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907Ceux qui ont suivi les mouvements populaires ayant amené la chute de Ben Ali en Tunisie et de Osni Moubarak en Egypte en parlent avec un enthousiasme juvénile, souvent les larmes aux yeux. Ce furent, disent-ils, des journées historiques, marquant le réveil de peuples jusque là opprimés, un véritable, disent-ils, printemps des peuples.
On pense d'abord aux peuples arabes – sans oublier les iraniens qui n'en sont pas. Il n'est pas possible, disent les optimistes, que l'exemple donné par des foules pacifiques réussissant par leur nombre et leur persévérance à déboulonner des gouvernements dictatoriaux ne s'étendent pas dans les pays voisins. Les régimes du Golfe qui croient acheter leur tranquillité en distribuant des pétro-dollars ne seront peut-être pas plus à l'abri que ceux dont une partie de la population ne mange pas à sa faim. Car l'ivresse ressentie par des manifestants découvrant subitement qu'ils sont libres, au sens le plus simple du terme, est terriblement contagieuse. Elle dépasse largement les contingences matérielles.
Certains objectent que les révolutions tunisiennes et égyptiennes ne pourront pas s'étendre à d'autres pays tant qu'elles n'auront pas tenu leurs promesses. Pour cela elles devront montrer qu'elles peuvent vraiment libérer leurs peuples et non les jeter dans les bras de nouveaux dictateurs. Mais la contagion de l'espoir n'a que faire des mises en garde fussent-elles fondées. Elle n'a que faire de mois d'attente prudente. L'espoir est comme un feu de prairie qui se répand à la vitesse du vent.
Aussi le printemps des peuples ne s'arrêtera peut-être pas aux Etats arabes. Il faut bien se persuader que selon l'analyse que nous avons plusieurs fois développée, tous ceux qui agissent et s'expriment en faisant appel aux puissantes technologies mondialisées des réseaux modernes constituent des agents pro-actifs au sein d'un vaste système anthropotechnique s'étendant au monde entier. On y trouve évidemment les pouvoirs qui veulent grâce aux réseaux maintenir les peuples dans la servitude. On y trouve aussi heureusement tous ceux qui se battent pour le contraire.
Dans des pays comme la Chine, l'Inde, la Russie où des centaines de millions de personnes sont maintenues dans la pauvreté et la dépendance psychologique par des minorités puissantes, il n'est pas exclu qu'à l'appel de ce que l'on pourrait appeler des cyber-activistes se lèvent des mouvements de protestation susceptibles de changer l'avenir de ces pays. Ils ne feront sans doute pas la même chose qu'en Egypte. Sans doute essaieront-ils des choses différentes, mais le reste du monde ne pourra qu'en profiter.
C'est dans cette perspective que nous devrions, nous peuples d'Europe, nous poser la question de savoir s'il ne serait pas temps pour nous aussi de faire notre révolution. On dira que les Européens ne meurent pas de faim, même si le chômage prend chez eux aussi des proportions inquiétantes. Ils sont également libres, en termes de démocratie formelle. Que pourraient-ils demander de plus?
Ceux qui ont connu mai 68 en France savent très bien ce qu'ils pourraient demander. Il s'agirait de retrouver sous des formes différentes le grand mouvement d'espérance et de solidarité qui avait à l'époque mis en mouvement le peuple de France. Il ne faudrait sans doute pas réclamer à l'identique ce qui l'avait été alors. Mais interrogeons-nous. Quand on voit le vide intellectuel et moral qui marque l'action des gouvernements européens, l'ennui mortel qui en suinte – dont la désolante prestation de Nicolas Sarkozy à la télévision le 10 février a donné une nouvelle preuve - on ne saurait prétendre qu'en ce début de 21e siècle les peuples européens n'auraient rien d'autre a attendre que cela, rien d'autre à obtenir, rien d'autre à construire par eux-mêmes.
Quand on a observé les populations égyptiennes dans la rue, on ne peut que regretter que le même enthousiasme n'anime pas les populations européennes. Un espoir sans doute plus compliqué à satisfaire, apparemment différent mais convergent pourrait les animer: celui de changer ce que notre ami Philippe Grasset appelle le Système global. Pour faire quoi? Certains activistes (cyber-activistes cognitifs) s'exprimant sur les réseaux en ont quelques vagues notions, en Europe comme dans les milieux dits libéraux américains. Leurs idées ou intuitions seraient probablement mauvaises, incapables de soulever des foules endormies dans leurs petites routines. Peut-être tourneraient-elles très mal.
Mais peut-être au contraire donneraient-elles naissance à des projets, à des actions, qui enthousiasmeraient suffisamment ces mêmes foules pour que celles-ci manifestent en masse sur les places de nos villes, afin d'obtenir le départ des hyper-riches et hyper-profiteurs qui confisquent actuellement toutes les richesses de la nature, toutes les promesses des sciences et des technologies. Ce serait le meilleur exemple, après celui de la Tunisie et de l'Egypte, que l'Europe d'aujourd'hui pourrait donner au monde.
Jean-Paul Baquiast
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