement administratifs, d’un Etat. On ne lui obéit plus, simplement parce qu’il n’est plus l’autorité effective, qu’il a été remplacé par les cartels. La question qui pourrait se poser serait alors de savoir si Calderon va poursuivre sa politique défensive, notamment avec ses appels au peuple qui ont toutes les chances de rester sans écho parce que les cartels sont effectivement entrés dans la vie quotidienne des Mexicains, ou s’il va suivre, par exemple, le chemin d’un Karzaï ; ou, encore, si les cartels vont finalement décider de s’offrir leur propre président, par exemple lors des prochaines élections, en 2011. Il n’est en effet plus impossible que le Mexique devienne une sorte d’Afghanistan, avec un président assurant la coordination de l’activité du trafic de drogue, et l’économie du pays construite effectivement et essentiellement sur ce trafic de drogue.

Les USA ne peuvent concevoir une telle évolution parce qu’ils sont enfermés dans leur totale impuissance prévisionniste, avec la psychologie encombrée des impératifs américanistes conduisant leur réflexion (la vertu US, donc l’irresponsabilité US dans le chaos mexicain, l’illusion de leur puissance, donc l’impossibilité d’imaginer qu’un Calderon devienne un autre Karzaï, ou soit remplacé par une sorte de néo-Karzaï). Mais la perspective a pour elle la puissance de la logique des choses.


Mis en ligne le 18 juin 2010 à 09H31