Le président post-crise

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Le président post-crise


20 mai 2008 — Il mérite de rester comme le chroniqueur opiniâtre de ce temps, même si ses discours ne sont pas de lui. Il n’y a que lui pour pouvoir dire ce qu’il dit avec tant d’opiniâtre conviction. Après son discours tonitruant sur Hitler, il y a celui de Charm El Cheikh, le 18 mai, au World Economic Forum.

The Scotsman, dans ses éditions du 19 mai, avait choisi ce titre qui attira notre attention: «Bush to Arab nations: You're running out of oil.»

Le titre suggère l’idée qui nous arrête aujourd’hui: la crise du pétrole ce n’est plus une vague perspective mais un événement déjà perceptible, – et les producteurs de pétrole vont la sentir passer. Extraits du texte du Scotsman:

«In a stark warning, he said their supplies were running out and urged them to reform and diversify their economies. The outgoing United States president told the World Economic Forum, meeting in the Egyptian resort of Sharm el-Sheikh, that it was time to “prepare for the economic changes ahead”.

»Mr Bush's family name is inextricably linked to the oil industry, and this was his strongest statement yet on the future of global supplies.

»He told the conference: “The rising price of oil has brought great wealth to some in this region, but the supply of oil is limited, and nations like mine are aggressively developing alternatives to oil.

»“Over time, as the world becomes less dependent on oil, nations in the Middle East will have to build more diverse and more dynamic economies.”

»Mr Bush also used his speech to call for more investment in people and “extending the reach of freedom”, as well as urging other nations to prevent Iran from obtaining nuclear weapons, and to isolate Syria.»

Certes, le texte n’en reste pas là. Il enchaîne sur des appréciations critiques, voire très critiques, de l’intervention de GW. La popularité du président US en fin de mandat, qui vient une fois de plus faire sur un ton angélique et jubilatoire la leçon devant un concert de nations ébahies, est effectivement très basse. L’agacement est général.

«Analysts warned last night that few in the Middle East, which has two-thirds of the world's oil reserves, are likely to heed Mr Bush. Many have already started diversifying their economies and do not like being preached to by someone so unpopular in the region.

»Gerald Butt, editor of the authoritative Middle East Economic Survey, said: “The Gulf states have been trying to diversify their economies away from oil for years, so they'll say, ‘This is like teaching your grandmother to suck eggs’.

»“Arab states don't like being told what to do by outsiders, and especially by America, whose standing in the region is very low. Bush's comments will be dismissed as unwarranted interference.”

(…)

»Walid Khadduri, a Beirut-based consultant, pointed out that the Gulf states had already been investing windfall profits from high oil prices in major infrastructure projects, including education and housing, and in diversifying their industrial bases.

»He said: “Bush's credibility is zero anyway. I really don't know anyone who follows what he says, especially after what has happened in Iraq and then his Knesset speech the other day.”»

Bien entendu, ce n’est pas ce débat sur la démocratisation qui nous intéresse, ni même celui, plus étonnant de la part de l’Américain, de l’adaptation au monde post-pétrolier. C’est la tournure d’esprit qui nous intéresse, – la psychologie, que nos lecteurs nous pardonnent d’en revenir à notre dada; celle qui conduit ce président époustouflant, roi du gaspillage et de la consommation de pétrole, roi d’un pays hyper-consommateur et hyper-pollueur, qui nous annonce qu’il faudrait que les autres (les producteurs) se préparassent à la crise, comme les USA le font déjà et évidemment mieux que tout le monde, et que ces pays s’y préparassent également en se démocratisant, comme les USA le sont depuis l’origine. L’état de l’esprit ne change pas, il s’aggrave même. Le résultat est surprenant, – même prêts à toutes les surprises, nous ne sommes pas au bout de nos surprises.

Le magicien de Disneyland

GW est un magicien sans pareil. Il est certes médiocre, d’une qualité largement au-dessous de la moyenne, une caricature de président plus qu’un président. Sa psychologie n’en renvoie pas moins à des constantes de la psychlogie si particulière de l’américanisme, et à la perception américaniste du monde qui va avec. L’homme (GW) étant ce qu’il est, l’excerbation de la caricature nous permet de mieux distinguer l’essence de sa psychologie, par conséquent de mieux retrouver les grands traits de la psychologie américaniste et d’identifier leurs effets sur la perception du monde, – ici, en l’occurrence, de la crise de l’énergie. L’avenir général est mobilisée à l’avantage des USA, et il n’y a plus d’avenir s’il n’est américanisée.

Ce qui nous paraît remarquable et stupéfiant dans son intervention, c’est d’une part le retournement des urgences, d’autre part la résolution des urgences.

• Le retournement des urgences. La crise est là, dit-il aux producteurs, et c’est vous qui en pâtirez, – plus de pétrole bientôt, plus de ce fameux dollar à la santé si florissante. Drôle d’argument, objecterait l’esprit critique. Se sont-ils avisés, le GW et ses speech writers, qu’entretemps, la crise qui va mettre kaput les producteurs aura évidemment frappé de plein fouet les USA qui consomme et pollue plus que tout le monde, la civilisation occidentale, le système, etc., toutes ces choses qui fonctionnent au pétrole?

• Résolution des urgences… Mais bien sûr qu’ils s’en sont avisés, car, d’ici là, les USA (et ceux qui ont suivi leurs judicieux conseils) se seront débarrassés avec maestria de leur dépendance. No more oil-addicted… C’est là la trouvaille de la semaine. Les USA proclament désormais que, non seulement ils ont conscience de la crise, du caractère malin de leur consommation et du danger de la dépendance de cette chose désormais en déclin, mais qu’en plus ils viennent de s’apercevoir qu’ils ont résolu tout cela en se reconvertissant vite fait aux carburants alternatifs, en mettant leur excellence technologique en piste, etc. Le président GW et ses speech writers se sont emparés des déclarations “agressivement” prometteuses de Guy Caruso, directeur de l’IEA, et ont annoncé que la cure de désintoxication était en marche et donnerait ses fruits sous peu.

Les penchants psychologiques enchaînent sur tout cela, mélant aussi bien le caractère de l’inculpabilité que celui de l’indéfectibilité. L’accusé ronchonneur qui écartait tous les soupçons contre lui en écartant l’idée même d’une crise (celle du pétrole, celle de l’environnement, etc.) devient accusateur triomphant: lui, il a résolu la crise, alors que les autres traînent lamentablement. De cause évidente d’une crise dont il niait évidemment la gravité sinon l’existence, il devient la victime principale de cette crise qui, par son ingéniosité, parvient à se sortir du piège où d’autres acteurs sans foi ni loi l’avaient poussé, – les mêmes qui ne font pas assez, à la différence des USA, pour lutter contre les grandes crises systémiques. S’il le faut, les USA assisteront, stupéfaits, à l’apocalypse qui est par avance de la faute du Rest Of the World. Les USA sortent de cette analyse en grand’prêtre de la vertu internationaliste colorée d’américanisme, ce qui permet d’ajouter quelques conseils comminatoires sur la façon de s’en sortir: adopter la démocratie made in USA, et tout ira bien.

Bien sûr, c’est du GW (ou du “GW et ses speech writers”), c’est-à-dire du Disneyland chez les cow-boys. Mais la caricature recèle évidemment et largement son fondement de vérité, et cette sorte de raisonnement n’est jamais éloigné de l’esprit d’un sénateur ou d’un chroniqueur du New York Times.