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19 mai 2007 — On voit par ailleurs sur ce site, ce jour même, les mésaventures de Blair ridiculisé encore une fois (cet homme a le cuir épais) après son voyage à Washington, sa dernière embrassade avec GW, les promesses de ce dernier de “prendre au sérieux” la lutte contre le réchauffement climatique, la réalité de la politique US du domaine qui est d’assurer exactement du contraire.
Jeudi, le président des Etats-Unis assure le Premier ministre démissionnaire du Royaume Uni : «We spent a lot of time on climate change. And I agree with the Prime Minister, as I have stated publicly, this is a serious issue, and the United States takes it seriously.» Vendredi, le chef de la délégation US à Bonn (où l’on est censé préparer un nouvel accord de Kyoto) assure à propos de la lutte contre le réchauffement climatique : «That's not our agenda.» (Le chef de cette délégation, Harlan Watson, plaisamment décrit par ses collègues à la conférence comme «a climate change dinosaur», — sorte de John Bolton de la lutte contre le réchauffement.)
L’épisode nous montre essentiellement ceci :
• La prise de position de la délégation US à Bonn est moins une trahison délibérée de son ami Blair par GW Bush, que la simple illustration de l’anarchie américaniste, du vide effrayant du pouvoir. Cela est exprimé par Kevin Conrad, négociateur pour la Papouasie-Nouvelle Guinée et l’un des plus influents à cette négociation parmi les nations pauvres (la remarque importante à notre sens est soulignée en gras par nous) : «There is a huge gap between rhetoric and reality. Saying “we're taking it very seriously” but not putting any serious tools in place to do anything. The missing link is the White House, where there's no vision and no direction.»
• La faiblesse abyssale du gouvernement GW n’est pas compensée, en la circonstance, par une ferme influence du Congrès. Certes, le Congrès à majorité démocrate est favorable à une action contre le réchauffement climatique mais toute son énergie est concentrée sur l’affaire irakienne, où il ne parvient ni à imposer une politique, ni même à déterminer quelle politique il voudrait imposer.
• La conséquence est que l’énorme bateau (la politique US) est sans capitaine, sans barreur et sans gouvernail. Le résultat est que l’ultra-conservatisme bureaucratique, la médiocrité et l’immobilisme prévalent, et triomphe Harlan Watson, — plaisamment désigné comme «a climate change dinosaur», un fossile de la lutte contre les émissions de gaz (ce qui va bien en la circonstance, vu la capacité de combustion). La politique US est donc, au plus bas, au plus étroit, au plus aveugle, de répondre à la montée catastrophique de la crise climatique : «It's important not to jeopardise economic growth.»
Il s’agit d’une affaire extrêmement importante, également pour la conjoncture politique, notamment européenne. Cet immobilisme US dans la position la plus conservatrice met plusieurs acteurs dans une position très difficile et va jouer un rôle dans les relations transatlantiques dans les prochaines semaines qui sont importantes. On le verra notamment au sommet du G-8, le mois prochain.
• La Commission européenne, qui a fait son cheval de bataille de la lutte contre la crise climatique, avait déjà subi une rebuffade lors de la rencontre (le 20 avril) USA-UE. Rebuffade confirmée et affaiblissement conséquent, sur un sujet si sensible, du pro-américanisme déchaîné de Barroso. Affaiblissement conséquent, un de plus, de la position de la Commission.
• Gordon Brown, qui arrive à la tête du gouvernement britannique fin juin, a fait de ce dossier de la crise climatique un sujet prioritaire. On mesure ce que signifie la position US pour lui, à l’heure où des pressions diverses s’exercent pour qu’il modifie les relations britanniques avec Washington dans le sens d’un alignement réduit.
• Nicolas Sarkozy a également fait sa priorité de la lutte contre le réchauffement climatique. Il l’a annoncé le jour de son élection, en précisant que les USA devraient changer leur politique. D’autre part, ce choix français est fait dans le but politique de rapprocher la France du Royaume-Uni. Alors, rapprochement dans le cadre d’un durcissement des relations avec les USA, pour les deux pays? (Songeons au pauvre Kouchner, réduit dans son ministère à la portion congrue, qui espère au moins avoir la main sur les grandes causes humanitaires, dont la lutte contre le réchauffement est l’une des plus belles, — et cela le plaçant dans une position d’antagonisme avec ses amis américanistes.)
Les USA posent un bien grave problème à leurs amis, avoués ou cachés, et même à leurs ennemis. Ce n’est pas tant leur politique qu’il faut craindre que l’absence de politique qu’il faut constater. Le chaos politique aboutissant au vide du pouvoir est aujourd’hui la principale caractéristique d’un Washington, complètement tétanisé par l’Irak.
Nous ne sommes pas du tout de l’avis des analystes sérieux, qui posent l’affirmation qu’on va laisser GW faire joujou encore quelques mois avant de prendre les choses sérieusement en mains (voir notre commentaire du commentaire de Simon Tisdall, du Guardian, le 16 mai.) Au contraire, la situation est “out of control” à Washington et l’on ne voit rien qui puisse la changer, dans ce système verrouillé dans son formalisme constitutionnaliste, au moins jusqu’en janvier 2008, — et peut-être au-delà. Admettant la chose, certains jugent que c’est à l’Europe de prendre la tête de la lutte contre la crise climatique, et que ce serait une bonne chose. On cite ce commentaire du même Tisdall, du même jour, appuyant ici sur ce qu’il tend à minimiser là (la paralysie politique de Washington contre la capacité de Washington de sortir de sa paralysie, — toujours la magie US, passez muscade) :
«The Bush malaise could also provide a pick-me-up for Europe, encouraging it to show a lead and push an agenda of issues such as climate change previously blocked by Mr Bush, a senior European official said. “It's not a question of US weakness,” he said. “It's a question of Europe not being strong enough.” More determined European leadership would be forthcoming across the board — and rather than look for conspiracies, the Americans should welcome it, he said.»
Ce rapide commentaire mesure les illusions extraordinaires des bureaucrates européens : comment, le principal de l’affaire n’est pas la faiblesse US ?! Et les USA devraient être heureux, seraient heureux dirait-on presque, si l’Europe prenait en main la question du réchauffement climatique ?! Un tel aveuglement entêté est désespérant. La paralysie US est le fait principal parce qu’elle entraîne la paralysie générale dans cette affaire si l’on recherche un accord général des principaux partenaires, — et les USA, avec leur près de 25% des émissions globales de gaz à effet de serre, sont “un peu plus principal” que les autres. La croyance que les USA accepteraient de voir les Européens prendre la tête dans cette affaire, et même soutiendraient cette initiative, est d’une naïveté logique absolument déconcertante au regard de l’expérience quotidienne du contraire. Encagés dans leur impuissance, les USA réagiraient comme ils font toujours avec leur vanité blessée, leur suffisance exceptionnaliste. Ils feraient comme fait d’ores et déjà le «climate change dinosaur» : on bloque, on obstrue, on dénonce, bref on organise inconsciemment l’antagonisme.
Mais il n’y a pas grand choix. La sensibilité et l’urgence du problème radicalisent les positions. L’alternative de toujours qu’impose la situation US, c’est de tenter de faire sans les USA, et ce sera très rapidement “faire contre les USA”.
La question du réchauffement climatique, ce n’est pas l’Irak. L’Irak, on peut ne pas en parler pour éviter d’exposer des désaccords. Ce fut la politique française entre 2003 et 2007. La crise climatique, c’est autre chose parce que tout le monde est concerné, parce que des engagements ont été pris (Brown, Sarkozy). Le désaccord ne peut être dissimulé alors que le temps presse et qu’aucune rémission n’est possible. Il y a de la fatalité dans cette situation.
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